C’est ce mardi 8 décembre 2015 qu’avait lieu l’audience publique du Conseil constitutionnel concernant la Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) 2015-512 portant sur la loi Gayssot et posée par Vincent Reynouard. Même si rien ne semblait le faire paraître dans l’enchaînement presque scolaire des plaidoiries, l’imperturbable flegme des sages qui siégeaient ou bien l’atmosphère clinique des lieux, cette journée était historique. Peut-être même plus encore lorsqu’on devine que paradoxalement son issue ne le sera pas.
C’est l’avocat de Vincent Reynouard, Me Wilfried Paris, qui ouvre le bal. Et malheureusement – il semble cependant que des forces et des événements extérieurs et indépendants de sa volonté y aient contribué – on comprend rapidement que les arguments développés n’auront pas l’amplitude nécessaire pour faire plier le Conseil. Il manque ici toute l’argumentation et le développement juridiques que l’événement historique imposait. Passée par les fourches Caudines de la Cour de cassation mais miraculeusement transmise, cette QPC était peut-être la dernière chance de voir la loi Gayssot (en tout cas sous les régimes félons que nous connaissons) déclarée contraire à la Constitution.
S’engouffrant dans la Question prioritaire de constitutionnalité, pourtant portée par un horrible scélérat de la matière historique, plusieurs associations dont la cupidité le dispute à l’opportunisme, ne verront aucun problème moral à la soutenir... pour mieux défendre et amplifier la portée liberticide de la loi qu’elle prétend vouloir faire abroger, la loi Gayssot.
Mais c’est d’abord la LICRA et le MRAP, toujours très actifs pour défendre leurs intérêts, qui présenteront leurs arguments par l’intermédiaire de Me Spinosi. Pour lui, la loi est bien sûr parfaitement constitutionnelle et non seulement il indique qu’il ne craint pas la décision du Conseil constitutionnel (c’est étonnant) mais que ses clients l’attendent afin de pouvoir graver la loi Gayssot dans le marbre. Pour lui la France a une responsabilité morale dans ces crimes. Enfin, il ajoute que le négationnisme est nécessairement de l’antisémitisme. Pour tout cela le Conseil constitutionnel doit proclamer la constitutionnalité d’une loi donc juste et incontestable.
Mais la liberté d’expression n’est pas l’argument qui a motivé la QPC, l’atteinte à ladite liberté d’expression ayant été rejetée à maintes reprises par la Cour de cassation. Aussi l’argumentation de Vincent Reynouard ne consiste pas à invoquer la liberté d’expression mais bien plutôt la rupture du principe d’égalité dans le sens où la loi Gayssot, en condamnant la négation d’un génocide plutôt qu’un autre est contraire à ce principe. On ne trie pas les victimes, disait Me Vergès.
Et c’est bien cela que vont plaider, avec beaucoup plus d’arguments et de références, les avocats Me Krikorian et Me Kuchukian, dont les noms nous indiquent immédiatement quels sont leurs intérêts et leurs motivations : l’extension de la loi Gayssot au génocide arménien. En plaidant eux aussi l’inconstitutionnalité de la loi Gayssot, ils seront pour un moment les alliés objectifs de Vincent Reynouard. C’est donc bien une situation quelque peu ubuesque qui nous est présentée ici. Ce sera bien le seul sel de l’histoire.
À ce point de notre exposé, et à l’adresse de nos lecteurs novices mais intéressés par le sujet, rappelons pourquoi le Conseil constitutionnel qui avait été saisi pour le projet de loi de Valérie Boyer (2012) concernant l’extension de la loi Gayssot au génocide arménien l’avait considéré comme contraire à la Constitution. Le Conseil avait en effet rappelé que la loi Gayssot (précisément l’article 24bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse) se fonde sur le jugement d’un tribunal (celui de Nuremberg) et tire toute sa légitimité – et même sa légalité – de ce jugement. Or, en faisant référence à la loi de 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien par la loi française, l’article 24ter proposé par Valérie Boyer se fonde sur un crime que le législateur a lui-même reconnu. Or, ne pouvant être, en quelque sorte, juge et partie, le législateur ne peut condamner ce crime.
Me Krikorian va pour commencer critiquer cette décision du Conseil constitutionnel en soutenant que le législateur dans son travail quotidien fait application de l’incrimination par référence. Mais son argument principal est bien la transposition des règles européennes, et en particulier de la décision-cadre de 2008 dont le sous-paragraphe c) du paragraphe 1er de l’article 1er décrit les actes punissables suivants :
c) l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, tels que définis aux articles 6, 7 et 8 du Statut de la Cour pénale internationale, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe ;
Ce sous-paragraphe est bien sûr complété d’un paragraphe spécifique concernant le Crime des crimes :
d) l’apologie, la négation ou la banalisation grossière publiques des crimes définis à l’article 6 de la charte du Tribunal militaire international annexée à l’accord de Londres du 8 août 1945, visant un groupe de personnes ou un membre d’un tel groupe défini par référence à la race, la couleur, la religion, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, lorsque le comportement est exercé d’une manière qui risque d’inciter à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe.
Or la loi Gayssot, si elle prend bien en compte le point d), omet cependant de s’appliquer au point c). Il y a donc rupture de l’égalité par ce manquement qu’une transposition plus fidèle devra remédier.
En rappelant la décision-cadre européenne de 2008 [1], Me Krikorian sait qu’il peut toucher le Conseil constitutionnel, toujours séduit par les normes européennes et l’incroyable complexité de leurs transpositions en droit français, provoquant d’ailleurs des paradoxes insurmontables dont l’étude ou même l’énumération dépasseraient le présent article. Retenons ici ce que nos lecteurs savent déjà, c’est-à-dire l’insupportable pénétration de notre droit et de notre Constitution par un droit sans légitimité, celui de la puissance supra-étatique européenne dont la Cour de justice de l’Union européenne a toujours rappelé la primauté sur le droit français... Tout cela démontrant – s’il était nécessaire – qu’après les pertes de souveraineté monétaire, économique, ou démocratique (les magouilles entourant les élections régionales actuelles nous le rappellent), notre inféodation à une loi supérieure sur laquelle le peuple français n’a plus aucune faculté de se prononcer est désormais totale (rappelons que si les directives sont bien adoptées par le Parlement, la Commission a seule l’initiative de leur proposition au dit parlement).
Chacun venant servir ses intérêts bien sentis, c’est ensuite Me Barthélemy qui viendra plaider pour l’Association pour la neutralité de l’enseignement de l’histoire turque dans les programmes scolaires (sic !). Bien entendu, l’extension de tous les génocides à la loi Gayssot – au nom de l’égalité – ne faisant pas l’affaire de ses clients, celui-ci s’empressera de considérer que ladite loi est parfaitement constitutionnelle. Il ira même plus loin, l’occasion faisant le larron, en demandant (à juste titre, à notre avis) que le Conseil constitutionnel, au nom de l’exigence de normativité de la loi, censure cette loi purement déclarative de 2001 concernant la reconnaissance du génocide arménien par la loi française !
Enfin, l’agent du secrétaire général du gouvernement fermera le ban en rappelant que le législateur a évité d’instituer une vérité historique officielle consacrée par la loi en se reposant justement sur des condamnations judiciaires (l’article 6 du statut du Tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945) et que la loi Gayssot est un instrument complémentaire de lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
La décision du Conseil constitutionnel est attendue le 8 janvier. Il y a très peu de chances que la loi Gayssot soit reconnue inconstitutionnelle. Mais si d’aventure elle l’était, sachez que ce ne serait que pour laisser la voie libre au législateur pour une loi encore plus complaisante dans l’extension de sa définition et peut-être même de son caractère répressif. Mais cela signifierait aussi la fin d’une loi d’exception destinée à panser les blessures infinies et irréparables d’une communauté qui devrait dès lors renoncer aux délices d’une justice sur-mesure. Et cela, c’est encore moins probable.
La vidéo de l’audience :