La question de l’autonomie, voire de l’indépendance monétaire, des régions insurgées de l’est de l’Ukraine se pose depuis le début de l’année 2015. Les accords de Minsk-2 prévoyaient la fin du blocus économique et monétaire mis en œuvre par le gouvernement de Kiev. La non-application d’une large part de ces accords [1], et en particulier des volets politiques et économiques de ces derniers relance, bien entendu, la question du statut monétaire de ces régions. Mais, il est évident que cette question a des répercussions qui vont au-delà de simples arrangements monétaires. La question de la souveraineté, à travers la question de la souveraineté monétaire, des régions insurgées est directement posée.
La situation monétaire dans les régions insurgées
Les régions insurgées sont soumises depuis la fin 2014 à un véritable blocus monétaire de la part du gouvernement de Kiev. Celui-ci qui prend la forme de la rupture des relations entre la banque centrale d’Ukraine et les banques locales, la rupture des relations entre les banques commerciales et leurs agences locales, enfin dans la suspension de pratiquement tous les paiements sociaux de la part du gouvernement ukrainien aux populations qui se trouvent dans ces régions (assurances maladie, chômage et vieillesse). Cette suspension des paiements sociaux signifie que le gouvernement de Kiev ne considère plus les habitants des zones insurgées comme relevant de sa juridiction. C’est un acte dont la portée juridique implicite pourrait être particulièrement important quand il s’agira de discuter du statut de ces régions. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui ont poussé l’Allemagne et la France d’exiger de Kiev qu’il reprenne ses versements dans le cadre des accords de Minsk-2. Il semble bien qu’il ne l’ait pas fait. Rappelons ici que de 1993 à 1999, alors que la Tchétchénie avait de facto fait sécession, Moscou avait bien continué à payer l’ensemble des pensions et indemnités.
Pourtant, jusqu’en février 2015, la monnaie circulant dans ces régions était globalement restée la monnaie ukrainienne (la hryvnia [photo ci-dessus]) même si la possibilité d’effectuer certains paiements en roubles russes existait. La circulation monétaire était alimentée par la vente de charbon au gouvernement de Kiev. En fait, au moment même où des combats sanglants avaient lieu, le commerce du charbon, et d’autres matières premières ainsi que de produits semi-finis, continuait. C’est l’une des caractéristiques de cette guerre civile qui ne dit pas son nom que le commerce entre camps ennemis se soit maintenu durant le conflit. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où Kiev avait dramatiquement besoin du charbon du Donbass, en particulier pour les centrales électriques, et où les insurgés du Donbass accueillaient toute ressource monétaire disponible. Mais, ces ventes ont été interrompues quand les forces de Kiev (probablement une des unités irrégulières constituées à partir de militants d’extrême droite) ont fait sauter la ligne de chemin de fer reliant le Donbass au reste de l’Ukraine. Dès lors, les insurgés n’ont eu d’autre solution que de vendre à des entreprises russes le charbon et les produits sidérurgiques qui étaient leurs principales ressources. À partir de ce moment, la circulation en hryvnia devient progressivement problématique. Si la question de la circulation de la monnaie scripturale (les comptes bancaires et d’épargne) peut continuer à se faire en hryvnia, la monnaie fiduciaire dépend des stocks existant sur place, et ces stocks ne sont plus alimentés.