Rendre hommage à Michel Georges Alfred Catty, alias Michou, le cabaretier bien connu de Montmartre c’est aussi redécouvrir un Paris à tout jamais disparu. Le Paname canaille et joyeux d’avant la vulgarité des gay-prides démocratisées, d’avant la hargne des associations LGBT et des diktats homosexualistes infligés au peuple. Michou, au-delà du personnage forcément caricatural, métier oblige, c’était « un homme, un vrai » comme disait de lui Jacques Brel. C’était un aventurier d’antan faisant feu de tout bois. Y compris de celui dont on fait les pipes.
Michou, le blondinet comprimé dans des vestes bleues s’est envolé. Ne soyons pas trop méchante : les derniers mois, la maladie lui avait refait une silhouette adolescente et un visage émacié de jeune premier... Pour le tour de taille, il pouvait presque en remontrer à Brigitte Macron. Justement, Maman est passée à l’improviste à son appartement montmartrois, pour une coupette de champagne, fin janvier. Peu après Michou, 88 ans, trépassait.
La première dame, bras-dessus, bras-dessous, avec Michou ? Pas surprenant ! C’est qu’il était en voie de récupération, le pépère. Une Folle de ce calibre, on ne pouvait pas la laisser délirer plus longtemps à l’écart dans son cabaret pittoresque. De gré ou de force, il fallait l’amener à la religion LGBT, le Michou, en faire une icône queer. D’accord, la rosette par Manu sur le perron de l’Élysée, il n’aurait pas dit non. Il avait déjà reçu la Légion d’honneur des mains de Chirac. Le ruban et le tiroir-caisse, ça va de pair. Ouf ! Le professionnel à lunettes bleues s’est tiré juste avant que le capitalisme-spectaculaire ne le bombarde compagnon de la libération de l’humanité.
Ce n’est que partie remise. Un jour il aura son biopic, le Michou. Tout y passera : les Stukas, en juin 40, bombardant la maison maternelle à Amiens, les premières turlutes parisiennes (« Je vivais de mes charmes » minaudait-il en poète), oui, tout sera bien mis-en-scène jusqu’à l’apothéose macronienne : Michou et Brigitte sur le canapé comme dans un sketch de travestis où un Benny Hill hilare flirterait avec une improbable Mireille Darc. Et puis rideau. Générique de fin : I will survive...
- Ultimes complicités avant le spectacle
Le mouvement d’émancipation n’oubliera aucune lope, qu’on se le dise. Il y aura des monuments aux morts dédiés aux Poilus qui s’aimèrent à Verdun juqu’aux trous de balles. Il y aura des brassées de fleurs jetées en mer « en mémoire d’Ousmane qui aurait bien pompé Djibril pendant que Soufiane attendait son tour... Mais... » poursuivra un préfet transgenre « des vents homophobes n’ont pas permis que la République accueillît en son sein ces petits garçons de la Méditerrannée ! »
Preuve supplémentaire de la canonisation en cours, Léa Salamé a reçu sa majesté dans Stupéfiant !, le « magazine culturel » de France 2. La présentatrice dentue surjoue la gourmandise :
« On ne pouvait pas faire une émission sur le genre sans vous avoir, vous... ce serait impossible ! »
Michou, sourire en pilotage automatique, récite son boniment. Oui, il a fait son premier spectacle de travestis en 68 « pour Mardi gras »... Ouh ! Là ! « Pour Mardi gras » ! On est loin du LGBTisme de combat requis. Salamé sent la dérive... Manquerait plus que Michou raconte ses messes du dimanche main dans la main avec Élise, la grand-mère adorée !
« Donc il n’y avait pas un acte politique de faire une maison pour faire des spectacles de travestis ? »
Michou bafouille : « Oh, non ! Pas du tout ! C’est moi qui l’ai créé. Je suis le pionnier... »
Il n’avait pas fait la plonge dès ses débuts sans apprendre à se jouer des cruches... Son vrai geste politique révolutionnaire quotidien c’était deux litres de champagne minimum. Quant au côté « pionnier »... Avec une Salamé, on peut avancer n’importe quoi.
- Diamantaire le jour, travesti la nuit : Schlomo a un numéro très spécial qui finit en nu intégral
Les premiers cabarets de travestis apparaissent à Montmartre au début des années vingt. À La Petite Chaumière, un certain Zigouigoui, fait merveille. Au Bœuf sur le Toit, on propose des numéros de danseuses lesbiennes. La chanteuse Yvonne Georges, bientôt tubarde mais toujours défoncée à l’opium, propage des atmosphères saphiques sur les scènes du théâtre de l’Empire ou au Moulin Rouge... Robert Desnos, amoureux forcément déçu, en écrit ses plus beau poèmes.
Puis c’est la grande époque. Les chanteurs Brancato et Charpini sont au programme de la revue Sex Appeal 32, au Casino de Paris. Ils sont aussi les vedettes de l’A.B.C. ou des Folies Bergère. Et tout le monde capte le message : « J’ai la voix tendre et on ne sait par quel bout me prendre... »
De son côté, O’dett met le feu aux cabarets de la butte puis au Liberty’s Bar, place Blanche. Il ouvre ensuite ses propres lieux, Le Fiacre, La Noce, où il mène sa politique – comme dirait Salamé – déguisé en châtelaine, en pucelle, en demoiselle, toujours poussant la chansonnette :
« Plus d’une fois un gars de la ferme, quand l’asperge sort du sillon, vient nous provoquer l’épiderme, mais nous n’y faisons pas attention... »
En 1956, Tonton de Montmartre est le héros du genre. Passons sur sa Croix de guerre avec deux étoiles, souvenir d’un séjour prolongé, entre hommes, au front de la « Der des Ders ». Il entre dans l’Histoire pour ses exploits dès les années 20, au Mimi Pinson puis au Bigoudi.
Le jeune Michou d’après la Libération est marqué à tout jamais par l’ambiance qui règne Chez Tonton, l’ex-Liberty’s Bar. Un établissement fréquenté par Cocteau, Colette, Piaf et où le personnel anime les soirées à grands coups de fines allusions, de sketches déshabillés et de déguisements.
En 1956, alors que Tonton quitte la scène en boitant, Michou récupère, enfin, une gérance, au 80 de la rue des Martyrs : ça y est ! Il est entrepreneur en fantaisies ! Mais un peu tard : la folie des cabarets s’estompe. L’époque est bientôt au rock’n’roll, à la télévision pour tous et aux boîtes de nuits autrement plus attractives qu’une bonbonnière à tantouzes...
À Montmartre, ça tourne tranquillou pendant que les Sixties explosent. La jeunesse traîne au Bus Palladium, à la Locomotive ou au Drugstore-Publicis. Mais plus ringard que Chez Madame Untel, ça n’existe pas, les copains ! Alors, en 1968, un peu par hasard, le patron abat son dernier atout et rebaptise l’endroit : Chez Michou ! La recherche du temps perdu, carrément ! Les plaisirs démodés de la jacquette ! Ambiance fofolle garantie, tortore de qualité suivie de numéros hénaurmes de travestis. Bingo ! C’est la recette gagnante. Michou est celui qui, seul contre tous, a maintenu haut le pavillon de la piraterie à l’ancienne.
Pendant les cinq décennies suivantes, en chef d’entreprise avisé, il fait prospérer son offre d’homosexualité vintage. Le lieu est « hétéro friendly » et bien tenu. Pas question de s’endoffer à la chaîne dans les toilettes ou de sniffer des rails dans le cul du voisin de table.
Michou mélange toutes les clientèles, parisiennes et provinciales, les célébrités et les anonymes. Chaque année des fermiers échappés du Salon de l’Agriculture, parfumés à l’eau de Cologne, viennent faire le plein d’images fortes avant de retourner au village souffrir en silence de la turpitude grecque. Le patron, à la sortie, brushing impeccable, après leur avoir mis son Menu Michou à 150 euros, a pour tous une gentille attention.
- Migration, le drame : « Ne meurs pas mon amouw ! J’ai wéservé Chez Michou ! »
Enfin, Michou, c’est l’artiste. Il a mis son gosier, qui en avait vu d’autres, au service de la chanson. Là encore, on retrouve les goûts solides de celui qui autrefois fut, un temps, carreleur... (Imaginez, deux secondes seulement, Michou en train de vous refaire la salle-de-bain !) Non, tant côté musique que soins capillaires, notre homme n’a pas cédé à la bestialité techno-militante. Michou ne donnait pas dans les facilités de saison, lui c’était Michelle Torr ou Nana Mouskouri. Il nous laisse un patrimoine immortel gravé sur une ultime compilation. Les fins lettrés y retrouveront son classique Je suis Fofolle et d’autres œuvres plus complexes mais toutes écrites aux sources de la tradition du rond qui fume.
C’est triste un hôpital pour mourir, homo ou pas. Le lit médicalisé, les machines qui bipent, le brassard pour la tension qui se serre automatiquement... la respiration lourde comme une pelletée de gravier. C’est triste un hôpital après plus de sept décennies de fiestas ininterrompues (Sept ! Quand même ! Respect...). Elles ont beau être gentilles les infirmières, mais les pantalons de toile verdâtre et les semelles en caoutchouc blanc ça vaut pas la grande Zoa et son pipeau.
On voudrait mettre un peu de solennité à son trépas, le proche est là qui vous tient la main... Michou avait le même colocataire depuis deux décennies... On voudrait dire une belle phrase mais le contexte est plutôt propice à une dernière chiasse... Il se murmure dans le service qu’il y a du décollage dans l’air. Pour tous ce sera à peu près le même cinoche.
C’est fini. Michou pousse son célèbre cri de guerre : « Youpi ! Quelle belle soirée ! » Trois anges sont déjà là qui entonnent du Ouvrard... Il reprend en cœur :
« Titi, Toto et Patata /
Font des petites manières /
Et marchent toujours comme ça. /
Ils poussent des "Ouh !", ils font des "Ah !" /
Des chichis des esbroufes et des tas de flas-flas »