Le dernier ouvrage du géopolitologue Jean-Michel Vernochet est consacré au phénomène du terrorisme islamiste. L’auteur analyse de manière documentée plusieurs attentats sur une période qui s’étend du 11 septembre 2001 jusque décembre 2016.
Au fil des pages et du rappel des événements, les constantes de l’objet apparaissent et l’on commence à saisir la formule du djihadisme tel qu’il est mis en œuvre en Occident : des individus déjà connus du renseignement – délinquants, agents doubles, fichés S – ou égarant leurs papiers d’identité sur les lieux du crime, souvent toxicomanes ou atteints de troubles mentaux, parviennent malgré tout à organiser des attentats qui autorisent au pouvoir d’augmenter toujours plus la surveillance de la population, sans pour autant faire diminuer la menace terroriste. Par ailleurs, ces terroristes ne frappent pas le pouvoir, ou seulement à la marge, ce qui leur interdit définitivement toute perspective de victoire. Les attentats se suivent et se ressemblent, ainsi que les éléments de langage médiatiques parfois complètement fictifs qui leur succèdent et orientent les politiques de sécurité, et tous restent aussi inefficaces les uns que les autres dans leurs objectifs déclarés et officiels.
Pire encore, car les pouvoirs publics font preuve d’un laxisme persistant qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une véritable méthodologie intentionnelle du « laisser faire », ce que relève Jean-Michel Vernochet à travers son livre, confirmé par Alexandre Del Valle, un autre géopolitologue spécialiste de l’islam, qui déclarait après l’attentat de Barcelone :
« En cela, le laxisme judiciaire qui consiste à mettre dans les mêmes prisons des profils dangereux est "aberrant", pointe M. Del Valle, vu que cela fait 30 ans que l’on sait que les islamistes convertissent dans les prisons. Et depuis ces 30 ans, "on continue à mettre des délinquants de base au contact de professionnels de la conversion à l’islamisme. Si nous voulions multiplier les cellules islamistes, nous ne ferions pas autrement !", fustige-t-il. » [1]
Il n’y a pas que les prisons à voir s’épanouir le radicalisme islamiste en France. Les mosquées salafistes viviers de djihadistes disposent même parfois du soutien des élus locaux, comme à Villiers-sur-Marne, en banlieue parisienne. Ce laxisme judiciaire qui laisse se constituer librement les filières terroristes depuis des années est doublé par un autre laxisme aux frontières. L’immigration clandestine, ou non, en provenance des pays musulmans, c’est-à-dire des pays statistiquement à risque, ne cesse pas, bien au contraire elle est même encouragée. Les politiques publiques européennes sur la question de l’islam pourraient se résumer ainsi : « L’islam est terroriste, donc islamisons l’Europe ».
La persistance dans l’erreur du couple terrorisme/antiterrorisme produit avec le temps l’étrange impression d’une mise en scène visant en réalité d’autres buts que ceux affichés puisqu’ils ne sont jamais atteints et que ce sont même les objectifs opposés qui sont systématiquement atteints. Le terrorisme tape à côté du pouvoir, ce qui renforce le pouvoir et ses mesures de surveillance ; et l’antiterrorisme tape à côté du terrorisme, ce qui le laisse se développer sous surveillance. Chacun retient ses coups, aucun des deux ne fait ce qu’il faut pour gagner vraiment alors que c’est évident – frapper le pouvoir et frapper le terrorisme – mais ce système continue et s’auto-entretient dans une boucle de rétroaction circulaire parfaite.
Sur cette base, qui fournit un vrai cas d’école de cybernétique sociale, Jean-Michel Vernochet pose la question de la fonction réelle du couple terrorisme/antiterrorisme et nous donne de nombreux éléments de réponse. Le titre du livre en deux parties mentionne deux groupes de personnes bien distinctes mais qui convergent dans l’entretien de la menace terroriste. Les fiancés de la mort sont les exécutants ; les stratèges de la terreur globale sont les donneurs d’ordre.
Tout d’abord, les exécutants. Ces « martyrs » qui laissent parfois leur vie dans les attentats, Jean-Michel Vernochet avait déjà étudié leur idéologie d’emprunt dans son livre de 2013, Les Égarés – Le Wahhabisme est-il un contre-islam ? Dans ce nouvel opus, il revient rapidement sur le caractère artificiel de cet islamisme qui prétend s’opposer à une modernité mécréante et décadente dont il est pourtant le meilleur fruit. On pense à certaines vidéos de Daech faisant bizarrement penser à des clips de MTV (peut-être tournés par les mêmes). L’islamisme, quelle que soit sa tendance, n’est qu’un motivateur, un trigger en psychologie du conditionnement, qui doit permettre de prendre le contrôle du potentiel d’agressivité d’individus jeunes, immatures, impulsifs, en quête d’identité, voire complètement déséquilibrés et suicidaires. Que dire de plus sur les exécutants, si ce n’est que leur profil psychologique se recrute dans tous les milieux sans exception, de l’extrême gauche à l’extrême droite et dans toutes les religions, non seulement l’islam ? Fiancés de la mort, oui, mais surtout mariés avec les stratèges de la terreur, dont le profil est plus intéressant.
Qui sont ces donneurs d’ordre ? Ceux à qui profitent le crime ET la lutte contre le crime. Ils peuvent être musulmans, mais pas forcément. L’industrie de la sécurité et de la surveillance en Occident, seul secteur d’activité à profiter économiquement de la menace terroriste, n’est pas aux mains de musulmans.
Par ailleurs, l’islam n’est qu’un prétexte. Compte tenu du caractère structurellement voué à l’échec du terrorisme et de l’antiterrorisme, chacun se renforçant mutuellement au lieu de s’affaiblir, il faut envisager leur couple indissociable dans le registre du prétexte. Le couple terrorisme/antiterrorisme est un immense écran de fumée destiné à faire passer autre chose, sorte de vaste hameçon d’ingénierie sociale. Les erreurs persistantes du terrorisme et de l’antiterrorisme au regard de leurs objectifs déclarés doivent être comprises comme des erreurs volontaires, qui nous mettent sur la piste des stratèges de la terreur globale, ceux qui ont besoin du terrorisme comme couverture à leurs politiques de surveillance et de contrôle social.
Stratégie de la tension, terrorisme d’État, réseaux Gladio de l’OTAN et des services secrets occidentaux, israéliens, pakistanais, tous sont des éléments essentiels de la guerre hybride mondiale contre les peuples menée par une certaine oligarchie mondialiste. Comme le dit Jean-Michel Vernochet en introduction :
« Cette guerre n’a jamais cessé, mais à présent ce n’est plus le capitalisme affrontant le marxisme, mais l’islamisme radical et terroriste qu’utilisent les stratèges de la Gouvernance planétaire pour agglomérer, rassembler les nations face à une menace diffuse, l’objectif étant de renforcer et d’étendre le champ d’intervention et de compétence des institutions sécuritaires mondiales… prémices d’une super tyrannie globale ».
Au prétexte des attentats, un slogan fait son chemin en France dans les esprits des responsables politiques et de la population : « Israéliser la sécurité ». En effet, Israël se positionne depuis longtemps au niveau international comme un rempart contre le terrorisme islamiste, voire contre l’islam en général. Ce marketing géopolitique ne parvient cependant pas à dissimuler les excellentes relations d’Israël avec les monarchies wahhabites du Golfe persique, elles-mêmes sponsors du terrorisme, ni son engagement direct auprès des terroristes islamistes qui attaquent vraiment le pouvoir, mais en Syrie. La guerre menée par Israël à son voisin depuis 1948 est entrée dans une phase critique en 2011 avec le lancement d’une révolution colorée pour renverser Bachar el-Assad, et surtout en 2014, quand des milliers de « fiancés de la mort » prêts au djihad ont afflué vers l’État islamique autoproclamé (Daech, Isis), à cheval sur la Syrie et l’Irak, pour attaquer l’armée syrienne et le gouvernement.
Depuis, on a vu des terroristes de diverses formations soutenus par l’aviation israélienne, encadrés par les forces spéciales israéliennes et soignés dans les hôpitaux israéliens. La solidarité entre l’entité sioniste et le terrorisme islamiste était avouée au fil des ans par divers représentants israéliens tels que Moshe Ya’alon, ministre de la Défense, qui déclarait publiquement préférer l’État islamique à l’Iran [2], Efraïm Inbar, professeur de géopolitique, qui affirmait que la destruction de l’État islamique serait une erreur car il profite à Israël [3], ou le Premier ministre Benjamin Netanyahou qui suppliait sans succès à plusieurs reprises Vladimir Poutine d’arrêter ses frappes en Syrie, lesquelles visent pourtant l’État islamique...
Israéliser la sécurité signifie concrètement remettre notre sécurité entre les mains d’un foyer du terrorisme islamiste. Foyer tout autant opérationnel qu’intellectuel et stratégique. Jean-Michel Vernochet clôt son ouvrage sur ce paradoxe apparent en évoquant les sources religieuses des programmes de destruction créatrice et de gouvernance par le chaos dans certains courants ésotériques du judaïsme tels que la kabbale et le sabbataïsme, perspectives complémentaires des recherches de Youssef Hindi sur l’origine de la théorie du choc des civilisations islamo-chrétiennes.