Le 20 août 2015 le tribunal de grande instance de Tours a décidé qu’à l’état civil d’un hermaphrodite serait indiqué la mention de genre neutre. C’est ainsi que comme en grammaire russe ou allemande, aux genres féminin et masculin s’ajoute un troisième genre (dont l’office est rempli en grammaire française par le genre masculin, qui est le genre commun).
Cette décision n’est qu’un épiphénomène. Le fait institutionnel central, c’est l’égalité de statut entre hommes et femmes. Une égalité qui se manifeste maintenant dans tous les domaines du droit, et particulièrement dans le droit de la filiation : père et mère, frère et sœur, fils et fille sont équivalents.
La tradition
L’admission d’un genre neutre en matière d’identité sexuelle n’eût pas été possible à une époque où les statuts de l’homme et de la femme étaient inégaux. Toute l’organisation familiale, et même celle des institutions politique et religieuse, reposaient sur la distinction des sexes. Par conséquent, en chaque cas, par exemple pour la transmission des biens et du nom, il fallait assigner à la personne l’un ou l’autre sexe, afin de lui appliquer son statut propre. C’est bien pourquoi le cas de l’hermaphrodite a de longue date retenu l’attention des juristes (romains, musulmans ou canonistes).
La personne sexuellement malformée devait impérativement trouver sa place dans l’ordre juridique. On commençait donc par s’en référer aux médecins, et par observer, à la puberté, les signes caractéristiques du sexe (poitrine, lait, pilosité, éjaculation, menstrues et grossesse) [1].
C’est bien évidemment en cas de doute subsistant que les solutions dégagées par les écoles de juristes méritent l’attention. Pour la plupart, dans le doute c’est le sexe masculin qui l’emporte, ce qui, bien souvent, comme en matière de transmission du nom et des biens, était à l’avantage de la personne. Mais, archéologie de la « théorie » du genre, d’autres écoles préféraient s’en remettre au choix de la personne concernée.
A noter cette tierce solution consistant, en matière successorale, à attribuer à l’hermaphrodite la demi-part d’un homme et la demi-part d’une femme [2]. Ce n’est pas lui reconnaître une neutralité, mais c’est lui assigner, lorsque c’est possible, l’un et l’autre régime, comme s’il était composé indivisément de l’un et de l’autre sexe.
Chez les anciens, il n’y a guère que chez Jean Bodin que l’hermaphrodite se voit curieusement assigner une place distincte de l’homme et de la femme [3].
La modernité
Mais aujourd’hui que l’évolution conduit de plus en plus à neutraliser la discrimination sexuelle dans les institutions, l’enjeu ayant disparu, il n’est plus gênant d’admettre un troisième genre.
Ce n’est pas le lieu de reprendre l’historique de l’indifférenciation entre les sexes. Mais si l’on veut parler de « révolution anthropologique », on peut noter que la réforme justinienne, qui en matière successorale ne distingue plus entre parents par les femmes et parents par les hommes, est une étape importante. De même, à l’époque de la réforme grégorienne, le fait que l’Église en tire les conclusions dans le domaine du mariage, en effaçant toute distinction entre parents agnatiques (avec lesquels le mariage, même au plus lointain degré, était incestueux) et parents cognatiques (avec lesquels, conformément à tout ce qui s’est toujours pratiqué dans les sociétés humaines, le mariage est possible du plus lointain jusqu’au quatrième degré inclus).
Tout le reste n’est qu’épiphénomène. L’admission d’un genre neutre pour l’hermaphrodite est à ranger à côté de l’admission par le droit du transsexualisme. Lorsque le sexe n’a plus d’incidence, rien ne s’oppose à ce qu’on en change à volonté. Et surtout, il faut parler de cet autre hochet, qui détourne notre attention de l’essentiel : de l’admission par le droit du mariage homosexuel. Je ne crois pas que le mariage homosexuel ait changé la nature de l’institution du mariage [4]. Je pense au contraire que c’est au préalable le changement de nature de cette institution qui a permis le mariage homosexuel. Autrement dit, c’est le mariage bourgeois, en permettant l’égalité des conjoints, qui a fait le lit du mariage homosexuel.
Remarquons pour finir que ce qui peut apparaître pour anachronique, à une époque d’indifférenciation des sexes, c’est l’intervention des médecins, non plus comme autrefois pour déterminer le sexe par l’observation, mais pour en décider : la pratique chirurgicale consiste à assigner au bistouri, et la pratique pharmacologique à assigner par la chimie, à celui qui ne les présentait pas initialement, les caractères tranchés, pour ainsi dire, de l’un ou de l’autre sexe. La reconnaissance d’un genre neutre aurait au moins le mérite de faire cesser cette pratique barbare… Mais de nouveaux marchés s’ouvrent ainsi au transsexualisme. À l’avenir la charcuterie dite « chirurgie esthétique » va reprendre de plus belle : un homme ou une femme pourront non seulement se sentir respectivement femme ou homme, mais désormais aussi bien neutre, et exiger, certificat psychiatrique à l’appui, que la réalité soit mise en conformité avec leur fantasme.