Mai 2018, Le Canard enchaîné révèle le talent inouï de Christian N. Ce responsable des ressources humaines du ministère de la Culture administrait du furosémide, un médicament diurétique (qui déclenche l’envie d’uriner), à des jeunes femmes reçues en entretien d’embauche. Il provoquait ainsi de pressants besoins qu’elles ne pouvaient assouvir. L’artiste pouvait alors les mater et les photographier.
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Mais la France de 2019 n’est plus la « mère des arts » chantée par le poète : la justice et la police se sont acharnées sur ce créateur hors norme. Des médias avides de scandales ont souillé sa réputation. Pourtant, qui peut en douter ? Christian N. n’était pas qu’un serviteur de l’État très bien rémunéré et abusant de sa situation. Il était aussi un plasticien ! Première conséquence, le dénigrement orchestré contre cette personnalité va éloigner à coup sûr un public pourtant assoiffé d’art contemporain de qualité.
Que s’est-il passé ? Trois fois rien.
Christian N. est l’archétype du professionnel de la culture enrichi sous les auspices de Jack Lang et de ses successeurs. L’homme avait un don pour s’élever aux premiers rangs d’un secteur surpeuplé de vils, de jaloux, de corrompus de toutes natures et de sodomites. Dans ces corporations, en interne, les manigances et le harcèlement sont la règle. En externe, la seule mission est de propager la morale des esclaves : l’amour du capitalisme spectaculaire marchand, des ratiocinations juives, des dandinements homosexuels et de l’aplatissement devant toutes les races extra-européennes.
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Christian N. était un humaniste capable de servir en même temps la France, les muses et la cause des femmes. Il a œuvré brièvement au Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Puis, soucieux d’apporter l’art d’avant-garde aux déficients, il a poussé l’apostolat jusqu’à s’enraciner en région Est. Il y occupait un poste de directeur adjoint à la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Mais le feu de l’amour le consumait. Il était artiste.
« Pisse-toi dessus ! »
La police a saisi un catalogue complet de ses créations, un remarquable fichier numérique. Tous les détails de ses « installations » artistiques y figurent. Au gré des lignes et des colonnes, Christian N. convie avec bienveillance l’amateur d’art à constater l’accueil des femmes aux entretiens d’embauche (des happening). Voici l’heure de la prise du traitement dans une boisson chaude. Dans cette case-là, le temps écoulé jusqu’aux effets... Cette démarche artistique ingénieuse est une incitation à se représenter les scènes cocasses qui découlent du dispositif mis en œuvre.
Artiste pluridisciplinaire, Christian N. nous confronte à des sensorialités féminines perturbées. Il interroge dans un même mouvement l’énergie vitale et la psyché des cobayes. En filigrane, il pose une question et une réponse très politique : « Tu veux bosser dans le culturel ? Pisse-toi dessus ! »
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Précision qui enchantera les initiés : ce tableau récapitulatif était intitulé Expériences. C’est aussi le nom du power trio légendaire de Jimi Hendrix. Ce n’est sans doute pas un hasard, car, dans l’œuvre de Christian N., il y a du psychédélisme, cet art du jaillissement sauvage provoqué par la prise d’un trip (pastille décontractante). Il y a aussi du Jackson Pollock dans cette approche trash pop. L’Américain est connu pour son geste libératoire, le dripping (action de fouetter la toile à l’aide d’une brosse à chiotte et de faire gicler les couleurs).
Christian N. testait des action painting encore plus radicaux. Son LSD à lui c’était du furosémide, qu’il administrait avec générosité. Soucieux de jouer avec les notions de hasard et de soulagement brutal, l’avant-gardiste ne prévenait pas ses sujets féminins. Sa toile, c’était les culottes et les pantalons des modèles. Son colori de prédilection, l’urine, une matière facile à travailler qui s’adapte bien aux supports surfaces et dont l’utilisation n’est pas sans évoquer le body art.
Pendant une dizaine d’années, entre 2009 et 2018, Christian N. a inventé en liberté. Il a attiré environ 200 personnes dans ses « mises en situations » décalées. Deux cents identités souillées, prisonnières d’un tableau ! Tout un univers enfoui dans un ordinateur payé par l’argent public ! Un réseau de sens et de signes tellement fécond ! Art Press, Télérama, Les Inrocks en sont pétrifiés. Vincent Lapierre peine à comprendre la démarche, mais envisage de consacrer un micro-trottoir à l’artiste.
- Le Jocond, œuvre pop-art
Christian N., pendant longtemps, a pu compter sur le soutien de son entourage professionnel ! Au ministère de la Culture, peu ignoraient ses recherches formelles et beaucoup les appréciaient. Sa gestualité novatrice lui avait valu le surnom de « photographe ».
D’ailleurs tout « cultureux » parisien qui se respecte s’est un jour ou l’autre gargarisé, au coin d’un buffet gratuit, à propos de Piero Manzoni. L’artiste italien a mis ses propres excréments en boîte de conserve dès 1961. En 2014, une de ses pièces a été vendue pour 160 920 euros.
En province, dans les DRAC, les FRACS (Fonds régionaux d’art contemporain), les écoles des beaux-arts et dans les cycles de formation aux métiers artistiques, le niveau n’est pas aussi élevé. Pour les petites mains de la culture, le travail de Christian N. évoque plutôt Katerine, le Carlos bobo. À la fin des années 90, Filou congelait ses excréments. Sans doute une manie d’affamé de fécal, une prétention à « l’expression de l’intime » par voie de buzz et... un clin d’oeil à Manzoni. On est loin des barbecues de Gilets jaunes !
- Loin des vernissages, les vrais artistes souffrent
Au ministère, rue de Valois, la réputation sulfureuse de Christian N. se répandait de bureaux en salles de réunion. En 2016, les ministres Fleur Pellerin et Audrey Azoulay, mais aussi la médecine du travail étaient alertées sur le phénomène. Bien entendu, aucune réaction, monde de la culture français oblige. Ce silence signifiait « Vas-y Christian, fais-toi plaisir ! ». Christian avait bien capté le message.
Christian N. ne fera pas de performances, tous frais payés, à la documenta de Kassel. Il ne bénéficiera pas d’une résidence au centre d’art contemporain conventionné de Cajarc. Le créateur a été suspendu en octobre 2018, révoqué de ses fonctions en janvier 2019, puis placé sous contrôle judiciaire. Les forces de la censure ne l’ont pas embastillé. Cela se comprend : il n’a quand même pas, comme Alain Soral, poussé la folie créatrice jusqu’à publier un clip de rap consacré aux Gilets jaunes. Il s’est borné à administrer des substances nuisibles, à commettre des agressions sexuelles, à porter atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation d’image, à commettre des violences en tant que personne chargée de mission de service publique. Rien, quoi !
Aujourd’hui, qui se lèvera pour défendre Christian N. ?
Peut-être Yann Moix, qui nous a régalé d’une œuvre picturale révolutionnaire. Très tôt, l’écrivain a été formé au bon goût par son propre père. Celui-ci, véritable artiste, inventait des assiettes d’excréments fouettés à la rallonge électrique. Le génial créateur de Podium (et lecteur de Charles Péguy) aura à cœur de relever un de ses frères persécutés.