La notion et l’accusation de crime contre l’humanité constituent, dans le dispositif d’agression appelé parfois guerre moderne ou guerre totale, une pièce complémentaire de la notion (et des faits) de terrorisme.
Depuis le commencement du soi-disant « Printemps arabe » en Syrie, l’accusation de crime contre l’humanité revient de manière sempiternelle dans la bouche des dirigeants français envers le chef légitime de l’État syrien. Cette accusation, réapparue tout récemment sous la forme de l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris [1], signe, en réalité, la culpabilité des Français dans l’agression inqualifiable dont est victime le peuple syrien. Car l’offensive terroriste, dont la France est complice depuis le début de manière revendiquée [2], est coordonnée à l’accusation de crime contre l’humanité. Cela tient à la logique juridique d’un droit international nouveau, depuis l’intérieur duquel l’agresseur mondialiste dirige son offensive. Il est devenu urgent de dénoncer la cohérence d’une force brute qui avance sous le couvert d’un Droit, droit international, et aussi droit constitutionnel et droit pénal, qu’en réalité elle usurpe et qu’elle a complètement subvertis. C’est à cela que s’attachent les lignes qui suivent.
Il faut prendre au sérieux et prêter attention à cette accusation de crime contre l’humanité, qui n’a rien de délirante, dans l’esprit de ses accusateurs, même si elle vise à frapper de stupeur ceux qu’elle atteint. Les premiers touchés sont les juristes, qui s’enlisent dans les définitions de la notion et les textes nationaux et internationaux [3]. Le crime contre l’humanité, en tant que concept et catégorie du droit, doit être situé dans son contexte à la fois juridique, politique et historique.
Nul ne sait ce que l’avenir nous réserve, et lui seul détient la clé de compréhension de notre présent. Mais le passé le plus récent, auquel l’actualité peut se rattacher [4], analysé dès maintenant à la lumière du plus lointain passé, nous permet d’avancer l’idée que non seulement le droit international traverse une crise décisive, mais qu’il aurait même achevé sa mutation. La phase actuelle, d’une transition qui peut-être se termine, a duré tout au long du siècle précédent. Le vieux droit international, dont les fondements remontaient à l’antiquité grecque, sorti des décombres du Moyen Âge, florissant encore, bon an mal an, au XIXème siècle, coexistait encore, au XXème siècle, avec une strate nouvelle qui depuis les guerres civiles anglaises et françaises l’investissait lentement, le parasitait, en subvertissait et minait tous les vieux concepts. Mais désormais, depuis la guerre d’Afghanistan contre l’URSS et l’éclatement de la Yougoslavie, le système nouveau est au grand jour. Dans les évènements libyens et syriens il s’avance de manière trop visible pour n’être pas démasqué. Il semble que nous ayons franchi le tournant entre deux droits, et c’est le signe qu’une ère nouvelle s’est ouverte aux sciences juridiques et politiques. Soit ce nouvel ordre mondial s’effondre sur lui-même aussitôt qu’apparu, et l’on renoue avec la raison, l’humanité et l’ordre, soit il s’installe dans la durée ; mais en ce dernier cas nos efforts pour en dénoncer l’ignominie ne font que commencer. La restauration, avec des transformations, d’un ordre juridique international dépend, quoi qu’il en soit, de nos propres capacités de résistance critique.
Autant l’ordre international ancien, celui dont nous venons tout juste de sortir, était clair, rationnel, lumineux même et franc, autant le nouvel ordre mondial est au contraire fondé sur l’obscurité, l’irrationnel, la duplicité et le mensonge. Il s’avance d’ailleurs drapé dans les lambeaux de l’ordre qu’il a détruit. Peut-être serait-il de bonne méthode désormais de faire systématiquement l’effort d’analyse critique suivant : distinguer deux droits. Celui, ancien, fondé sur l’expérience des siècles, qui doit perdurer et qui pourtant traverse un péril grave. Et celui, récent, qui s’est ajouté au précédent comme une strate parasite, et qu’il faut parvenir à discerner. Cette tâche, qui n’est pas facile, consiste à répartir les règles et les notions entre ces deux systèmes juridiques, tout en comprenant le concept de l’articulation du second au premier, qu’il parasite. Certaines notions sont en partage entre les deux systèmes, dans une ambigüité résolument entretenue pour tromper, mais d’autres notions peuvent être attribuées en propre à l’un ou l’autre. À notre sens la notion de crime contre l’humanité peut relever du second cas, à condition de préciser encore un peu les choses.
La protection des civils
L’ordre ancien, celui de la souveraineté des États, se fondait pour l’essentiel sur la limitation du fléau de la guerre, dans le temps, dans l’espace et quant aux acteurs, selon les canons du théâtre classique (unité de temps, de lieu et d’action). La guerre s’ouvrait par une déclaration et se clôturait par un traité. Elle se déroulait sur un champ de bataille et voyait s’affronter deux armées. Les non-combattants n’étaient pas concernés. Le militaire qui s’attaquait à des civils, comme à des blessés ou à des prisonniers, se rendait coupable, de même que le civil qui se risquait à affronter des militaires. Tout l’effort des uns et des autres visait donc à épargner les populations. Par conséquent, on le voit, ce droit international était institué pour éviter la persécution des civils, leur déportation, leur assassinat etc. Et donc en quelque sorte pour éviter que ne soient commis des faits que l’on dirait aujourd’hui constitutifs de crime contre l’humanité. Notion qui n’apparaissait pas comme telle, mais là était bien le cœur et toute la raison d’être de l’ensemble du système du droit international. Cet ordre ancien reposait sur la souveraineté des États, c’est-à-dire sur la reconnaissance et le respect mutuel entre belligérants. Le nouvel ordre procède à l’inverse. Il vise l’éradication de toutes les souverainetés sous un empire sans frontières. Il condamne d’emblée la guerre agonale d’État à État. Il condamne l’État en tant que tel. Et bien loin de tenir la population éloignée du fléau de la guerre, il la place au contraire au centre du conflit. Il recherche le soulèvement des populations contre l’État qu’il entend combattre. Les populations sont le nouveau champ de bataille. La guerre se fait dans l’esprit de chacun, raison pour laquelle on parle de guerre subversive, de guerre totale et de terrorisme.
Le terroriste est au cœur de la subversion du droit international ancien, des catégories fondatrices duquel il se joue. Car le terroriste n’est ni vraiment un militaire, ni vraiment un civil. Lorsque l’État agressé organise contre le terroriste la répression, il risque tantôt l’accusation de crime de guerre, tantôt celle de crime contre l’humanité. En tant que le terroriste est considéré comme un militaire, grâce aux États étrangers agresseurs qui le soutiennent notamment par la reconnaissance de gouvernements rebelles fantoches, il pourra accuser de crime de guerre l’État qui le condamne pénalement. Car selon le droit international ancien, le combattant est un héros qui a droit au respect. Le prisonnier de guerre est sacré. Et, d’un autre côté, souvent d’ailleurs dans le même temps, en tant que le terroriste peut être considéré aussi bien comme un civil, il pourra accuser de crimes contre l’humanité l’État qui prend contre lui des mesures. Cette double criminalisation de l’appareil d’État légitime, appuyée par les États tiers agresseurs et par l’ONU, permet précisément d’inverser l’accusation dont fait naturellement l’objet le terroriste pour les crimes qu’il commet en réalité (enlèvements, menaces, assassinats, tortures, destructions etc.). Le criminel, ce n’est plus l’assassin et le destructeur, ou ses complices, mais le policier et le militaire qui le pourchassent.
Fixées les catégories juridiques, il convient d’avancer dans leur mise en œuvre en précisant ce qu’il en est de la situation réelle. Car sur le terrain de la guerre civile les limites entre le terroriste, le militaire insurgé et le civil innocent n’existent plus. Chaque civil est à la fois une victime potentielle, à tous les instants, de l’assassinat politique, de la voiture piégée, de l’attentat aveugle, et, dans le même temps, il est celui qui, de gré ou de force, accueille le terroriste et se fait terroriste lui-même. C’est cela la guerre de tous contre tous. Pour reprendre le mot célèbre d’un grand maître en la matière, chacun est, dans une dialectique obscure, à la fois le poisson et l’eau.
La justification du terrorisme
Dans pareille situation, aussi confuse et aussi dangereuse tant pour les populations civiles que pour l’appareil d’État visé, certains officiers français tiraient de l’expérience des événements d’Algérie la leçon suivante [5]. Il n’est d’autre choix, pour la protection de la population civile, au besoin contre elle-même, que d’isoler la population infestée, par encerclement d’une zone géographique ou par une déportation en masse en camps de concentration de réfugiés. Puis de procéder, par interrogatoires et par sélection, à la protection des uns, à la réinsertion des autres. Mais lorsque le venin de la révolte a irrémédiablement contaminé toute une frange de la population, lorsqu’une partie du territoire est déjà sous son contrôle, si l’on ne souhaite pas ou qu’il est inconcevable d’abandonner la partie, c’est-à-dire de céder ce premier pan du territoire national, ce qui signifie reconnaissance, il ne reste guère que deux issues : si l’on ne peut reconquérir le terrain mètre après mètre, pour appliquer la méthode précédente, tout détruire, c’est la dernière solution.
Quelle que soit le degré de gravité atteint par la situation, l’État agresseur a beau jeu de surenchérir dans l’accusation de crime contre l’humanité, en présentant les populations civiles, y compris les meneurs, qui tiennent l’appareil terroriste clandestin, comme des populations innocentes victimes d’une répression aveugle et injuste. La moindre arrestation, le contrôle d’identité même, la détention, la déportation figurent dans les actes considérés comme des crimes contre l’humanité. Accusation nourrie du mensonge systématique le plus grossier, de la calomnie la plus éhontée consistant à imputer aux forces loyalistes les pires exactions commises sur les populations par les terroristes eux-mêmes (viols, tortures, etc.). Devant la lutte qui s’organise contre le terrorisme, l’État agresseur surexcite son appareil de propagande, parce que les opérations policières à destination des populations le privent à la fois de son otage, de sa victime et de son complice plus ou moins consentant. Le comble de la violation du droit est atteint par l’État agresseur lorsque, ayant obtenu une sentence, une condamnation pour crime contre l’humanité à l’égard des plus hauts dirigeants d’un État, il peut faire régner son terrorisme intellectuel, grâce à des lois mémorielles qui interdisent, sous la menace de peines d’amende et d’emprisonnement, de contester sa version à lui de l’histoire, sur ceux qui s’aviseraient de dénoncer son jeu pervers. Peut-être est-ce même là l’un des buts des poursuites récemment engagées contre le régime syrien en France : sanctionner à l’avenir, pour négationnisme, tous ceux qui s’aviseraient de défendre la vérité.
Le cercle infernal de l’inversion accusatoire
Il ne faut pas oublier l’ignoble inversion accusatoire qui est à l’œuvre dans cette entreprise visant à inculper un régime de crime contre l’humanité. Les États agresseurs de la Syrie, il faut le marteler, ne se gênent pas pour armer et diriger les terroristes mercenaires qui martyrisent les populations. Ils sont les premiers à faire souffrir les populations, d’abord de manière ouverte par l’embargo. Ce sont eux aussi qui ont commandité la destruction de l’infrastructure industrielle ainsi que, véritable génocide culturel, les destructions de sites historiques, provoqué les transferts en masse des populations terrorisées par les massacres, d’abord au Liban, en Jordanie et en Turquie, puis récemment vers l’Europe. Et lorsqu’ils entrent dans la phase de guerre ouverte de leurs opérations, par les airs, ils sont les premiers à bombarder les lieux habités. Les alliés ont, durant la Seconde Guerre mondiale, fait la démonstration, pour la terreur de tout l’univers, de quoi ils étaient capables contre des populations civiles qui pourtant ne soutenaient pas le moindre terroriste, et loin desquelles se tenaient les militaires, en Allemagne, en France et au Japon. Des milliers et des milliers de femmes, d’enfants et de vieillards, ainsi que des blessés, ont ainsi été exterminés, et pour certains brûlés vifs. Toujours au nom de la démocratie, du libéralisme et des droits de l’homme.
L’agression mondialiste dont sont victimes les peuples de Syrie, d’Irak, du Yemen, d’Ukraine, concerne donc l’ensemble des populations du globe. Il s’agit d’un système idéologique d’oppression nouveau, qui a subverti les anciens concepts de guerre et de crime de guerre, d’État et de liberté des peuples, pour imposer, avec ses armes de destruction massive dont il conserve jalousement le monopole, un terrorisme intellectuel fait de notions telles que le terrorisme et le crime contre l’humanité. Ces deux notions relèvent assurément de la même strate parasite qui vise la domination mondiale par le chaos. Il faut démasquer comme une notion diabolique cette notion de crime contre l’humanité.
S’il veut être à la hauteur de la mission historique à laquelle son destin l’a appelé, l’État syrien ne doit surtout pas tomber dans le piège du cycle des accusations et des contre-accusations où cherche à l’entraîner l’offensive de l’inversion accusatoire. Il convient de bien se garder d’utiliser contre l’ennemi cette même catégorie de crime contre l’humanité. Cela vaudrait reconnaissance d’un système juridique ennemi, mortifère pour les peuples, dont le crime contre l’humanité est la pièce centrale. Car c’est bien l’incrimination même, c’est cette catégorie inique qui est une horreur, et ceux qui la manient s’en trouvent entachés.
Il faut se cantonner au droit pénal interne. C’est le bon recours. Les exécutants des basses œuvres se rendent coupables de crimes de droit commun, et, sauf amnistie toujours possible, ou irresponsabilité pour démence ou pour contrainte, c’est à ce titre que l’État syrien peut les punir. Quant aux puissants qui ont fomenté cette agression, qui l’ont accompagnée et téléguidée, ils sont complices. Ils ont été les motores crimines. Ce sont les plus coupables. Ils peuvent être condamnés, au besoin par contumace, directement sur les lieux de leurs méfaits, par les juridictions syriennes. Mais que ce soit pour l’exécution des sentences ou pour une condamnation dans leurs pays d’origine, quoi qu’il en soit il faudra nécessairement, pour que Justice soit faite, et aussi pour mettre un terme à cette entreprise de subversion mondiale, que les populations des États agresseurs, en France, en Allemagne, aux États-Unis d’Amérique et dans toute la Palestine, parviennent à recouvrer leur souveraineté perdue.