Hier, en fin de journée, sur le perron de mon immeuble, je rencontre un ami, qui passait (il se reconnaîtra). Il s’arrête, nous bavardons. Je ne sais quel chemin nous conduit à comparer la frontière d’Israël à Gaza, et la frontière de la France au col de l’Échelle, le soldat de Tsahal qui tire sur le Palestinien, et le militant identitaire qui bloque le migrant. Nous n’étions pas vraiment d’accord. Nous nous saluons, et mes pensées se poursuivent jusqu’à trouver une explication d’un point de vue adverse, et du mien, et du sien.
Voici le premier cas. Le samedi 21 avril 2018, au col de l’Échelle, non loin de la frontière entre la France et l’Italie, des militants français ont symboliquement bloqué ce lieu de passage de « migrants ». Ils ont récidivé, dans la nuit du 26 au 27, conduisant sans violence, en vertu du droit d’arrestation, des immigrés clandestins auprès des autorités.
Voici maintenant le second cas. En ce même mois d’avril, des Palestiniens ont tenté de franchir la frontière entre Gaza et Israël. Tsahal, « l’armée la plus morale du monde », a tiré à balles réelles sur les manifestants, faisant de nombreux morts et blessés parmi lesquels des femmes, des enfants, des vieillards et des invalides (et balles d’une certaine confection, licites pour la chasse au gros gibier, mais prohibées même en temps de guerre).
La question qui se pose est la suivante. Quelle est la réaction adéquate à avoir pour l’une et l’autre de ces attitudes du garde-frontières ? Et si on les rapproche l’une de l’autre, comment les comparer correctement ?
Pour ou contre la frontière
Comme éléments de rapprochement, nous avons bien ici et là deux territoires limitrophes, une frontière, des gardes-frontières et une tentative illégale de passer, par cette frontière, d’un territoire à l’autre. La première position consiste à poursuivre naïvement l’analogie, ce qui permet de traiter de la même manière migrants et Palestiniens. Celui qui veut passer la frontière contre celui qui veut l’en empêcher. C’est sur cette base commune que les points de vue s’opposent ensuite. Selon que l’on est pour ou contre la protection des frontières, l’on approuve ou l’on réprouve l’attitude des gardes-frontières.
Les uns, no borders conséquents, condamnent les soldats israéliens qui tirent, et ils condamnent pour la même raison les militants français, selon eux racistes, qui chassent le migrant au col de l’Échelle. Les autres, défenseurs conséquents de l’idée de frontière, défendent les militants français, et regrettent même peut-être que l’on ne suive pas au col de l’Échelle l’exemple donné par les soldats de Tsahal à la frontière d’Israël. Extrême gauche contre extrême droite.
Mais les uns et les autres se trompent, ils sont dans l’erreur parce qu’ils n’ont pas compris ou pas retenu les leçons juridiques de l’Histoire. Le procès de Nuremberg a pourtant dégagé le concept politique fondamental de notre temps. La clé du problème c’est, en effet, le crime contre l’humanité.
Pour ou contre le crime contre l’humanité : il faut distinguer
Les Israéliens, pour commencer par eux, encourent un génocide s’ils laissent entrer les Palestiniens sur leur territoire. Ces derniers ne sont que des terroristes qui veulent exterminer les civils israéliens sans défense. Plus jamais ça ! Les soldats de Tsahal doivent donc utiliser tous les moyens, sans aucune limite, pour empêcher l’intrusion antisémite. Voilà ce qu’il faut penser et dire pour ce cas.
Et si les migrants, contrairement aux Israéliens, doivent quitter leur pays et tenter d’entrer en France, c’est tout simplement parce qu’ils sont également victimes de génocides. Ce sont des réfugiés qui fuient pour échapper à l’extermination. Le civil africain court dans son pays d’origine un danger de mort, que ce soit par la misère ou par la guerre. Le militant français qui l’empêche d’entrer en France se rend donc coupable d’un crime contre l’humanité. C’est pourquoi son acte est condamnable.
C’est la raison pour laquelle il convient d’applaudir le garde-frontières israélien mais de huer le garde-frontières français nationaliste. D’un côté, dans le camp du bien, du beau et du juste, il y a les victimes, les civils innocents, les « racisés » juifs et africains.
De l’autre côté, dans le camp du mal, du laid et de l’injuste, se retrouvent les criminels arabes musulmans et blancs racistes. Et si vous ne voyez pas la cohérence de cette opinion, si vous n’y adhérez pas, si vous ne luttez pas pour la défendre, c’est que vous ne voulez pas comprendre, c’est que vous êtes de mauvaise foi.
Extrême-gauche antisioniste (no borders) ou extrême-droite sioniste-identitaire, vous serez marqués du stigmate infamant du racisme et de l’antisémitisme, et jetés dans le même sac que tous ces islamo-fascistes. La rédemption et la miséricorde vous restent tout de même accessibles, à vous comme à eux : au Palestinien, s’il consent à émigrer en France, au Français, s’il s’engage comme supplétif aux côtés de Tsahal.
(Article paru dans Rivarol du 30 mai 2018)