7 novembre 1492. Une boule de feu traverse le ciel de la campagne alsacienne, et percute le sol dans un fracas explosif que l’on entend dans toute la vallée du Rhin. 150 kilogrammes de roche noire viennent de s’enfoncer dans un champ de blé. L’empereur Maximilien viendra voir la météorite exposée à la cathédrale d’Ensisheim, et le peintre Albrecht Dürer, qui a été le témoin de cet événement grandiose, gravera Melancolia. Comment explique-t-on le phénomène en cette fin de XVe ? C’est au moins un signe ! Et même, sans doute, un signe divin. Mais bientôt la science moderne mettra fin à toutes ces superstitions. Ouf ! l’Académie des sciences est créée par Colbert en 1666. C’est ainsi que cette noble institution – qui réfléchit et « se prononce » depuis lors jusqu’à aujourd’hui – expliqua en son temps que « les pierres ne peuvent pas tomber du ciel puisqu’il n’y a pas de pierre dans le ciel ».
Notre rapport à la médecine est notre astéroïde contemporain. Elle a fait naître une multitude d’académiciens, sans doute bien intentionnés, qui nous expliquent de quelle manière il est impossible que nous guérissions. Mais elle fait naître aussi des interrogations légitimes de la part de ceux qui cherchent, et constatent une amélioration de leur santé, par des moyens inexplicables selon l’Académie ou la Faculté. Le dialogue est depuis longtemps devenu difficile, quand il n’est pas interdit. Alors, tant pis pour le dialogue ! Ce qui est grave en revanche, c’est la mise en acte de l’interdiction. Depuis son avènement, l’institution scientifique a toujours dicté quelles voies, balisées par ses soins, il convient de suivre pour alléger notre détresse médicale. Le projet de loi du 15 novembre dernier, présenté par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, propose des mesures pénales qui poussent un cran plus loin la coercition, en visant les dérives sectaires qui « investissent notamment davantage les champs du bien-être et de la santé » [1]. Sans doute la secte des pierres qui tombent du ciel.
Les limites d’une vision académique de la santé
L’approche organiciste, dans sa méthode pour comprendre comment l’homme fonctionne, est approximative. On pourrait dire qu’elle comporte un « biais ». Extraire un organe de l’ensemble est certes utile pour organiser les chapitres de l’étude du corps humain au collège, mais crée une réalité trompeuse quant à son fonctionnement. Le découpage est arbitraire, abstrait et théorique. Découpage arbitraire, car il s’agit d’une décision subjective, dont l’apparente logique pourrait être facilement remise en question. Qu’on demande à un spécialiste du pancréas de faire l’impasse sur les intestins, les articulations ou la psyché pose en effet de sacrés problèmes quand il s’agit de s’adresser à un être qui souffre. Le détail masque l’ensemble ; on perd de vue le système, ainsi que l’âme qui le porte. Découpage abstrait ensuite, car isoler par analyse un élément du tout nous éloigne de la réalité du fonctionnement de la totalité. Or, notre expérience de malade est résolument concrète. C’est notre contingence malheureuse – quotidienne pour certains – dont nous ne pouvons nous défaire. Découpage théorique enfin, car la prédiction des phénomènes du vivant n’est pas garantie. La prétention à expliquer le vivant par une théorie s’est trop souvent contredite pour continuer d’y accorder une foi aveugle.
Le tout est plus que la somme des parties
En pratique, tout est imbriqué. L’homme est un tout. Adapter à un organe une thérapeutique dite symptomatique confronte les limites de cette vision parcellaire. Dans la vraie vie, il n’y a pas de cloison entre les organes, comme il y en a entre les spécialités. Les médications, ne pouvant atteindre un seul organe – comme si on avait affrété pour lui un vol direct sans escale –, atteignent aussi le reste du corps. Le but poursuivi, ainsi que l’explication donnée au patient est « localiste ». On isole un symptôme, on le met entre parenthèse du reste, et on choisit de le traiter « en particulier ». Mais l’effet obtenu, lui, sera toujours général. Sans jamais remettre en question ce raisonnement bancal, ni la faille méthodologique qui lui est associée, on fera supporter les « effets secondaires » aux malades, comme s’ils étaient normaux. Un moindre mal indépassable en somme, dont il faudra bien nous accommoder. Or ce qui est vite expédié sur le plan du concept, ni nommé explicitement, ni analysé, ne pourra pas être dépassé. Dommage pour les patients. Et dommage pour ceux qui cherchent en dehors du cadre. Ceux dont le discours s’oppose à la doxa, et qui sont voués de ce fait à être surveillés pour leurs hypothétiques dérives sectaires. Rajoutez une pincée d’« énergie » à votre travail, et vous êtes fait ! Directement catalogués « allumés ». Pourtant, c’est factuel : l’homme est un tout électromagnétique. Le corps vivant est une matière électromagnétique porteuse d’énergie en mouvement. Nier la dimension énergétique de l’homme, maîtrisée par des médecines plurimillénaires, comme la médecine traditionnelle chinoise ou l’ayurveda, et explorée par les recherches contemporaines de Robert O. Becker ou du professeur Montagnier, paraît aussi arrogant que rétrograde.
Matérialisme biologique
Quid de la conscience ? La révolution scientifique du XIXe siècle a entraîné dans son sillage la médecine et la biologie, qui se sont alors orientées vers la détermination de la psyché par le soma. Les théories sur les localisations cérébrales et les apports de l’évolutionnisme ont accouché alors d’un nouveau courant philosophique : le matérialisme biologique, capable de freiner le spiritualisme, philosophie régnante à l’époque. Le matérialisme médical pose ainsi une base matérielle aux phénomènes psychiques, considérés comme de simples résultantes de processus physico-chimiques. Or l’inverse est vrai : l’activité mentale et la conscience, qui sont des processus spécifiques et propres à chacun, agissent sur le cerveau et le corps. C’est ce qu’a montré la psycho-neuro-endocrinologie, une voie de recherche interdisciplinaire qui explore, depuis le début des années 80, les interactions complexes entre le cerveau, le comportement et le système de défense du corps. La psycho-neuro-endocrinologie a prouvé que le système immunitaire n’est pas autonome. Des pensées, des images, des émotions, c’est-à-dire des événements mentaux subjectifs et non matériels, produisent des modifications dans le corps physique. En d’autres termes, notre conscience peut influencer notre santé après avoir été traduite chimiquement dans notre physiologie [2]. La recherche a ainsi mis en évidence ce que tous les pratiquants du monde entier – de sport, de méditation, de yoga, de techniques respiratoires diverses – savent déjà de façon expérientielle : notre esprit peut réellement moduler l’impact d’événements émotionnels stressants ou de sensations douloureuses.
Mais si cette philosophie matérialiste de la pensée s’entoure aujourd’hui de disciplines scientifiques – psychologie expérimentale ou neurosciences – elle ne répond toujours pas à la question fondamentale. Le cerveau est-il la cause de la conscience ? Car le matérialisme reste un postulat philosophique. William James, le père de la psychologie américaine insistait déjà à la fin du XIXe siècle sur le fait que les scientifiques ne pouvaient que décrire des corrélations entre la conscience et les phénomènes liés au fonctionnement du cerveau. L’esprit ne se réduit pas au neurologique, à moins de confondre « mental » et « cérébral ». Le prisme n’est pas la source de la lumière, il ne fait que la décomposer.
Explorer la possibilité de l’impossible
La conscience humaine a des ressorts cachés, parfois connus et admis, parfois incroyables au sens premier du terme. Un exemple consensuel : la publicité et les grands essais renforcent l’effet placebo [3]. Des observateurs curieux ont pu en effet s’étonner un jour de voir le pourcentage d’effet placebo grandir avec le temps. Comment expliquer cette tendance ? Il s’agissait tout simplement de la conséquence de l’autorisation qui avait été faite à Big Pharma de faire la promotion de ses produits par voie publicitaire. L’esprit des malades, sous l’emprise quasi hypnotique de toutes ces possibilités miraculeuses de se soigner, réagissait ! La conclusion à retenir est que nos croyances ou notre foi, modulent une sorte de pouvoir de guérison ou de morbidité, indépendamment des molécules utilisées.
Mais, un cran au-dessus des célèbres effets du placebo, il est impressionnant de constater que la conscience humaine peut affranchir le corps de ses limitations matérielles. L’Inde offre en général son lot d’étrangetés. La tradition indienne prétend par exemple, qu’en état de samadhi, le yogi peut arrêter les processus dans son incarnation physique à volonté. Ce qui est une culture pour les uns passe très souvent pour être une croyance naïve chez les autres. Nous pouvons tout à fait ne pas adhérer à cette philosophie, mais être curieux d’en vérifier la faisabilité dans notre monde en trois dimensions. Pour le moins, il s’agirait de la preuve ultime du pouvoir de la foi, qui s’illustre modestement dans l’effet placebo. Pourquoi dès lors ne pas en faire une expérimentation scientifique ? C’est ce qu’a tenté une équipe de médecins au Rabindranath Tagore Medical College and Hospital, à Udaipur, au Rajasthan, en Inde. Les exploits extraordinaires du yogi Satyamurti ont fait l’objet d’une publication scientifique. Ils ont été relatés dans le Journal of the American Heart Association en 1973 [4]. Yogi Satyamurti, soixante ans, a été confiné dans une petite fosse souterraine cubique de 1,5 mètre de côté, creusée dans une pelouse au milieu des bâtiments de l’institut, pendant huit jours. La fosse a été parfaitement scellée par des briques et du mortier de ciment. De nombreux examens de laboratoire ont été effectués avant et après cette période, et un ECG a été relevé en continu pendant cette période.
La figure A montre que l’ECG enregistré avant la fermeture de la fosse était dans les limites de la normale. Il a augmenté progressivement, atteignant une fréquence cardiaque de 250 par minute le deuxième jour, comme le montre la figure B. À la stupéfaction des experts médicaux, le tracé de l’ECG a été remplacé par une ligne droite à 17h15 le deuxième jour, comme le montre la figure C.
La communauté médicale est restée perplexe car la ligne droite de l’ECG s’est maintenue jusqu’au huitième matin. L’activité électrique est revenue environ une demi-heure avant l’ouverture prévue de la fosse. Après quelques perturbations initiales, une configuration normale est apparue. Aucune autre anomalie significative n’a été notée sur l’ECG (figure D). Enfin, lorsque la fosse a été ouverte le huitième jour, conformément aux instructions du yogi, l’ECG s’est à nouveau révélé normal (figure E).
Les médecins étaient stupéfaits car il était difficile de croire que le yogi ait pu arrêter complètement son cœur ou diminuer son activité électrique en dessous d’un niveau enregistrable [5]. Mais l’expérience, incroyable pour notre mentalité, a bel et bien été décrite scientifiquement. À sa lecture, plusieurs types de réactions sont possibles, certaines plus émotionnelles que rationnelles. Selon le chercheur en neurosciences Mario Beauregard, les croyants ne sont pas forcément ceux que l’on croit.
« Les vrais sceptiques mènent des investigations avec un esprit ouvert et objectif, motivés par la recherche de la vérité. Sans préjugés d’aucune sorte, ils privilégient une attitude de questionnement envers les faits et leurs interprétations et sont prêts à remettre en cause leurs propres croyances. Par contraste, les pseudo-sceptiques sont des croyants, résolus à défendre le matérialisme scientifique. » (Mario Beauregard [6])
En conclusion, il manque une donnée majeure à l’étude de la santé de l’homme. Il manque la notion de totalité, sans laquelle la compréhension de l’homme réel reste brouillée. Cette totalité est au moins de deux ordres. La dimension vitale tout d’abord. L’homme est plus qu’une addition d’organes visibles ; il est un système énergétique unique sur lequel il faut savoir intervenir. La dimension de son esprit – pour ne pas utiliser l’adjectif « spirituel » – ensuite. Ce petit quelque chose qui est aussi une autre totalité : celle d’une conscience dans un corps de matière, capable d’influencer la réalité (chacun à son humble mesure !). Observé obstinément depuis le prisme matérialiste, l’avenir de l’homme – compris comme une machine biologique – nous pousse sur la voie du transhumanisme, aux perspectives inquiétantes. Serait-ce donc notre attachement à la transcendance, si difficile à éteindre tout à fait, qui inquiète ceux qui nous gouvernent, au point de chercher à nous protéger des dérives sectaires dans le domaine de la santé ?