Le présent texte est une analyse et une tentative d’identification des causes premières et endogènes de la crise du monde musulman et plus particulièrement de son centre historique et géographique arabo-musulman.
Dans mon livre Occident et Islam – Sources et genèse messianiques du sionisme (2015), je me suis attaché à étudier et exposer, entre autres choses, les causes exogènes de la décomposition du monde arabo-musulman. Dans mon second ouvrage Les mythes fondateurs du Choc des civilisations [1] (2016) j’ai consacré un chapitre aux causes endogènes de la crise politique et religieuse (la seconde étant cause de la première) de cette aire civilisationnelle, en faisant le diagnostic des conséquences historiques de mouvements dont j’ai retracé la genèse dans Occident et Islam, à savoir le réformisme islamique, le wahhabisme et le nationalisme arabe.
Ce qui manque notamment au monde musulman, c’est un travail de profonde compréhension des racines de ces processus historiques dont les idéologies modernes sont le moteur.
Idéologies modernes que les penseurs du monde musulman ne semblent pas vouloir étudier et remettre en question (sinon partiellement) ; une étude sans laquelle on ne peut véritablement guérir le cancer qui conduit le monde musulman vers l’effondrement.
Je vais tenter ici de livrer une explication et une interprétation historique basées sur mes recherches.
Religion et civilisation
Comme l’a très bien expliqué l’anthropologue et psycho-sociologue Gustave Le Bon, « les croyances générales sont les supports nécessaires des civilisations ; elles impriment une orientation aux idées et seules peuvent inspirer la foi et créer le devoir. Les peuples », explique-t-il, « ont toujours senti l’utilité d’acquérir des croyances générales, et compris d’instinct que leur disparition devait marquer pour eux l’heure de la décadence »… [2]
Et le monde musulman ne fait pas exception à cette règle…
Avant l’avènement de l’islam, les Arabes ne constituaient nullement une nation, ils étaient divisés en de multiples tribus, se faisant la guerre les unes les autres, et vivant selon des mœurs que l’on peut qualifier de « sauvages », tel que l’a fait le grand historien et père de la sociologie Ibn Khaldûn (1332-1406) :
« Les Arabes sont une nation sauvage aux habitudes de sauvageries invétérées. La sauvagerie est devenu leur caractère et leur nature. Ils s’y complaisent, parce qu’elle signifie qu’ils sont affranchis de toute autorité et de toute soumission au pouvoir. Mais cette attitude naturelle est incompatible et en contradiction avec la civilisation… En raison de leur sauvagerie innée, ils sont, de tous les peuples, trop réfractaires pour accepter l’autorité d’autrui, par rudesse, orgueil, ambition et jalousie. Leurs aspirations tendent rarement vers le même but… Une nation dominée par les Arabes est dans un état voisin de l’anarchie, où chacun s’oppose à l’autre. Ce genre de civilisation ne peut durer : elle court à sa perte aussi vite que l’anarchie elle-même… Il leur faut l’influence de la loi religieuse, par la prophétie ou la sainteté, pour qu’ils se modèrent d’eux-mêmes et qu’ils perdent leur caractère hautain et jaloux. » [3]
C’est le Prophète Muhammad et la religion musulmane qui ont mis un terme à cette anarchie tribale en unifiant les Arabes nomades et sédentaires, les Arabes du nord et du sud, autour du concept d’unicité divine (tawhid).
Mais quelques années après la mort du Prophète, les anciennes rivalités tribales ressurgirent et alimentèrent les schismes religieux, et par suite, les conflits politiques, de l’Espagne [4] à l’Irak, en passant par l’Arabie et la Syrie [5].
La culture profondément tribale des Arabes avait relativement miné le monde musulman. Mais la civilisation islamique, forte des anciens peuples convertis, notamment Perses (à l’est) et Imazighen (Berbères, à l’ouest), avaient tempéré le tribalisme arabe par l’urbanisme et la sédentarisation, transformant les conditions de vies en général [6].
Le nationalisme arabe ou l’instrumentation du tribalisme arabe
Le tribalisme arabe est cette faiblesse héréditaire du monde musulman, auquel s’ajoute l’orgueil arabe, que les impérialistes ont essayé d’utiliser comme levier dès le début du XIXe siècle contre l’Empire ottoman et contre les Arabes eux-mêmes (ce qu’ils n’ont pas compris).
Le Général Napoléon Bonaparte, durant sa compagne militaire en Égypte (1798-1801), tenta d’appliquer cette stratégie en appelant les Égyptiens au patriotisme arabe, mais cela n’a eu chez ces derniers, qui ne comprenaient pas ce concept occidental moderne, aucun écho [7].
Une des raisons de cette incompréhension est que les Arabes, en tant que nation (et non en tant que « race »), appartiennent historiquement à la nation islamique, qui a intégré les Arabes aux autres peuples dans une communauté spirituelle et politique : la Umma. Sans cette nation religieuse, comme l’a expliqué Ibn Khaldûn, il ne peut exister d’unité arabe.
L’Histoire et la situation présente prouvent que ce grand visionnaire avait raison.
Le premier découpage du Proche-Orient
Durant le XIXe siècle, avant l’émergence du nationalisme arabe, les Britanniques, les Français, les Allemands et les Russes, ont déstabilisé le Proche-Orient à cause de leurs affrontements par communautés interposées pour le contrôle de la région. Chaque puissance étrangère basait son influence sur une communauté vivant dans l’Empire ottoman ; communautés qu’elles utilisaient comme outil stratégique et géopolitique [8].
À la veille et durant la Première Guerre mondiale, les Britanniques ont soutenu les autonomistes arabes (les Syriens en Égypte : Partie de la décentralisation ottomane) contre l’Empire ottoman, tandis que les sionistes négociaient avec ces Arabes pour établir une alliance afin d’expulser les Turcs de la Palestine et fonder l’État juif [9].
En encourageant l’autonomisme et l’indépendantisme arabe qui se transformera plus tard en panarabisme et en nationalisme arabe, les Britanniques et les sionistes n’ont pas seulement opposé les Arabes à l’Empire ottoman, mais aussi les différentes communautés arabes entre elles.
Par exemple, les sionistes ont favorisé le dialogue avec les Arabes vivant en dehors des territoires palestiniens pour isoler les Palestiniens ; et cette politique est restée la même jusqu’à nos jours [10].
L’objectif des sionistes était de pousser les Arabes, incluant les Syriens installés en Égypte, à se révolter contre l’Empire ottoman et l’expulser de Palestine, et ce sans l’accord des Palestiniens, appliquant la vieille stratégie du diviser pour mieux régner.
En 1913-14, les Britanniques ont encouragé la création d’une nouvelle société secrète – fondée par Aziz Ali al-Misri – recrutant des officiers arabes de l’armée ottomane [11] pour détruire l’Empire de l’intérieur. Les Britanniques ont suscité et largement utilisé le nationalisme arabe naissant pour démanteler l’Empire ottoman, en transformant l’autonomisme en nationalisme panarabe. Ils y sont parvenus en faisant miroiter aux Arabes la chimère d’un large et indépendant État arabe. Promesse non tenue des Britanniques dans le but de mobiliser les Arabes naïfs contre les Ottomans.
N’oublions pas qu’en 1917 le général britannique Allenby a pris Jérusalem avec l’aide des troupes arabes [12], ces idiots utiles du sionisme dont les héritiers contemporains sont les soldats des groupes terroristes de Syrie et d’Irak qui apportent leur contribution à l’établissement du Grand Israël.
Abolition du Califat, acte stratégique
Cette séquence historique s’est conclue avec l’abolition du Califat en 1924 par Mustafa Kemal (dont la famille serait juive et originaire de Salonique, fief des sabbatéens, d’après l’enquêteur Ömer Kazim [13]), membre de la secte des Jeunes-Turcs qui sont issus des Donmeh (descendants des disciples du kabbaliste Sabbataï Tsevi faussement convertis à l’islam pour le détruire de l’intérieur [14]). Les Jeunes-Turcs qui ont pris le pouvoir grâce au soutien des loges maçonniques européennes implantées en Turquie [15].
L’abolition du Califat ne fut pas seulement la destruction d’une institution religieuse pour faire entrer le monde musulman dans l’ère messianique de la modernité ; ce fut un acte hautement stratégique.
Après la destruction de l’Empire ottoman, la division du Proche-Orient (avec l’accord secret de Sykes-Picot, 1916), et la réactivation du tribalisme arabe, l’abolition du Califat était l’assurance de maintenir le monde musulman dans une division perpétuelle et empêcher toute perspective de reconstruction d’une unité des peuples musulmans (tout particulièrement au Proche-Orient) autour de la seule institution qui peut unifier politiquement ces populations avec leur diversité ethnique. Tandis que le nationalisme, les idéologies modernes comme le socialisme et le libéralisme, maintiennent, en Occident comme en Orient, les sociétés dans ce qu’on peut appeler « une division dialectique ».
Une des conséquences directes de l’abolition du Califat fut l’apparition de l’islam politique (qui a donné naissance aux Frères Musulmans) généré par le réformisme islamique qui est en réalité une réforme maçonnique de l’islam [16].
L’islam politique qui, au-delà des apparences, fonctionne symbiotiquement avec le nationalisme arabe, car ils sont historiquement et organiquement liés [17].