Alors que l’été 2015 se dirige vers son mois le plus chaud, un grand pays d’Europe semble inévitablement se diriger vers une forme de chaos dont on a du mal à imaginer ce qu’il pourrait en résulter.
La guerre civile qui n’en finit pas devrait vraisemblablement se terminer par un nouveau conflit gelé au cœur de l’Europe, transformant l’Ukraine en État littéralement enclavé entre la zone grise qu’est la Transnistrie à l’Ouest et le Donbass à l’Est.
Pour autant, cette situation qui semble se profiler pourrait être la moins pire des solutions pour Kiev qui n’est désormais plus menacé que par un conflit ouest-est mais bel et bien par des secousses systémiques et identitaires attisées par la fragilité de l’État Ukrainien actuel et le risque d’effondrement économique plus réel que jamais.
Ces secousses frappent tant le sud que l’ouest du pays ou encore la capitale et montrent parfaitement l’État de névrose qui est en train de gagner le pays.
À l’ouest du pays, à proximité de la frontière polonaise, des manifestants réclament : "le départ de la fraternité juive qui occupe le pouvoir" et souhaitent un pouvoir d’authentiques Ukrainiens. Dans l’ouest du pays toujours, mais vers la frontière slovaque/hongroise, des incidents armés ont eu lieu et des milliers de volontaires de groupes radicaux y remplacent les autorités légales du pays, inexistantes. Une situation qui pourrait avoir pour objectif de déplacer, dans une zone avec de fortes minorités, un conflit jusque-là cantonné à l’est du pays.
Conséquence de cette dégradation de la situation, à Kiev, ce sont des milliers de militants de Secteur Droit qui ont manifesté en cette fin du mois de juillet 2015 en appelant à la défiance du gouvernement de Kiev et à la destitution du ministre de l’Intérieur.
Dans la région d’Odessa, les nouveaux dirigeants régionaux dont Mikhaïl Saakachvili, récemment nommé gouverneur de la région, ont considérablement accru la répression sur des leaders d’une minorité mal connue en Europe de l’ouest : les Gagaouzes, suspectés de velléités séparatistes. Les Gagaouzes, présents entre l’Ukraine, la Bulgarie et la Moldavie, ont réussi à fédérer contre eux un axe Kiev-Bucarest-Sofia hostile à une minorité surtout suspecte de fortes sympathies avec Moscou. La situation en Bessarabie ukrainienne est d’autant plus complexe que certains ressortissants faisaient partie des victimes du terrible massacre du 2 mai 2014, lorsque des dizaines de civils ont été brûlés vifs et les survivants massacrés par des activistes pro Kiev.
À l’est du pays la contestation séparatiste ne cesse de s’amplifier et ce sont désormais les mineurs du Donbass qui s’engagent dans les unités militaires fédéralistes et contre le pouvoir central de Kiev qu’ils accusent de vouloir procéder à un génocide à leur encontre sur le modèle du génocide des serbes de Krajina en 1995, il y a tout juste 20 ans.
Sur le plan économique, le pays va faire face cet hiver à une nouvelle crise énergétique qui sera vraisemblablement effroyable, les autorités se préparant à rationner l’énergie et n’alimenter le pays que selon des plages horaires définies.
Sur le plan démographique, le pays a en 18 mois perdu plus d’un million d’habitants, surtout des jeunes en âge de travailler qui sont partis très majoritairement en Russie (800 000 migrants) ou en Europe de l’ouest (Allemagne et Pologne…), tandis que le pays semble s’enfoncer dans une crise démographique qui rappelle les pires années de la Russie post-soviétique, lorsque le pays était au bord de l’implosion.
Dans le même temps, Interpol vient de suspendre son avis de recherche contre le président putsché Victor Ianoukovich et l’ancien premier ministre Nikolaï Azarov, lui aussi exilé et qui vient d’annoncer la constitution d’une sorte de comité en exil destiné à sauver l’Ukraine.
Alors que le pays se prépare à des élections locales durant l’automne, le dernier parti d’opposition, le parti communiste, vient d’être interdit d’y participer, accentuant les chances de la chancelante coalition au pouvoir actuellement d’y rester malgré le faible taux de popularité du président Poroshenko qui flirterait avec les 15% alors que ce dernier était élu il y a un an avec 57% des suffrages.
Celui-ci, visiblement au bord de l’effondrement, a récemment multiplié les déclarations les plus fantaisistes, accusant la Russie de vouloir "envahir la Finlande et les pays baltes", de vouloir "toute l’Europe", "que l’Ukraine avait en un an bâti une des meilleurs et plus puissantes armées d’Europe" ou prenant la défense du groupe Pravy Sektor qui serait un "élément de la démocratie ukrainienne".
On pourrait en rire si ce n’étaient pas près de 10 000 civils, dont des centaines d’enfants, qui étaient déjà morts dans l’est du pays, selon la présidente du comité contre la guerre Viktoria Shilova.
Après une révolution ayant abouti à un coup d’État, 18 mois de conflit dans le Donbass, l’Ukraine est aujourd’hui au bord du défaut de paiement et se dirige vers une crise énergétique, politique et démographique qui pourrait mettre en péril son existence en tant qu’État et ce à très court terme.
Est-on bien sûr que les sanctions contre la Russie, qui poussent Moscou vers l’Asie et laisse Kiev face à une UE sans ressources financières ni volonté politique claire, sont la meilleure façon de se préparer au potentiel effondrement de l’Ukraine ?