Un corps de rêve, c’est du boulot. Même si on a l’impression que cette fitness victime essaye surtout de se péter les veines. Le culte du corps ne date pas d’aujourd’hui. Dans l’Antiquité, déjà, les soldats romains bénéficiaient d’un programme d’entraînement et de nutrition de haut niveau. Les produits étaient peut-être plus purs, mais la vie plus dure aussi. Aujourd’hui, les connaissances sont telles qu’on peut arriver à savoir assez précisément ce dont chaque corps a besoin, en fonction de ses particularités. Encore faut-il aller les chercher, ces connaissances. Et traverser le rideau de propagande publicitaire massive de l’industrie agro-alimentaire.
Les nutritionnistes honnêtes et compétents (il y en a) sont en mesure d’établir des programmes hyperpersonnalisés. On se retrouve alors à manger des trucs bizarres, mais qui ont du sens : baies de goji (garantie 100 % centenaires), graines de courge (bonnes pour la prostate), wakamé (algues riches en oligo-éléments), pollen (défenses naturelles), curcuma (anticancéreux de première), foies de poulet (des protéines pas chères et bourrées de vitamines B1 et C), polenta (sucres lents), pain de seigle (moins glucidique que le blé), spiruline (top en fer et B12), huiles de colza ou de noix (oméga-3 et 6 et 9)… Et tout ça sans dépenser plus qu’une pizza Carrefour.
On assiste donc à un retour aux produits bruts, dits aussi naturels, qui ne sont logiquement pas promus par la publicité, à l’inverse des produits transformés de l’industrie agro-alimentaire. Il faut les chercher soi-même. En les connaissant mieux, on peut reconstruire la base d’une alimentation personnalisée. On découvre alors ses allergies (classiques comme le lait ou le gluten, mais aussi plus étranges comme le requin ou les cèpes), et plus globalement, ce qui nous fait du mal et ce qui nous fait du bien. Concrètement, un individu à terrain « foie » ira vers un repas idéal carottes râpées, foie de morue, anguille (si possible, mais c’est cher), arrosé de jus de myrtilles. Tous sources de vitamines A, bénéfiques pour la vue.
Ces produits ont une utilité maximale quand ils sont utilisés au bon moment. Les produits de saison répondent à nos besoins saisonniers à l’endroit où l’on vit. Par exemple le radis noir en intersaison, qui se trouve en automne et au printemps. Ce dépuratif hépatique nettoie le foie, comme le fenouil ou l’artichaut. Quelques rondelles crues trempées dans du tamari (jus salé de soja naturellement fermenté), et le tour est joué. Là aussi, radis noir, prix dérisoire.
Inversement, tout ce qui avait mauvaise réputation, comme les matières grasses, retrouve une seconde vie. Le beurre et son apport en vitamines A, mais surtout les huiles, véritable redécouverte de ces 20 dernières années. Aujourd’hui, tout le monde sait qu’il vaut mieux cuisiner à l’huile d’olive plutôt qu’à l’huile de moteur espagnole. Les huiles et leurs propriétés antioxydantes, anti-radicaux libres, avec effet positif contre le vieillissement et le stress, sans oublier leur apport dans l’irrigation du cerveau. Avant cela, les huiles de tournesol industrielles, dénuées de tout intérêt nutritif, tenaient la corde. C’était pas cher, ça sentait pas, et y en avait à profusion. Oui, mais c’était de la merde. Et les gens ont acheté, sans savoir, ou sans vouloir savoir, de la merde pendant des années. Ce qui n’a pas empêché les enfants de pousser ou les adultes de survivre, bien au contraire. Un productivisme en partie à l’origine de l’explosion de nouvelles maladies, cardio-vasculaires et cancéreuses.
Sans aller aussi loin, puisque c’est à la limite de l’indémontrable, il est quand même plus difficile aujourd’hui d’arnaquer le consommateur. On peut manger mieux et moins cher qu’avant, c’est-à-dire moins transformé. En faisant presque tout soi-même, bien entendu. Les bons produits reviennent sur le marché, et les marchés locaux, sous la pression de la demande. Les industriels s’y intéressent, à ce qui n’était encore que des produits de niche, c’est-à-dire non générateurs de profit. Personne ici n’ignore les excès du « bio », qui a été foutu à toutes les sauces, et recycle beaucoup de composants douteux dans la biscuiterie, par exemple, qui rassure les mamans pour le goûter de leurs enfants. Peu à peu, l’information circule, touchant par cercles concentriques de plus en plus de gens.
Les aliments deviennent des médicaments, qu’on appelle aussi alicaments, mais le nom n’a pas pris. La famille miel/pollen/gelée royale (la méthode de rajeunissement de Drucker)/propolis, malgré les désagréments de nos amies les abeilles et la difficile reprise des sociétés familiales d’apiculture, revient en force. Propolis ? Antiseptique naturel qui accélère la cicatrisation, flingue les maux de gorge et la toux, quand on la prend sous sa forme de gomme jaune. Aussi dégueulasse qu’efficace. Plus pointus encore : les probiotiques (bactéries renforçant le système immunitaire), qu’on ingère en compléments alimentaires à l’automne. Les yaourts ne suffisent plus : les produits laitiers sont trop trafiqués. Les fabricants de laitages mettent les probiotiques de côté pour les vendre à part, en pharmacie ou magasins bio. Toujours faire gaffe aux effets d’annonce industriels.
On pourrait écrire un livre entier sur les vertus des plantes : romarin, thym, les infusions d’eucalyptus qui permettent de déboucher le nez, de dégager la sphère ORL en hiver, pas besoin de médicaments aussi addictifs qu’inefficaces. Dans ce domaine, il est conseillé de maîtriser les huiles essentielles, qui peuvent s’ajouter à la trousse homéopathique et aux compléments alimentaires.
La connaissance s’exerce sur les nouveaux produits, comme sur la redécouverte des anciens. Ainsi, l’ail revient en force, en tant que vaccin naturel. Une purée d’ail (mettre une tête complète au four ou au cuiseur vapeur) à manger à la petite cuiller sur ses plats préférés à l’approche de la saison des virus permet de passer une partie de l’hiver tranquille. Toujours dans la famille bouffe décotée, il y a les herbes à mémés : persil (dépuratif bombe de vitamines C excellent pour le système circulatoire), cresson, orties et pissenlit (ces super diurétiques), et leurs trésors de vitamines. A déguster en soupes, qui ont sale réputation et sale gueule. Graines, fruits secs et racines ne sont plus oubliés : amandes, noisettes, figues séchées, gingembre (facilite la digestion) et curcuma (anticancéreux), ces deux racines magiques.
Rassurez-vous, on ne va pas tomber dans l’énumération des bienfaits des produits bruts du monde entier (ah, la larve du charançon congolais, réserve de protéines super grasses à servir frite avec le fufu national, un délice), les journaux féminins s’y sont mis, et les femmes ont une bonne longueur d’avance sur les hommes dans ce domaine. Malgré tous les efforts de Caroline Fourest, les femmes demeurent les spécialistes de la connaissance et du choix des produits, donc de la cuisine, ce qui explique que toute la puissance publicitaire est dirigée sur elles, ou contre elles. Les contraintes économiques et sociologiques (c’est lié) ont réduit l’autoproduction familiale de nourriture : beaucoup plus de célibataires, avec beaucoup moins de temps pour faire la cuisine. Le repas familial maison à base de produits bruts rapportant moins au système, ce dernier vise la consommation de célibataires pressés. La famille de quatre enfants bouffait une soupe de légumes de grand-mère avec des pâtes et du jambon, plus des pommes, le tout arrosé de flotte du robinet ; la célibataire parisienne (ils sont un million) achète ses petits plats tout prêts, avec de grosses marges pour le fabricant. À la casse, la famille : pas assez rentable.
Tout le monde l’aura compris : en bouffe comme en politique, c’est la connaissance hors propagande officielle qui fait évoluer les choses dans le bon sens. Le problème, c’est quand les conseils partent dans tous les sens : de l’escroquerie pure et simple à la sophistication imbitable. Entre les médecins nutritionnistes radiés de l’Ordre qui entubent les pétasses à coups de régimes douteux, aux ultras de « la troisième médecine » (Seignalet), dite aussi « régime ancestral » ou « diète paléolithique », il est difficile de déterminer ce qui peut correspondre à ses besoins personnels. Entre la consommation lourde de supermarché – synonyme d’ignorance nutritionnelle – dont la fréquentation est soutenue par une publicité massive, et la consommation intelligente personnalisée, il y a des paliers à franchir. Sans cracher, en passant, sur une bonne entrecôte frites, si l’on sait choisir l’entrecôte (limousine, charolaise), et éplucher ses frites. Comme dirait Le Bourdonnec, le boucher qui a remis la filière à plat en faisant grincer pas mal de canines : mangez moins de viande, mais de meilleure qualité.
Se nourrir mal et cher est facile. Se nourrir correctement à bas prix est possible : il suffit de revenir aux produits bruts, et de refaire soi-même les choses que l’industrie fait désormais pour le plus grand nombre. En mieux. Cela s’appelle « faire la cuisine », un truc qui se perd, et qui est logiquement devenu une attraction télévisuelle. Faire la cuisine est aussi important que de « faire la politique ». Les hypermarchés de la pensée (médias) et de la bouffe ont fait de nous des assistés et des handicapés. Choisir la nouvelle information, pour penser clairement, sans propagande, et la nouvelle nutrition, pour se rendre autonomes du système industriel dominant, générateur de tant de profits et maladies. Bouffe et politique, même combat.