Noël est juif, après tout ! C’est ce que découvre le héros de la comédie familiale Switchmas (Le Noël de mes rêves), un garçon juif nommé Ira Finkelstein, qui désespère de fêter Noël et qui un jour apprend avec ravissement, de la bouche d’un Père Noël juif, que tous les chants de Noël qu’il aime ont été écrits par des juifs. C’est le cas en effet des grands succès américains de Noël.
Vous aviez déjà remarqué qu’il existe deux sortes de chants de Noël : les chants chrétiens, qui parlent de l’enfant Jésus, et les chants américains, ceux que vous entendez désormais sur la plupart des marchés de Noël, qui parlent de neige, de rennes au nez rouge, de châtaignes et de câlins au coin du feu. La plupart ont été composés par des juifs, à quelques notables exceptions près comme Jingle Bells. On doit à Irving Berlin, par exemple, le grand classique White Christmas, mais aussi Easter Parade pour Pâque. Philip Roth, considéré comme l’un des plus grands romanciers post-modernes (sans doute pour sa haine obsessionnelle du chrétien), trouve cela ironique et rassurant à la fois, dans son best-seller Operation Shylock (qu’il décrit comme une « confession, pas un roman ») :
« Les deux fêtes (Noël et Pâque) célèbrent la divinité du Christ, et que fait Irving Berlin, avec génie ? Il les déchristianise. Pâque devient un défilé de mode et Noël des vacances dans la neige. Fini le meurtre sanglant du Christ, fini le crucifix et vive le bonnet. Il a transformé leur religion en pacotille [schlock, en yiddish dans le texte]. Et joliment ! Si le christianisme de pacotille est le christianisme nettoyé de la haine du Juif, alors hip hip hip hourrah pour la pacotille. Si remplacer Jésus Christ par la neige peut permettre à mon peuple de se sentir à l’aise à Noël, alors Let is snow, let is snow, let it snow. Vous voyez ce que je veux dire ? J’ai ressenti plus de fierté pour Easter Parade que pour la victoire de la Guerre des six jours, j’ai trouvé plus de sécurité dans White Christmas que dans le réacteur nucléaire israélien. »
Ne vous avisez pas, si vous n’êtes pas juif vous-même, de répéter que les juifs de l’industrie du spectacle ont déchristianisé Noël. D’une manière générale, ne vous avisez pas de dire que les juifs d’Hollywood sabotent les valeurs traditionnelles des nations chrétiennes.
Il n’y a que deux façons politiquement correctes de parler d’Hollywood. Vous pouvez faire l’éloge des fondateurs de cette industrie qui a façonné les valeurs de l’Amérique et les incarne aux yeux du monde. Et alors, vous rendrez hommage à l’esprit d’entreprise et la créativité de ces juifs fraîchement immigrés d’Europe de l’Est, qui ont bâti ce monde de rêve.
C’est ce que fait Neal Gabler dans An Empire of Their Own : How the Jews Invented Hollywood (traduit en français sous le titre Le Royaume de leurs rêves. La saga des Juifs qui ont fondé Hollywood, Fayard, 2014), dont voici le résumé Amazon :
Hollywood, qui a incarné les États-Unis au point d’être considéré aujourd’hui par certains comme le vecteur principal de l’impérialisme culturel américain, a été fondé dans les années 1920 par des immigrants de fraîche date qui, pour certains, parlaient un anglais approximatif. Les frères Warner, Carl Laemmle, William Fox, Harry Cohn, Samuel Goldwyn, Louis B. Mayer, Irving Thalberg, Adolph Zukor et d’autres, étaient nés dans des communautés juives d’Europe centrale marquées par la misère et les pogroms, mais habitées par une culture vivace et pleine d’humour. Sentant avant tout le monde que la société de consommation naissante devait se nourrir aussi de rêves, ils bâtirent des empires dont les noms sont devenus mythiques : Twentieth-Century Fox, Columbia, MGM, Universal. Ils eurent ainsi l’audace de forger leur propre conception du rêve américain : celui d’un pays plus accueillant, plus tolérant, plus juste et plus optimiste qu’il ne l’était vraiment. Cette vision, véhiculée par leurs films, se diffusa dans la culture américaine, contribua à la définir et finit même par l’incarner aux yeux du monde. C’est l’histoire de ces aventuriers improbables devenus des géants et parfois des monstres qui nous est contée ici.
Ou alors, vous pouvez vous lamenter sur la corrosion des valeurs traditionnelles américaines par l’industrie d’Hollywood depuis les années 1960. Mais alors, vous omettrez soigneusement de dire qu’Hollywood est, plus que jamais, contrôlé par des juifs. C’est ce qu’a fait Michael Medved dans un autre best-seller, Hollywood vs. America : Popular Culture And The War on Tradition, dont voici le résumé traduit :
Pourquoi notre culture populaire semble-t-elle systématiquement hostile aux valeurs chères à la plupart des Américains ? Pourquoi l’industrie du spectacle doit-elle attaquer la religion, glorifier la brutalité, dénigrer la famille et ridiculiser le patriotisme ? Dans ce livre explosif, l’un des meilleurs critiques cinématographiques examine comment Hollywood a rompu le contrat avec son public, pour créer des films, de la télévision et de la musique populaire qui exacerbe tous les problèmes sociaux, de la grossesse adolescente à la violence urbaine. [...] Medved montre qu’Hollywood méprise et agresse les valeurs des familles américaines ordinaires et promeut une idéologie auto-destructrice qui est néfaste à la nation.
Vous l’aurez deviné, Michael Medved appartient à la catégorie des intellectuels zemmouriens, qui cachent un petit Sefer Torah sous leur chemise. Né de parents juifs allemands et ukrainiens, il appartient à un judaïsme orthodoxe engagé dans le prosélytisme auprès des juifs émancipés, et préside une synagogue de cette tendance en Californie... pas très loin d’Hollywood. Comme tous les néoconservateurs de son espèce, comme Zemmour, il joue les grands patriotes en dénonçant le suicide (« l’auto-destruction ») de la nation par les valeurs libérales.
Bien évidemment, Medved ne cite pas Gabler, et Gabler ne cite pas Medved. Ils ne se connaissent pas, ils ne parlent pas de la même chose. Tout rapprochement entre leurs discours serait antisémite. C’est toujours la même règle intangible : si c’est bien, souligner que c’est juif et faites rejaillir la gloire sur les juifs en général ; si c’est mal, ne jamais dire que c’est juif, ça n’a rien à voir.
Laurent Guyénot