Les réfugiés palestiniens, l’assassinat de Folke Bernadotte
et la question de Gaza
Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R !
Sommaire
- La question des réfugiés palestiniens à l’ONU en 1948
- Fake news israélienne : les États arabes sont responsables de l’exode des Palestiniens
- Les réfugiés à Gaza
- Conquête de Gaza et épuration ethnique : un projet de longue date
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La question des réfugiés palestiniens à l’ONU en 1948
Avant le départ du mandataire britannique de Palestine (15 mai 1948), les forces juives sionistes avaient déjà expulsé par la violence près de 250 000 Palestiniens [1]. Cette épuration ethnique fut la cause principale de la guerre qui démarra le 15 mai 1948 opposant Israël et les pays de la Ligue des États arabes venus secourir les Palestiniens.
Le comte Folke Bernadotte, médiateur de paix de l’ONU, arriva le 28 mai 1948 en Palestine. Il demanda qu’on « accepte en principe le rapatriement, à partir du 15 août, et dans une proposition fixée en consultation avec le médiateur, de quelques-uns des réfugiés qui en expriment le désir, et particulièrement de ceux qui habitent Jaffa et Haïfa… À mon avis [dit-il], compte tenu de toutes les circonstances, on devrait assurer à tous ces réfugiés qu’ils ont le droit de retourner dans leurs foyers » [2].
Dans son rapport du 16 septembre 1948, Bernadotte propose un plan de partage établi selon « le principe de l’homogénéité et de l’intégration géographiques », et situe les réfugiés arabes sur le même plan où l’on plaçait les réfugiés juifs [3].
Le lendemain, 17 septembre 1948, le groupe Stern – organisation paramilitaire sioniste dirigée par Yitzhak Shamir, futur Premier ministre d’Israël – a assassiné à Jérusalem Folke Bernadotte ainsi que le colonel français André Sérot, chef des observateurs des Nations unies. Les juifs craignaient notamment de ne plus recevoir le Néguev au terme de la mission de Bernadotte qui proposait d’intégrer le Néguev à la la partie arabe [4].
« En sa qualité de président de la Croix-Rouge suédoise, Bernadotte avait joué un grand rôle pour sauver des Juifs des griffes des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, et c’est pour cela que les dirigeants israéliens avaient accepté sa nomination comme médiateur de l’ONU. Ils ne s’étaient pas attendus à le voir tenter de faire pour les Palestiniens ce qu’il avait fait pour les Juifs quelques années auparavant. » [5]
On lit, entre autre, cette règle dans les principes établis en 1946 lors de la création de l’Organisation internationale pour les réfugiés : « La tâche essentielle en ce qui concerne les personnes déplacées, consiste à les encourager à retourner promptement dans leur pays d’origine et à aider leur retour [...]. » [6]
Le « droit de rapatriement » est l’un des sept postulats fondamentaux sur lesquels Bernadotte établit ses « Conclusions concrètes » qui précisent le droit international :
« i) Le droit des réfugiés arabes à regagner leurs foyers en territoire sous contrôle juif le plus rapidement possible devrait être proclamé par les Nations unies, et le rapatriement de ces réfugiés, leur réinstallation et leur relèvement économique et social ainsi que le paiement d’une indemnité suffisante pour les biens de ceux qui auraient décidé de ne pas revenir, devraient être contrôlés et facilités par la Commission de conciliation des Nations unies […]. »
Ce texte est à l’origine de la résolution que l’Assemblée générale des Nations unies vota le 11 décembre 1948, à sa troisième session. Le paragraphe 11 de la Résolution 194 (III) dit ceci :
« Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payés à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables.
Donne pour instructions à la Commission de conciliation de faciliter le rapatriement, la réinstallation et le relèvement économique et social des réfugiés, ainsi que le paiement des indemnités. »
Fake news israélienne : les États arabes sont responsables de l’exode des Palestiniens
L’histoire a été réécrite pour faire endosser aux États arabes la responsabilité de l’exode des Palestiniens. Les autochtones auraient fui les combats. Vers 1957-1958 apparaît une idée qui sera utilisée constamment depuis par Israël : l’exode des Palestiniens est dû aux ordres ou aux exhortations des chefs arabes. Le ministre des Affaires étrangères israélien se mit à la propager. La Division de l’information de ce ministère, à Jérusalem, publie des tracts de quatre pages, Aperçus, Thèmes, etc., avec édition française [7].
David Ben Gourion, dans un discours à la Knesset le 11 octobre 1961, affirme :
« Nous possédons des preuves évidentes qu’ils ont quitté ce pays sur les ordres des leaders arabes conduits par le Mufti. » [8]
Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de ses propos. Un journaliste irlandais, B. Childers, mena une enquête pour vérifier ce qu’avançaient les autorités israéliennes. Il consulta les enregistrements faits par la BBC de toutes les émissions du Moyen-Orient en 1948, conservés au British Museum. La conclusion de son enquête est la suivante :
« Il n’y eut pas un seul ordre, ou appel, ou suggestion sur l’évacuation de la Palestine, venant de quelque station de radio, à l’intérieur ni à l’extérieur de la Palestine en 1948. Il y a des enregistrements réitérés d’appels arabes et même des ordres positifs de rester sur place (to stay put). »
Par contre, l’Irgoun (organisation terroriste juive) avertit les « Arabes des agglomérations urbaines » que le typhus et le choléra vont apparaître en avril et mai (1948) [9].
Les Palestiniens ont été expulsés par les forces juives, et ce de façon méthodique par des actes terroristes ; cela a été fréquemment signalé par la Commission politique spéciale des Nations unies en 1949 et 1950 [10].
Le représentant de la Jordanie à la commission, M. Haïkal déclarait le 1er décembre 1950 : « […] en aucun cas, l’intervention des forces arabes en Palestine n’a été cause de l’exode. » [11] Il ajouta que les Arabes de Palestine « sont, en vérité, victimes de la politique d’expulsion adoptée par les Juifs, qui n’ont pas cessé de la pratiquer systématiquement jusqu’à ce jour. »
Les réfugiés à Gaza
Au lendemain de la guerre, la question de l’avenir de Gaza se pose. Sa population est passé de 80 000 à 240 000 en quelques mois avec l’arrivée des réfugiés [12]. Précisons au passage que 70 % des Gazaouis sont, aujourd’hui, les enfants et les petits-enfants de ces réfugiés [13] qui ont été chassés de leurs terres par les forces juives.
En février 1949, alors qu’est négocié l’armistice entre l’Égypte et Israël, le roi Abdallah de Jordanie fait savoir qu’il souhaite mettre Gaza sous son autorité afin d’offrir à son pays un débouché sur la Méditerranée et rassembler tous les Arabes de Palestine. De son côté, en avril 1949, Israël affiche sa volonté d’annexer Gaza. L’Égypte n’a aucune revendication sur Gaza, mais ses troupes y sont présentes. Elle refuse de délivrer des permis de travail aux réfugiés palestiniens [14] et rapatrie à Gaza 3 000 personnes arrivées au Caire depuis Rafah.
La conférence de Lausanne organisée le 15 septembre 1949 ne débouche sur aucun accord, et le statu quo s’installe jusqu’au conflit suivant.
En attendant, un gouverneur militaire égyptien dirige la bande de Gaza, placée sous état d’urgence, et dans laquelle il proroge la législation mandataire.
Les réfugiés à Gaza tentent de retourner dans leurs villages d’origine, mais « Israël les refoule et pose des mines pour dissuader les passages » [15]. Pour éviter une escalade militaire, l’Égypte dissuade aussi les franchissements mais doit redéployer ses troupes présentes à Gaza sur le canal de Suez, ce qui a pour conséquence d’affaiblir les contrôles.
Une guerre des frontières débute à partir d’initiatives « individuelles de réfugiés suscitant des réactions militaires de Tsahal » [16]. Cette situation fera naître des organisations militantes, à l’instar de l’Union des étudiants palestiniens, qui se fait le porte-parole des revendications des étudiants palestiniens installés au Caire sous la direction de Yasser Arafat. Les communistes se rassemblent dans la Ligue de libération nationale et tiennent un discours en faveur d’un État palestinien, contre la domination égyptienne. Ils seront réprimés en 1952. Ces organisations incitent les Palestiniens à s’infiltrer dans leur terre occupée par Israël et entraînent leurs membres à l’action militaire, à quoi Tsahal répond par des représailles.
L’Égypte instaure un couvre-feu en 1954, alors que les communistes et les musulmans réclament un plan d’armement de la population.
En février 1955, un Israélien est assassiné à Tel-Aviv par un commando venu de Gaza. L’armée israélienne mène alors des opérations dans Gaza, et l’Égypte multiplie les arrestations, suspend les droits de grève et de manifestation.
Nasser prend le pouvoir et promulgue le 11 mai 1955 une loi de la « bande de Gaza » qui formalise les pouvoirs et organise des opérations de fedayin (« ceux qui se sacrifient ») palestiniens en Israël.
Conquête de Gaza et épuration ethnique : un projet de longue date
Durant la guerre franco-anglo-israélienne contre l’Égypte, la marine française bombarde la ville de Rafah (dans la bande de Gaza) et prépare ainsi son occupation par l’armée israélienne le 31 octobre 1956. Le 2 novembre 1956 à Gaza, l’Égypte offre sa reddition aux Israéliens, qui prennent le contrôle de tout le territoire où ils instaurent un couvre-feu. Israël maintient les autorités locales en fonction et se fixe pour objectif de neutraliser les fedayin. Les services de sécurité israéliens raflent, filtrent, arrêtent, contrôlent. Dans le camp de Khan Younès, les réfugiés soupçonnés d’activités militaires sont « exécutés sommairement, 275 selon l’UNRWA [17], 415 selon les Palestiniens. Dans le camp de Rafah, le 12 novembre [1956], alors que les opérations militaires sur le canal de Suez ont cessé, tous les hommes sont rassemblés pour vérification : sans témoins extérieurs pour établir les faits, les armes sont utilisées par les Israéliens, qui reconnaissent la mort de 48 Palestiniens, l’UNRWA dresse un bilan de 111 morts et les organisations palestiniennes de 197. Nul doute que des exécutions sommaires ont eu lieu » [18].
Les Frères musulmans et les communistes palestiniens lancent un mouvement de boycott de l’occupation sous forme de grève générale. Les communistes évoquent la création d’un État palestinien, et les autres Palestiniens célèbrent le nassérisme qui a triomphé à Suez et réclament le rétablissement de l’autorité égyptienne sur Gaza.
Israël veut s’approprier Gaza qu’il considère comme sienne, puisqu’elle fait partie de la « Terre promise ». Israël supprime les marques de la ligne de démarcation, introduit la livre israélienne comme seule monnaie, refuse le retour de l’Égypte et le déploiement de la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) qui est déployée à Suez le 22 décembre 1956.
Les États-Unis exercent une pression pour un retrait inconditionnel d’Israël de Gaza ; le Premier ministre israélien, Ben Gourion, y consent le 1er mars 1957 et retire toutes ses troupes le 7 mars.
La FUNU prend la suite de l’armée israélienne, et Gaza, contrôlée par l’ONU, est internationalisée. La population et les militants manifestent contre l’ONU et réclament le retour de l’Égypte. Des heurts opposent les casques bleus aux habitants de Gaza.
Le 13 mars 1957, Nasser assure à l’ONU qu’il s’engage à démilitariser Gaza et à interdire les actions des fedayin. L’Égypte réinstalle son administration à Gaza et charge d’anciens fedayin d’assurer la police afin de sécuriser la ligne d’armistice.
En 1967, durant la guerre des Six Jours, Israël occupe de nouveau Gaza et la colonise jusqu’en 2005. Le 16 août 2005, le Premier ministre Ariel Sharon retire l’armée et les colonies de Gaza pour des raisons exposées dans notre livre Comprendre le conflit israélo-palestinien.
Et à partir de 2008, Israël bombardera annuellement Gaza dans le but de pousser en définitive les Gazaouis hors de chez eux.
L’épuration ethnique a commencé en 1947, et elle se poursuit depuis lentement. Le massacre et le génocide qui ont lieu actuellement est un des épisodes de ce projet.
Gamla, un groupe fondé par d’anciens officiers et colons israéliens a diffusé sur son site Internet un manifeste intitulé « La logistique du transfert », rédigé par Boris Shusteff le 3 juillet 2001.
L’auteur du document de l’association Gamla explique que le nettoyage ethnique de masse de tout le peuple palestinien est « la seule solution possible » au conflit israélo-palestinien et « ne contredit nullement les prescriptions de la Torah » [19].
« D’après le plan, Israël commencerait par lancer une campagne d’information et par renforcer sa politique d’étranglement économique des Palestiniens vivant dans les territoires occupés de la rive Ouest et de la bande de Gaza, afin de les forcer à partir "volontairement". L’une des mesures prévoit de priver les Palestiniens d’emploi, afin, littéralement, de les affamer (on pourrait dire que c’est déjà ce qu’il se passe en ce moment) » [20], explique Ali Abunimah dans une étude publiée en mai 2002.
L’étude historique nous montre que le génocide auquel nous assistons en direct n’a pas de relation avec l’attaque du 7 octobre 2023 et la lutte contre le Hamas.
Bonus : 1948 : Création et catastrophe
Un vieux Palestinien retourne sur sa terre, et retrouve les ruines de sa maison. Ainsi commence ce documentaire qui revient sur la déchirure de 1948, espoir pour les uns, catastrophe pour les autres.
Comprendre le conflit israélo-palestinien
disponible chez Kontre Kulture
Et en bonus, le documentaire "1948 : Création et Catastrophe".>