Je vais prendre le risque de pénétrer sur le terrain des orientalistes, afin d’avancer l’idée d’une alliance naturelle des Britanniques, des USA, d’Israël et des pays du Golfe, contre un groupe de pays constitué de la Palestine, du Liban, de la Syrie et de l’Irak. L’étude critique de cette seule hypothèse devrait permettre, quoi qu’il en soit de la conclusion, de préciser le contexte des problèmes qui nous occupent principalement, en droit pénal et en droit international, concernant « le terrorisme », et de reconsidérer la position actuelle de la France dans le conflit.
Civilisation et barbarie
Dans une communication de 1921, l’islamologue français Louis Massignon faisait remarquer la diversité de comportement des Arabes face à la discipline militaire et devant le combat [1]. Il opposait le Bédouin au Mésopotamien. « Les troupes en Mésopotamie, écrivait-il, sont très supérieures aux troupes arabes que l’on peut recruter ailleurs. Il est à peu près impraticable de faire, des troupes bédouines d’Arabie, des troupes régulières. D’abord, les Bédouins ne veulent pas d’un costume uniforme et il est impossible de leur faire accepter l’uniforme militaire ; ils font la guerre de partisans ; ils ne veulent pas marcher en ordre ; ils ont le courage qu’a le nomade au désert ; il tire par surprise et il se sauve. Il est impossible de leur faire tenir une tranchée. Et puis, il y avait des danses de guerre, qui intervenaient certains jours dans les exercices militaires. Mais il en est tout autrement des Mésopotamiens qui forment une infanterie un peu lourde mais résistante, et quand on remonte vers le nord, de Bagdad à Samarra et Mossoul, l’on a de vrais soldats arabes. »
Dans le contexte actuel, qui voit Liban, Syrie et Irak agressés par des organisations terroristes dirigées pour la plupart de l’Arabie Saoudite et du Qatar, cette observation rejoint de nombreuses remarques que m’ont faites des Syriens, des Libanais et des gens qui sont sur place. Si l’on extrapole l’observation de Massignon, on peut dire que derrière la distinction du Bédouin d’Arabie et de l’Arabe de Mésopotamie ce qui est sous-jacent c’est la distinction des peuples sédentaires et des peuples nomades. Les premiers sont majoritairement présents sur tout un côté du Croissant fertile : en Palestine, au Liban, en Syrie et en Irak ; les seconds sont essentiellement présents dans le désert et le golfe arabique : en Jordanie, en Arabie Saoudite, au Qatar, dans les Émirats arabes unis, au Koweit, dans une partie du Yémen et du sultanat d’Oman.
Pour nombre de Français de souche qui confondent encore Maghrébins, Berbères, Arabes, Turcs et Iraniens, la ligne de fracture peut être difficile à concevoir. Elle est profonde pourtant. Il s’agit d’une ligne qui sépare le civilisé du barbare. Les peuples sédentaires sont les héritiers de millénaires de civilisation. Ce sont les terres qui ont connu les premiers linéaments de l’urbanisme, les débuts de l’agriculture, de l’industrie, et de tout ce que ces événements accompagnent : écriture, comptabilité, pouvoir politique séparé, esclavage, monnaie et armée de métier. Leur habitus est celui de la distinction du militaire et du civil, de la déclaration de guerre et du traité de paix. Par contre, les peuples nomades sont connus de tous temps pour leur habitus propre, resté celui du pillage, du coup de main, de l’action clandestine, de l’implication de tous et de chacun dans des opérations qui ne connaissent pas de distinction entre public et privé, État et clan, civil et militaire, et qui peuvent, dans les hostilités, aller jusqu’à l’extermination complète de la population ennemie. D’un côté séparation du clanique et de l’étatique, respect de la femme, de l’enfant et du vieillard, de l’autre indistinction du clanique et de l’étatique, mépris pour le droit de la guerre.
La guerre moderne
Reprenons les choses du côté occidental. Depuis plusieurs décennies, le phénomène du partisan, que l’on appelle tantôt terroriste, tantôt résistant, est reconnu comme un élément majeur de la guerre moderne. Les nombreux travaux qui lui ont été consacrés ont permis de repérer les liens de ce phénomène avec les guerres révolutionnaires. Chacun a en tête la guérilla espagnole contre Napoléon ou le drame vendéen, jusqu’à la guerre du Vietnam en passant par la Seconde Guerre mondiale et l’Algérie. C’est à Carl Schmitt, auteur d’une Théorie du partisan [2], que revient le mérite d’avoir attiré l’attention sur ce qui représente plus qu’une connivence, une identité, entre la mentalité anglo-saxonne libérale, et la manière de mener les guerres de façon totale, y mêlant économie, morale et droit, sans aucun respect ni pour la moindre règle, ni pour l’ennemi [3]. Schmitt a examiné comment Lénine avait exploité les conceptions de la guerre exposées par Clausewitz, pour lier le communisme et le terrorisme international. Alliage perfectionné par Mao Tsé Toung. Savoir de la guerre psychologique intégré par les officiers français, qui avaient connu la guerre d’Indochine et les événements d’Algérie, et qui ont enseigné les fruits de leur expérience aux militaires états-uniens, déjà bien sensibilisés à la question de la guerre totale par les guerres indiennes et par la guerre de Sécession [4]. D’où ont émergé les doctrines de la guerre dite « moderne », ou G4G (guerre de quatrième génération), parfaitement cohérentes avec le nouvel ordre mondial qui s’impose depuis Nuremberg, et dont crime contre l’humanité et terreur nucléaire sont parmi les composantes les plus essentielles.
Il est bien possible que, sur un terrain proche-oriental déjà balayé par les vents de la révolution communiste et du capitalisme sauvage, les conceptions de la guerre terroriste aient trouvé, avec les populations arabes et sémites de tradition nomade, un terrain propice. Transposées des causes démocrate et communiste à un certain Islam, ces doctrines criminelles ont pu trouver dans certaines populations arabes un terrain bien disposé. Nous songeons à l’alliance entre le protestantisme anglo-saxon, le sionisme et la secte wahhabite [5]. Dès 1978, les Américains ont exploité ce filon, pour mener en Afghanistan une guerre contre l’URSS.
Les troupes terroristes actuellement à l’œuvre en Égypte, au Liban, en Syrie et en Irak, entraînées et encadrées pour certaines par des instructeurs et des conseillers américains, français et israéliens, sont en majeure partie composées de Saoudiens, de Jordaniens, de Qataris. Au tout début du « printemps arabe », en 2011, les prisons de ces pays ont été vidées pour fournir les contingents. La place des « djihadistes » français, pour la plupart d’origine maghrébine, y est marginale, et leur rôle négligeable. L’argent de cette guerre, son financement et son équipement (y compris la drogue), depuis 2011, vient aussi des pays du Golfe. Mais la propagande, surtout, vient de l’Arabie Saoudite, du Qatar et des Émirats arabes unis. Ce n’est pas une propagande proprement islamique, mais une propagande sectaire. Non pas religieuse, mais politique.
Résumons-nous. La ligne de fracture place d’un côté le Palestinien, le Libanais, le Syrien et l’Irakien, auxquels il faut ajouter l’Iranien et l’Égyptien, de l’autre le Saoudien, le Qatari, le Jordanien et l’Israélien. À ce dernier groupe il faut ajouter, allié de circonstance, la Turquie et tous les pays turcophones dont la population demeure fidèle aux traditions nomades de la steppe (une aire géographique qui va jusqu’au Xi Xian, en Chine). La France est traversée elle aussi par une fracture, d’un autre genre, et la présence d’immigrés venus d’un Maghreb chamboulé complique encore sa position [6]. Mais dans le conflit de civilisation qui embrase le Proche-Orient, elle a pour le moment choisi le camp de la barbarie : elle est du côté du Qatar, de l’Arabie Saoudite, des Émirats arabes unis, de la Jordanie et d’Israël. Elle combat par conséquent, avec les armes préférées de ces pays, le massacre des populations et la terreur, l’Égypte, le Liban, la Syrie, la Palestine, l’Irak et l’Iran. Et en France même, nos gouvernants encouragent donc naturellement le développement de la propagande politico-religieuse de l’État d’Israël et des monarchies obscurantistes.
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