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Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

Le monde de la musique classique pleure aujourd’hui la perte d’une de ses figures les plus prolifiques et excentriques. Leif Selim Segerstam, chef d’orchestre, compositeur et multi-instrumentiste finlandais, s’est éteint ce 9 octobre 2024, à l’âge de 80 ans.

 

Né le 2 mars 1944 à Vaasa, en Finlande, Segerstam est issu d’une famille musicale. Son père, Selim Segerstam, était un auteur de recueils de chansons. La famille déménage à Helsinki en 1947, où le jeune Leif commence à développer ses talents musicaux, jouant du violon et de l’alto dans l’Orchestre des Jeunes d’Helsinki.

Segerstam fait ses débuts en tant que violoniste en 1962 et comme chef d’orchestre en 1963, dirigeant Le Barbier de Séville de Rossini à Tampere. Sa carrière de chef d’orchestre prend rapidement son envol, le menant à diriger l’Opéra national de Finlande et l’Orchestre symphonique de la radio finlandaise dès l’année suivante.

Au fil des années, Segerstam a occupé des postes prestigieux dans de nombreux orchestres et opéras à travers le monde. Il a été chef d’orchestre et directeur artistique de l’Opéra royal de Stockholm à partir de 1968, et a travaillé avec l’Opéra allemand de Berlin et l’Opéra national de Finlande dans les années 1970. De 1995 à 2007, il a été chef principal de l’Orchestre philharmonique d’Helsinki, dont il est ensuite devenu chef émérite.

Mais c’est aussi en tant que compositeur que Segerstam a véritablement marqué l’histoire de la musique. Sa production est tout simplement phénoménale : au moment de sa mort, il avait composé pas moins de 371 symphonies, ainsi que 30 quatuors à cordes, 13 concertos pour violon, 8 pour violoncelle, 4 pour alto et 4 pour piano, sans compter ses nombreuses autres œuvres.

Cette productivité extraordinaire s’explique en partie par sa méthode de composition unique. À partir de son cinquième quatuor à cordes, surnommé Lemming, Segerstam a développé une approche post-expressionniste qui lui permettait d’écrire rapidement de grands blocs sonores, laissant une part importante à l’interprétation des musiciens.

En tant que chef d’orchestre, Segerstam était reconnu pour son énergie débordante et sa capacité à insuffler une grande musicalité aux orchestres qu’il dirigeait. Il a enregistré de nombreuses intégrales symphoniques, notamment celles de Mahler, Sibelius, Nielsen et Brahms, ainsi que des œuvres de compositeurs contemporains.

La direction d’orchestre avec Segerstam était une expérience inoubliable. Il était connu pour ses improvisations inattendues, parfois modifiant l’interprétation d’une œuvre en plein concert. Ses répétitions pouvaient passer de moments d’intensité rigoureuse à des épisodes de pure créativité, où il laissait les musiciens explorer librement les nuances des partitions. Cette approche, qualifiée par certains de « chaotique », n’était pourtant jamais désordonnée ; au contraire, elle était le reflet de sa profonde compréhension de la musique, qui transcendait les simples notes sur la partition.

Dans sa très célèbre (près de 10 millions de vues) et magnifique (la prise de son exceptionnelle participe à l’ensemble) direction de Scheherazade, Leif Segerstam prend des libertés sur le dernier mouvement en y ajoutant des cris simulant l’abordage. Original, moderne mais tout à fait bienvenu. Les réfractaires à la musique classique pourront faussement exciper de leur grande culture pour admirer la gracieuse et adorable flûtiste (traversière) qui officiait ces années-là à l’orchestre symphonique de Galice :

 

 

Sa direction intuitive s’accompagnait d’une gestuelle singulière. Leif Segerstam était célèbre pour diriger avec ses mains, ses bras et parfois tout son corps, créant un spectacle visuel qui rendait ses concerts aussi captivants à voir qu’à entendre. Souvent, il s’abstenait même d’utiliser une partition, se fiant à sa mémoire prodigieuse et à son sens inné de l’instant musical. Cette façon de diriger, instinctive et naturelle, a inspiré de nombreux jeunes chefs d’orchestre, qui voyaient en lui un modèle de liberté artistique.

Segerstam était également un fervent défenseur de la musique scandinave, ce qui lui a valu le Prix du Conseil nordique de la musique en 1999. Il a reçu de nombreuses autres distinctions au cours de sa carrière, dont le titre de Professeur accordé par le Président de Finlande en 2014.

Malgré son immense production, Segerstam ne se considérait pas comme un compositeur au sens traditionnel du terme. Il se décrivait plutôt comme un « sélectionneur de sons », puisant dans l’univers des douze demi-tons de la gamme chromatique. Ses symphonies, d’une durée moyenne de 22 minutes, suivaient une structure en « chapelet » de six séquences, inspirée par la Septième Symphonie de Sibelius.

Malgré sa stature imposante et son caractère parfois exubérant, Segerstam était connu pour son humilité et son humanité. Ses musiciens se souviennent de lui comme d’un homme généreux, capable de créer une atmosphère de confiance et de complicité au sein de l’orchestre. « La musique doit respirer », disait-il souvent, rappelant que l’essence de son art résidait dans la spontanéité et l’émotion partagée.

Leif Segerstam laisse derrière lui un héritage musical colossal et une réputation de musicien excentrique et passionné. Son approche unique de la composition et de la direction d’orchestre continuera sans doute d’influencer les générations futures de musiciens, faisant de lui une figure inoubliable de la musique classique du XXe et du début du XXIe siècle.

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13 Commentaires

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  • #3435838
    Le 9 octobre à 21:25 par Heydrich
    Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

    J’attendrais encore un peu avec les louanges. Si ça se trouve on viendra chercher à salir son image avec quelques histoires de cul...C’est à la mode. L’Abbé Pierre peut en témoigner.

     

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  • #3435846

    Merci à ER pour cet article, vous m’apprenez la triste nouvelle. C’est un chef que j’ai découvert récemment avec Sibelius. Sa version de la septième symphonie de Sibelius est ma préférée (comparée à Karajan, Maazel, Berglund). Il faudra que je découvre d’autres de ses interprétations. Finlande, Sibelius, Segerstam, voilà tout un monde musical et culturel qui vient du nord mais à vocation universelle (pour ceux qui se donnent la peine d’écouter) et qui nous aide à respirer. Si d’autres ont des choix différents des interprétations de Sibelius, je suis preneur.

     

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    • #3436884
      Le 12 octobre à 02:25 par Olivier
      Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

      Concerto de Sibelius.

      Christian Ferras violon
      Zubin Mehta chef d’orchestre
      Orchestre National de l’ORTF.1965.

      Je ne peux dire si c’est mieux, mais, assurément, il ne peut pas y avoir mieux.

       
  • #3435991
    Le 10 octobre à 08:22 par baronsamedi
    Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

    Dommage que cet hommage ne soit pas signé, même si c’est collectif.
    Très bon papier en tout cas, très pertinent, très justes analyses musicales, du bon travail, vraiment.

    Donc merci à l’auteur ou aux auteurs.

     

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    • #3436428
      Le 11 octobre à 02:10 par Le rédacteur de l’article
      Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

      Merci pour vos compliments. La Rédaction ne connaît pas la guerre d’égo ; les papiers de la Rédaction ne sont pas signés. Mais nous recevons les compliments avec plaisir !

       
  • #3436025
    Le 10 octobre à 09:31 par bonnet Phrygien
    Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

    Cette version de Scheherazade est quelque peu solennelle.(Un peu lente).
    Mais paix à son âme.
    La musique classique est un coffre à trésors.

     

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    • #3436098
      Le 10 octobre à 11:55 par Saturnin Pompier
      Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

      Un peu lente, en effet. Pas mal quand même. C’est une de mes pièces favorites (Ah​, ce solo de violon qui évoque les mystères de l’Orient et de ses paysages solitaires au clair de la lune, quelque part sur les plateaux de l’Iran en route pour l’Inde !).

      Je l’ai tellement écoutée (surtout autrefois), que mon oreille ​aujourd´hui trouve des ​"défauts​" à tout autre version​. Je crois que ça doit arriver à tout le monde..​. Je l’avais en cassette, à l’époque antédiluvienne des walkmans (je n’ai jamais aimé le mot baladeur).

      Actuellement il y a une très bonne version de Valery Gergiev. Qui me satisfait pleinement. Et puis Gervieg​ est pro Poutine. Parfait donc.

       
      • #3436429
        Le 11 octobre à 02:19 par Bil et Boule
        Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

        C’est exact, lorsqu’on a découvert un morceau avec une interprétation, on a souvent beaucoup de mal à trouver une autre interprétation intéressante. C’est nécessairement un biais, la première écoute ne peut pas être toujours la bonne ! Mais c’est souvent le cas (pas toujours, et puis il faut apprendre à réviser son analyse).

        Quant à la version de Valery Gergiev, le problème c’est que la vidéo en ligne est bardée de spectateurs qui toussent ce qui m’insupporte au dernier degré (dans la version de Segerstam les toux sont plus discrètes ouf !). Sinon le tempo est plus rapide, mais je préfère l’elasticité de Segerstam, et surtout elle est comme compressé (manque de dynamique), mais cela vient peut-être de l’enregistrement malheureusement...

         
  • #3436155
    Le 10 octobre à 13:45 par Pouet
    Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

    Cette version de Scheherazade est plus que soporifique, pour ceux qui découvrent cette oeuvre, rassurez-vous, on en trouve facilement d’excellentes versions, même sur YT.
    Ca vaut vraiment le coup de chercher un petit peu.

    Quant aux plaisanteries musicales, j’en suis resté à Hoffnung, Victor Borge et même Spike Jones... qui, eux, sont vraiment drôles.

     

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  • #3436172
    Le 10 octobre à 14:08 par JL29
    Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

    La musique dite "classique" a littéralement imprégné toute mon existence depuis mon adolescence, sans elle je crois et je suis même sûr, que je ne pourrais pas vivre aujourd’hui, la première chose que je fais le matin au réveil, c’est d’allumer l’ordi et de "lancer" une "session" musicale qui accompagnera ma petite existence jusqu’à la fin de l’après midi.

     

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    • #3436365
      Le 10 octobre à 21:01 par le moine vengeur défroqué
      Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

      Le matin,cà démarre avec du bon rock.
      L’ap.-midi tire au jazz.
      La nuit devient classique.
      La musique fait vibrer nos cellules comme les expériences très intéressantes avec l’eau du japonais dont le nom m’échappe.
      Ils passent dans les magasins de bricolage ou les super marchés,une musique mauvaise,mais mauvaise qui ne peut pas faire du bien au corps.

       
  • #3436949
    Le 12 octobre à 06:16 par leperigourdin
    Le truculent chef d’orchestre Leif Segerstam est mort

    Y’a t-il une de ses compositions qui ait été adopté par le grand public ?

     

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