Le Festival du film de Sarajevo a délivré, vendredi 18 août, son palmarès pour la 29e édition. Le film d’Elene Naveriani, Merle Merle Mûre, déjà présenté à la quinzaine des cinéastes du festival de Cannes, a été désigné comme meilleur film et remporte le « cœur de Sarajevo ».
La première édition du festival a eu lieu du 25 octobre au 5 novembre 1995, soit quelques semaines avant la fin de la guerre en Bosnie marquée par la signature des accords de Dayton le 14 décembre, à Paris. Les accords prévoyaient la partition de la Bosnie-Herzégovine en deux entités, une fédération de Bosnie-Herzégovine rassemblant les Croates (catholiques) et les Bosniaques (musulmans) et la république serbe de Bosnie (les Serbes étant chrétiens orthodoxes). Il faudrait y ajouter une troisième entité, le district de Brčko, situé au nord-est de la Bosnie, censé être « neutre ». Les accords signés sous la houlette du diplomate américain Richard Holbrooke établissent une présidence tripartite dans le pays (le triumvirat réunit trois personnalités représentant les trois ethnies – ou religions – majoritaires de Bosnie-Herzégovine).
Pour la petite histoire, le négociateur Richard Holbrooke avait rejoint en 1966, en tant qu’ambassadeur des États-Unis à Saïgon, l’équipe du sinistre Robert Komer (surnommé Bob au chalumeau) qui dirigeait le Phoenix Program, dont les crimes au Viêt-Nam ont été révélés par le journaliste Seymour Hersh en 1974. À la fin du mandat de Bill Clinton, Richard Holbrooke retrouve le monde de la finance en intégrant la compagnie d’assurance américaine AIG qu’il quitte opportunément deux mois avant son effondrement lié à la crise des subprimes en 2008.
Mais revenons à la fiction. Le film primé, Merle Merle Mûre, de la réalisatrice géorgienne Elene Naveriani, retrace la vie d’une célibataire, nommé Etero, qui vit sa première expérience sexuelle à 48 ans avec Murman, son fournisseur de lessive. Etero est une femme libre qui s’oppose bien sûr au monde patriarcal et son histoire est une occasion de remettre en cause les « stéréotypes de genre » dans le monde rural géorgien.
- Elene Naveriani (iel/non binaire)
N’oublions pas le prix de la meilleure réalisation attribué à l’ukrainien Phillip Sotnychenko pour son film La Palisiada, sorte de polar rétro qui s’organise autour d’une enquête sur la mort d’un policier dans le contexte de l’Ukraine post-soviétique, avant qu’elle ne ratifie l’un des textes du conseil de l’Europe pour l’abolition de la peine capitale. La scène finale, la mise à mort du condamné, a lieu dans la prison de Boutcha, décrétée ville martyre par l’Occident et où Bernard Henri Lévy était allé poser, martial et avec la détermination de ceux qui savent qu’ils n’auront jamais à prendre les armes.
Justement, dans la rue où se situe le théâtre national qui sert de cadre à la montée des marches habillées d’un tapis rouge au décor local, on trouve l’hôtel Europe qui fondait la trame de la pièce de théâtre du même nom que BHL avait lancée en septembre 2014, cherchant ainsi à promouvoir les « valeurs européennes ». Las, elle s’arrêta quelques semaines plus tard, faute de spectateurs et ce malgré la venue de François Hollande, Manuel Valls et Nicolas Sarkozy !
Dans cette ville, Sarajevo, parfois appelée la « Jérusalem de l’Europe », l’ambassade des États-Unis, située le long de l’ancienne « Sniper Alley », qui occupe une surface plus de trois fois supérieure à celle du palais présidentiel, et défendue par des gardes surarmés jour et nuit comme aucun autre bâtiment officiel de la capitale, indique, si besoin était, qui est le véritable maître du pays.
À l’occasion du festival, la ville s’est parée de ses plus belles lumières pour accueillir les visiteurs d’Europe et d’ailleurs, sous la bénédiction inquiétante de l’aigle américain qui, à force de perdre des plumes à l’international, ressemble de plus en plus à un vautour piqué mais toujours dangereux. L’idéologie qu’il draine et qui sévit si dramatiquement en Europe occidentale, tente de se frayer un chemin dans un pays partenaire de l’OTAN et candidat à l’adhésion à l’UE, mais marqué par le fameux patriarcat, le respect des liens familiaux et la morale qui subsiste encore même quand l’essence des religions est perdue.
Non loin de cette agitation, sous la ramure estivale des arbres du parc Safet Isović, célèbre chanteur de sevdalinka – la musique traditionnelle bosniaque – une stèle modeste mais fermement installée porte le nom bien visible de Madeleine Albright que l’ami américain, ne connaissant de la honte que le nom, a érigé en icône de la paix. Et qu’importe si elle a cautionné la mort de plus d’un demi-million d’enfants irakiens. Comme l’on dit dans le milieu du spectacle, show must go on !