Né en 1960, Laurent Guyénot est un auteur et un historien critique dont les nombreux travaux sur l’histoire de la religion juive ouvrent un débat sur la mentalité du judaïsme. Ayant vécu de nombreuses années aux États-Unis, il est aussi un spécialiste des questions liées à la domination sioniste sur la vie politique américaine. Ses vues n’engagent bien sûr que lui.
Rivarol : À l’heure où l’État d’Israël célèbre ses 70 ans par un nouveau massacre de civils, quelle est la véritable nature de l’entité sioniste ?
Laurent Guyénot : Israël est un mot qui a plusieurs sens. Jusqu’à la fondation de l’État juif en 1948, « Israël » désignait la communauté juive internationale, et le terme « Israélite » était alors synonyme de « Juif ». Depuis 1948, Israël est à nouveau le nom d’un État. Mais un sens n’a pas remplacé l’autre. Dans l’esprit d’une majorité de juifs, le sens national et le sens international se confondent, d’une part parce que tous les juifs du monde sont citoyens de droit de l’État d’Israël (par la « loi du retour » du 5 juillet 1950), et d’autre, part parce que le sionisme a maintenant réussi à redéfinir la judéité comme une sorte de citoyenneté israélienne de cœur, un sentiment de solidarité très fort à l’égard d’Israël. Ce qui apparaît aux non-juifs comme une ambiguïté n’en est pas une pour les sionistes. Car le sionisme n’a jamais été strictement un projet national, sauf peut-être dans l’esprit de Theodor Herzl et de quelques-uns de ses contemporains. Mais les dirigeants sionistes ont toujours su qu’Israël n’était viable que par le soutien d’une puissante diaspora. Et le but a toujours été supranational : déjà Ben Gourion envisageait que Jérusalem deviendrait, avant la fin du 20e siècle, « le siège de la Cour Suprême de l’Humanité, où seront réglés tous les conflits entre les continents fédérés ». Et il ajoutait, « comme l’a prophétisé Isaïe », car le projet sioniste est le projet vétéro-testamentaire ; c’est, à mon avis, sa meilleure définition. Je prétends donc qu’on ne peut rien comprendre au sionisme si l’on ne part pas de ce principe que le sionisme est un projet mondial, et non un projet strictement national.
Vous prétendez que la Bible hébraïque, l’Ancien Testament des chrétiens, est la source d’inspiration première du sionisme.
Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les sionistes eux-mêmes : ils ne cessent de se référer à la Bible. Pour les juifs en général, qu’ils soient religieux ou athées, la destinée d’Israël est inscrite dans la Torah, et c’est un destin de domination mondiale. Les chrétiens ne le comprennent pas ainsi, parce qu’ils lisent l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau Testament. Pour les juifs, les prophéties de domination mondiale sont toujours d’actualité. Même la destruction de la Syrie est programmée littéralement en Isaïe, le prophète le plus souvent cité par les sionistes : « Oracle sur Damas. Voici Damas qui cesse d’être une ville, elle va devenir un tas de décombres » (Isaïe 17,1-2).
Ben Gourion, le père de la nation, est évidemment le meilleur exemple de dirigeant sioniste totalement habité par la Bible hébraïque, son passé mythique et son futur prophétique. Mais tous ses successeurs l’ont été de la même manière. Lorsqu’il parle de l’Iran, Benjamin Netanyahou ne peut pas s’empêcher de se référer au Livre d’Esther, qui évoque un projet d’extermination de son peuple par les Perses. En 2015, il déclarait devant le Congrès américain : « Aujourd’hui, le peuple juif fait face à une autre tentative, par un autre souverain perse, de nous détruire. » Et il avait réussi à programmer son allocution la veille de la fête de Pourim, qui célèbre la fin heureuse de l’histoire d’Esther : le massacre de 75 000 Perses, femmes et enfants compris. Pour les sionistes, la Bible expurgée du Nouveau Testament n’est pas un livre religieux, c’est le roman national, et le roman national israélien est un éternel retour.
Quels sont les liens entre Israël et les réseaux qui dominent la vie politique américaine ?
Chez les analystes politiques critiques de ce qu’on peut nommer l’empire
américano-sioniste, on trouve deux visions opposées de la relation entre les
États-Unis et Israël. Pour certains, Israël est la tête de pont ou le gendarme des
États-Unis au Moyen-Orient, voire une colonie américaine. Ce sont les États-Unis qui se servent d’Israël dans leur géopolitique hégémonique. C’est la vision de la gauche juive, représentée par Noam Chomsky. À mon avis, elle est fondamentalement malhonnête. Je pense qu’il n’y aujourd’hui aucune excuse pour ne pas voir que c’est en réalité Israël qui manipule les États-Unis. C’est le grand mérite des professeurs John Mearsheimer et Stephen Walt de l’avoir démontré dans leur livre Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, publié en 2007. La destruction de l’Irak, de la Libye et de la Syrie ne sont pas, et n’ont jamais été, dans l’intérêt des États-Unis. Bien sûr, il a fallu mobiliser certains intérêts américains pour entraîner les États-Unis dans ces aventures, mais fondamentalement, ces guerres ont été déclenchées dans l’intérêt d’Israël. Et cela a été possible parce que ce qu’on nomme l’État profond américain est aujourd’hui largement contrôlé par les néoconservateurs, qui sont, je le démontre dans mon livre, un réseau de crypto-sionistes machiavéliques.
Je pense que la meilleure illustration de cette emprise d’Israël sur la politique étrangère américaine se trouve dans les déclarations faites par le président George W. Bush quelques jours après le 11 septembre 2001, ciblant sept nations. Ce chiffre de sept nations a été plusieurs fois repris depuis, par exemple par le général Wesley Clark, fils du rabbin Benjamin Jacob Kanne, qui donnait la liste suivante : « l’Irak, puis la Syrie, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et pour finir l’Iran. » Or, tous les juifs savent ce que veulent dire les « sept nations » : ce sont les ennemis d’Israël voués à la destruction selon le Deutéronome (7 :1-2) et le Livre de Josué (24 :11). La destruction des « sept nations » ennemies d’Israël est un projet qui n’émane pas des vrais patriotes américains, mais des néoconservateurs, dont certains, je le rappelle, sont fils ou petit-fils de rabbins. Faut-il le rappeler, les néoconservateurs ne sont pas plus conservateurs que les « nouveaux chrétiens » du Moyen Âge n’étaient chrétiens : ils ont détourné le mouvement conservateur républicain, qui était traditionnellement isolationniste, pour le transformer en machine de guerre contre les ennemis d’Israël.
Vous avez écrit que l’affaire Dreyfus était l’origine du sionisme. Quel est votre avis sur cette affaire emblématique de la culpabilisation des Français ?
Plus exactement, j’ai rappelé, d’une part, que Theodor Herzl faisait remonter sa propre conversion au sionisme à l’affaire Dreyfus, d’autre part, que le retentissement international de cette affaire avait beaucoup contribué à rendre les juifs européens réceptifs au discours sioniste. L’affaire Dreyfus est une parfaite illustration du fait que l’antisémitisme — ou plutôt le tintamarre médiatique autour de l’antisémitisme, réel ou fantasmé — est le carburant du sionisme. Herzl a d’ailleurs écrit dans son journal : « L’antisémitisme est une force de propulsion qui, comme la vague du futur, amènera les Juifs dans la terre promise. »
Et ce qui est vrai du sionisme l’est du pouvoir juif en général : les élites juives utilisent l’accusation d’antisémitisme pour neutraliser les critiques légitimes contre leur pouvoir (pouvoir politique, économique, médiatique et culturel). C’est pourquoi, comme Alain Soral ne cesse de le répéter, les juifs du quotidien devraient se méfier de leurs élites communautaires, car le but de leur manœuvre est de détourner la colère des peuples vers l’ensemble des juifs, afin de protéger et même de renforcer leur pouvoir, leurs privilèges et leur impunité. Et si on lit bien L’Industrie de l’Holocauste de Norman Finkelstein, on comprend jusqu’où cette stratégie machiavélique peut aller.
Autre épisode de l’histoire contemporaine : Mai-68. Quel est le lien entre l’esprit révolutionnaire juif et cet événement ?
Ce que j’ai compris grâce à Alain Soral et le travail de réinformation d’Égalité
& Réconciliation, c’est que Mai-68 avait été principalement un mouvement de
déstabilisation du Général de Gaulle, au moment où, après sa fameuse déclaration du 27 novembre 1967 sur le peuple juif « dominateur et sûr de lui », il s’engageait
dans une diplomatie hostile à l’annexion par Israël des territoires conquis durant la
Guerre de Six jours. De Gaulle représentait un réel danger pour Israël, et il fallait,
d’une part, le faire tomber, d’autre part, détourner l’attention du peuple français de ce qui se passait au Proche-Orient. Il y avait bien sûr d’autres enjeux sociétaux, qui ne sont pas contradictoires avec l’intérêt d’Israël, bien au contraire. Cette interprétation de Mai-68 repose sur le constat que la grande majorité des agitateurs étaient juifs. Cependant, il n’est pas nécessaire d’envisager une hiérarchie occulte dirigeant le mouvement.
Pour comprendre Mai-68, il faut comprendre que l’esprit révolutionnaire est toujours latent dans la jeunesse juive, et qu’il suffit de bien peu de chose pour le mettre en action et le canaliser. Cet esprit révolutionnaire chronique — qu’il faut bien distinguer des mouvements révolutionnaires légitimes qui peuvent à certains moments soulever des peuples contre leurs oppresseurs — fait partie de la psychologie collective juive. Je pense qu’il s’explique avant tout par le caractère psychologiquement oppressant de la judéité. C’est une forme de révolte contre le père, mais refoulée, de sorte qu’au lieu de s’exercer contre l’autorité paternelle (représentant l’autorité divine) au sein de la communauté juive, elle se projette contre toute forme d’autorité dans la société hôte. La meilleure illustration de ce processus de projection est la manière dont Évariste, alias Joël Sternheimer, inspira à Renaud, alors âgé de 16 ans, sa chanson Crève Salope ! et assura son succès, alors que lui, Sternheimer, ne se serait jamais permis de chanter ça à son père mort à Auschwitz.
Le cas de l’écrivain Kafka est pour vous révélateur de cette mentalité de la judéité ?
Je me suis brièvement intéressé à Kafka à travers le diagnostic que pose le psychanalyste Jean-Pierre Fresco dans un article intitulé Kafka et le complexe
d’Isaac, dans lequel il définit le complexe d’Isaac comme « l’ensemble des
conséquences pour le psychisme du fils d’un père vécu comme psychiquement menaçant, destructeur ou meurtrier. » On sait en effet que, dans ses nouvelles les plus célèbres, Kafka n’a fait que transcrire sa relation terriblement douloureuse à un père abusif qu’il percevait comme une divinité malfaisante. C’est lui-même qui l’a dit dans sa Lettre au père. Or, Kafka est aussi tenu pour être l’écrivain juif exemplaire, raison pour laquelle l’État d’Israël a mené une bataille de soixante ans pour s’approprier ses manuscrits. Autrement dit, ce que l’on perçoit chez Kafka comme une sensibilité juive, lui-même l’expliquait comme une sensibilité de fils de psychopathe.
À partir de ce cas particulier, j’en suis venu à penser qu’on peut définir psychologiquement la judéité comme un « complexe d’Isaac ». On peut d’ailleurs, en passant, remarquer que, dans sa théorie du complexe d’Œdipe, Freud a tronqué le mythe grec de la faute du père. Tous les malheurs d’Œdipe sont dus au fait que son père a été maudit par les dieux pour acte de pédérastie et a tenté de tuer son fils pour échapper à la malédiction de l’oracle. Il est très révélateur que Freud, dont le principal intérêt est de nous renseigner sur la psychologie juive, ait en quelque sorte refoulé la faute du père.
Aujourd’hui, l’antisémitisme est l’accusation la pire pour un intellectuel. Pensez-vous que la stratégie frontale est encore la bonne pour diffuser un discours critique sur l’idéologie sioniste ?
Tout dépend du but recherché : si le but est de survivre socialement, alors critiquer Israël est suicidaire. Mais en fait, je ne me pose pas ce genre de questions. Ce qui m’intéresse, c’est la vérité. Par ailleurs, je pense qu’il ne faut pas avoir peur de l’accusation d’antisémitisme, car à force d’être utilisée de façon abusive, elle
devient de plus en plus inopérante. Pour commencer, il est aujourd’hui bien connu
que le terme même d’antisémitisme n’a aucun sens. Pour qu’il ait un sens, il faut
d’abord que le terme « sémite » en ait un, ce qui n’est pas sûr. Mais si le terme sémite a un sens, il désigne avant tout les Arabes. Et si, par antisémitisme, on insiste malgré tout pour désigner une hostilité aux juifs en tant que race ou groupe ethnique, alors il n’existe pas d’antisémitisme en France.
Ce qui exaspère les gens, c’est l’influence disproportionnée d’une élite financière, culturelle, politique, médiatique, dont la loyauté première va à elle-même et à Israël, et qui apparaît de plus en plus comme corrosive du tissu social national. Et tout le monde aujourd’hui comprend que l’accusation d’antisémitisme sert principalement à empêcher quiconque de critiquer le pouvoir sioniste. On observe clairement une volonté de rendre ainsi la critique d’Israël hors-la-loi : Israël deviendrait alors le seul pays qu’on n’a pas le droit de critiquer. En soi, cela suffit à démontrer le niveau gravissime qu’a atteint le pouvoir israélien au sein même des démocraties occidentales. Comme je l’ai expliqué, Israël est aujourd’hui sur la scène internationale l’équivalent de ce qu’est un psychopathe dans la communauté des hommes ; sa capacité d’intimider et de manipuler est stupéfiante. Il est toujours dangereux de s’attaquer à un psychopathe. Mais il est plus dangereux encore de se soumettre à sa domination. Les nations européennes finiront un jour ou l’autre par l’apprendre, et le plus tôt sera le mieux.
(Interview de Laurent Guyénot par Monika Berchvok parue dans Rivarol n°3332 du 30 mai 2018)
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