Il résulte du rejet par le Tribunal administratif de Paris, le 19 décembre 2014, des requêtes déposées par les sept civils syriens victimes des agissements de Laurent Fabius, que dire du Front Al-Nosra qu’il fait du bon boulot en Syrie et attiser la guerre civile dans ce pays se rattache à la conduite de la politique extérieure de la France.
La question était de savoir si les agissements de Laurent Fabius relevaient ou non de la politique de la France. Le Tribunal avait le choix entre deux solutions.
La première consistait a reconnaître dans les actes de terrorisme commis par le ministre des fautes à lui personnelles, et non la politique de la France. D’où il résultait que l’État était responsable de la réparation de dommages causés par le ministre, selon une jurisprudence qui remonte a Léon Blum.
La seconde consistait à imputer les actes de terrorisme non pas à Laurent Fabius personnellement, mais au ministre ès qualité. D’où il résultait que commis au nom de l’État, et en quelque sorte par l’État lui-même, ces actes ne pouvaient pas être jugés par un tribunal administratif.
Les civils syriens victimes défendaient la première solution. La seconde était défendue par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius lui-même, qui, rejetant la faute sur l’État, faisait d’une pierre deux coups : échapper à toute culpabilité tout en écartant la compétence du juge.
C’est cette seconde solution que choisit le Tribunal.
Ainsi l’État français n’a pas à réparer les dommages causés en Syrie. Mais c’est au prix qu’au lieu d’être imputés au ministre personnellement, les actes de terrorisme sont désormais imputés à l’Etat. Le Tribunal administratif est certes incompétent, mais la France relève désormais de la Cour internationale de Justice.
Damien Viguier
Grenoble, 21 décembre 2014
Annexe : la décision
Les civils syriens relevaient que le 29 mai 2012, le ministre des Affaires étrangères a promis que la France interviendrait contre le régime syrien ; qu’il a déclaré le 17 août 2012 en Turquie que Bachar El Assad ne méritait pas d’être sur terre ; le 14 décembre 2012 que le front Al-Nosra faisait du bon boulot ; le 13 mars 2013 que la France et la Grande Bretagne allaient livrer des armes aux rebelles ; que la France a appelé le 22 août 2013 à une réaction de force contre le régime syrien.
Le Tribunal administratif rejette les sept requêtes aux considérants suivants :
« 1. Considérant que, pour demander au Tribunal de condamner l’État français à lui verser un euro à titre de dommages et intérêts, la requérante fait grief au ministre des Affaires étrangères et du développement international d’avoir, par ses déclarations et ses prises de position entre mai 2012 et août 2013, attisé la guerre civile en Syrie et encouragé la lutte armée contre le pouvoir en place ;
Concernant Joumana Al Kassem : qu’elle allègue que son attitude est directement à l’origine de la mort de ses deux fils lors de violences survenues le 19 juin 2012 dans le quartier de Koudsaya Jamiyat à Damas ;
Concernant Hnein Thaalab : qu’il allègue que son attitude est directement à l’origine d’un massacre et de violences perpétrés le 5 septembre 2013 par des bandes armées de Jabhat Al-Nosra dans la ville de Maaloula, dont auraient été victimes certains de ses parents et de ses proches ;
Concernant Mohammed Al Ibrahim : qu’il allègue que son attitude est directement à l’origine d’un massacre et de violences perpétrés le 10 septembre 2013 par des bandes armées de Jabhat Al-Nosra dans la localité de Maksar al Hisan, dont auraient été victimes certains de ses parents et de ses proches ;
Concernant Thabet Darwich : qu’elle allègue que son attitude est directement à l’origine d’un massacre et de violences perpétrés le 4 août 2013 par des bandes armées de Jabhat Al-Nosra dans plusieurs villages de la région de Lataquieh Nord, dont auraient été victimes certains de ses parents et de ses proches ;
Concernant Amer Raddah : qu’il allègue que son attitude est directement à l’origine d’un massacre et de violences perpétrés le 21 octobre 2013 par des bandes armées de Jabhat Al-Nosra dans la ville de Sadad, dont auraient été victimes certains de ses parents et de ses proches ;
Concernant Talal Salim : qu’il allègue que son attitude est directement à l’origine d’un massacre et de violences perpétrés le 4 août 2013 par des bandes armées de Jabhat Al-Nosra dans un village de la commune de Lataquieh, dont auraient été victimes certains de ses parents et de ses proches ;
Concernant Nawar Ali Darwich : qu’il allègue que son attitude est directement à l’origine d’un massacre et de violences perpétrés le 4 aout 2013 par des bandes armées de Jabhat Al-Nosra dans un village proche de Lataquieh, dont auraient été victimes certains de ses parents et de ses proches ;
2. Considérant que les déclarations et prises de position critiquées se rattachent à la conduite de la politique extérieure de la France ; que la réparation des préjudices qui auraient pu en résulter pour la requérante échappe à la compétence de la juridiction administrative ; que la requête, y compris les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peut qu’être rejetée. »