La plupart des mouvements de contestation populaires ont été détournés par les gouvernements ou le pouvoir profond via leurs services ou au moyen de la radicalisation de ces mouvements. Cette technique qui vise à transformer un élan et une organisation sociale positifs en « casse » et casseurs est vieille comme le ministère de l’Intérieur.
Illustration parfaite avec l’histoire de la lutte contre l’aéroport de NDDL, la victoire des écologistes, et la poursuite de la lutte par des éléments incrontrôlables... par le mouvement écolo, pas par les officines du pouvoir profond. Le combat entre les zadistes récalcitrants à toute solution pacifique et les CRS serait-il factice ? Non, car le gouvernement ne peut pas faire autrement que d’envoyer les CRS contre les zadistes. Les forces de l’ordre officielles jouent donc un jeu truqué malgré elles.
Le pouvoir profond a tout à gagner dans cette confrontation sans vainqueurs, mais avec que des vaincus : les forces de l’ordre y sont épuisées dans des combats sans fin qui jaillissent de partout, la justice relaxant régulièrement les activistes, ces derniers servant bénévolement de nervis au pouvoir profond pour déconsidérer la vraie gauche sociale, celle qui prend en compte les besoins de la nation.
Il s’agit d’un désordre programmé qui permet d’affaiblir l’État de droit, de militariser le pays et de paralyser le progrès social.
Françoise Verchère « conjure ceux qui veulent vivre pacifiquement » de signer le formulaire préfectoral qui ouvrirait la voie de l’apaisement. Figure de la lutte anti-aéroport, elle ne mâche pas ses mots pour déplorer l’attitude de certains zadistes, qui refusent toute concession avant d’avoir pu « changer la face du monde ».
Françoise Verchère, vous avez été de tous les combats contre l’aéroport, pourquoi avoir quitté la délégation des opposants qui négocie encore avec l’État, ce mercredi 18 avril après-midi ?
Je vais dire les choses clairement : l’abandon de l’aéroport, un énorme morceau, la victoire première. Dans tous les conflits, c’est ce que l’histoire nous a appris, si on écrase totalement l’autre, on prépare son envie de revanche et donc la guerre d’après. Imaginer que l’État qui venait de lâcher l’aéroport en avalant de travers allait pouvoir laisser la route des Chicanes impraticable [1] pendant des mois, c’était une mauvaise analyse du rapport de force ! Sans compter que personne n’a voulu demander à la préfecture une autorisation d’occupation précaire.
C’est un point de bascule dans le chaos, la route des Chicanes ?
Bien sûr. Trois mois après l’abandon, elle était toujours fermée. Tout le mouvement a passé un temps infini à y travailler. On a fermé pendant une semaine pour nettoyer nous-mêmes, mais on savait qu’on se confronterait à ceux qui sabotaient la route. Résultat : la préfète n’avait aucune avancée concrète à présenter au gouvernement. Alors, il y a eu les gendarmes.
- Françoise Verchère pendant l’une des manifestations d’opposition au projet d’aéroport
N’est-ce pas parce que la Zad est un lieu de luttes politiques qui dépasse largement celle contre l’aéroport, et donc ne peut pas se contenter de l’abandon ?
Oui, il y en a qui poursuivent l’objectif immédiat de changer la face du monde. Ils pensent que parce qu’ils ont gagné contre l’aéroport, tout est ouvert. Ils se figent dans une posture qui ne permet pas de négociation. La vérité, c’est que la Zad a deux faces. Pendant des années, l’opinion publique n’en a connu que la sombre et j’ai passé mon temps à défendre la lumineuse. Là, on assiste à un renversement étonnant, où on ne voit plus que la lumineuse. Mais penser qu’il n’y a que le méchant gouvernement qui matraque et les gentils zadistes, ça n’est pas tout à fait vrai. Personne ne peut me suspecter d’être pro-gouvernement ni anti-zadiste. Mais je ne veux pas non plus que fassent la loi, sans la loi, les radicaux de la route des Chicanes avec lesquels je défie quiconque de passer une après-midi.
[...]
On est dans une situation de crise. La route n’est pas rouverte, aucun formulaire n’est signé. L’État ne peut pas attendre encore très longtemps. Même l’opinion publique ne le comprendrait pas. Mais voilà, dans la frange ingérable, il y a ceux qui ne veulent pas que la guerre s’arrête, il y a ceux qui rêvent de Mai 68, il y a ceux qui voudraient mettre sous cloche la Zad, symbole de la convergence des luttes. Je crains que nous ne payons collectivement cher notre victoire contre l’aéroport. Une victoire à la Pyrrhus.