Alors que l’Europe est frappée par des attentats de plus en plus réguliers – tout comme l’est quotidiennement la Syrie et l’Irak, ce qui, soit dit en passant, ne provoque pas l’indignation et l’émoi de la communauté internationale et de ses médias – il n’est pas inutile de se pencher sur la matrice idéologique de cette arme des puissances atlantistes, sionistes et wahhabites : le terrorisme.
Révolutions anglaise, française et russe
On peut faire le parallèle entre les méthodes de terreurs politiques de l’expansion cromwellienne du XVIIe siècle, de celle du wahhabisme dans la Péninsule arabique par l’épée de la tribu des Saoud au XVIIIe, ainsi que de la Révolution de 1789 ayant précédée les révolutions socialo-anarchiques des XIXe et XXe siècles. Ces révolutions, accompagnées (pour nombre d’entre elles) de conquêtes territoriales, ont toutes comme point commun l’extermination systématique des masses (la Terreur) comme moyen de domination idéologique. Le but ayant été de bâtir les institutions de la modernité sur les ruines des traditionnelles.
C’est avec le protestantisme, religion par essence révolutionnaire et fondée sur le modèle vétérotestamentaire, que démarre l’ère moderne et ses révolutions sanglantes.
En 1641 débute la première révolution anglaise, menée par le protestant puritain, sectaire et fanatique, Olivier Cromwell (1599-1658), qui faisait partie de ceux qui se faisaient appeler « les chrétiens de l’Ancien Testament » et qui interdit la célébration du jour de Noël, brûla des églises et assassina des prêtres. Cette révolution se termine en 1649 par la mise à mort du Roi Charles Ier (comme le sera un siècle plus tard le Roi français Louis XVI). Le modus operandi des révolutionnaires français est sensiblement le même que celui de leurs prédécesseurs anglais. Les révolutionnaires français massacrèrent quelque 260 000 vendéens catholiques qui se rebellèrent contre une révolution anticléricale. Cromwell, parti à la conquête de l’Écosse et de l’Irlande, avait précédé dans leur méthode de terreur les révolutionnaires français. Celle-ci servira explicitement de modèle à la plupart des guerres terroristes d’extermination du XXe siècle : génocide arménien conduit par des Jeunes Turcs sabbataïstes (les Donmëh), ou lors de la révolution messianiste judéo-bolchevique. L’extermination de la Vendée servira également de référence pour l’écrasement par Lénine de la révolte paysanne de Tambov (1920/1921) notamment aux moyens d’armes chimiques utilisées de juin à décembre 1921. Le bilan humain de cette nouvelle Vendée est estimé à 240 000 morts.
Le Talmud et le frankisme, à l’origine de l’anarchisme révolutionnaire ?
L’origine de ce nihilisme moderne, moteur des révolutions socialistes des XIXe et XXe siècles, se trouve dans la kabbale sabbato-frankiste, et plus en amont, dans le Talmud lui-même. Suite à l’apparition des kabbalistes antinomistes Sabbataï Tsevi (1626-1676) et Jacob Frank (1726-1791), la kabbale, et le messianisme sous la forme sabbato-frankiste, a tracé une voie menant à un messianisme athéiste (du moins en apparence).
Comme l’explique parfaitement le philosophe juif marxiste Michaël Lowy, la structure du socialisme est celle du messianisme juif. La tendance anarchiste du socialisme, dont la matérialisation historique est la révolution bolchevique, est celle qui est restée la plus fidèle au messianisme catastrophique de la kabbale frankiste. En effet, cet aspect sabbato-frankiste de l’anarchisme est très marqué dans les écrits de Mikhaïl Bakounine (1814-1876). On pourrait croire que Bakounine paraphrase Jacob Frank lorsqu’il écrit :
« La passion destructrice est une passion créatrice », ou encore « Je ne crois pas à des Constitutions ou à des lois… Nous avons besoin de quelque chose d’autre : la passion, la vie, un monde nouveau sans lois et donc libre. » [1]
Jacob Frank disait un siècle avant Bakounine :
« Je ne suis venu en Pologne que pour extirper toutes les lois et toutes les religions, et mon désir est d’apporter la vie au monde » (Kraushar, I, 308) [2]
Ce messianisme catastrophique du frankisme trouve lui-même sa source dans le Talmud, et notamment dans ce Midrash (commentaire talmudique de la Bible) Tehilim (sur le psaume 45,3) :
« Israël demande à Dieu : quand nous enverras-Tu la Rédemption ? Il répond : quand vous serez descendu au niveau le plus bas, à ce moment Je vous apporterai la Rédemption »
C’est cette prophétie talmudique que cherchera à réaliser Jacob Frank en répandant la dépravation et le chaos universel ; ainsi il déclara :
« Je ne suis pas venu pour élever, je suis venu pour détruire et rabaisser toutes choses jusqu’à ce que tout soit englouti profond, qu’il ne puisse descendre plus… Il n’y a pas d’ascension sans descente préalable… » [3]
La catastrophe, la dépravation généralisée est, dans la tradition eschatologique juive, la condition préalable aux temps messianiques et à la Rédemption. Il y a, explique le grand spécialiste de la kabbale et du messianisme juif Gershom Scholem, certaines interprétations qui offrent une lecture nouvelle du psaume 156 :7 à la place de la version traditionnelle selon laquelle dans l’ère messianique « Le Seigneur libère les prisonniers » (matir assirum), il faudrait lire « Le Seigneur lève les interdictions » (matir issurim) [4].
Ce à quoi Bakounine donne un écho parfait à la suite de Jacob Frank.
Il n’y a donc rien d’étonnant à retrouver, au cœur de la pensée socialiste, le messianisme juif sous sa forme frankiste, lorsque l’on sait que c’est précisément en Europe centrale – où le frankisme est né et s’est implanté – que se sont formés les mouvements socialistes.
Comme l’explique Michaël Lowy, pour la plupart des penseurs socialistes :
« Il n’y avait que deux issues possibles (dans le cadre du néo-romantisme) : soit un retour à ses propres racines historiques, à sa propre culture, nationalité ou religion ancestrale, soit l’adhésion à une utopie romantico-révolutionnaire de caractère universel. Il n’est pas étonnant qu’un certain nombre de penseurs juifs de culture allemande proches du romantisme anticapitaliste aient choisi simultanément ces deux voies sous la forme d’une redécouverte de la religion juive (en particulier de l’interprétation restauratrice utopique du messianisme) et de sympathie ou identification avec des utopies révolutionnaires (notamment libertaires) profondément chargé de nostalgie du passé – d’autant plus que ces deux voies étaient structurellement homologues. Cette double démarche caractérise plusieurs penseurs juifs d’Europe centrale qui constituent un groupe extrêmement hétérogène mais néanmoins unifié par cette problématique commune ; on peut trouver parmi eux quelques-uns des plus grands esprits du XXe siècle : des poètes et des philosophes, des dirigeants révolutionnaires et des guides religieux, des Commissaires du Peuple et des théologiens, des écrivains et des kabbalistes et même des écrivains-philosophes-théologues-révolutionnaires : Franz Rosenzweig, Martin Buber, Gershom Scholem, Gustav Landauer, Walter Benjamin, Franz Kafka, Ernst Toller, Ernst Bloch, Georg Lukacs. » [5]
Ces trois derniers, Ernst Toller, Ernst Bloch et Georg Lukacs, qui sont comme le souligne Lowy, des « juifs assimilés athées-religieux anarcho-bolcheviques », contrairement aux autres précités, « abandonnent leur identité juive tout en gardant un lien obscur avec le judaïsme »… Ce qui n’est pas une contradiction en soit, lorsque l’on connaît l’origine de assimilationnisme juif européen et son lien de parenté avec le frankisme [6]. Lowy explique que « leur athéisme religieux (le terme est de Lukacs) se nourrit de références aussi bien juives que chrétiennes » et leur évolution politique les mène à une problématique de synthèse entre les deux [7].
Plusieurs témoignages contemporains de Georg Lukacs révèlent son messianisme fiévreux et apocalyptique. Marianne Weber (l’épouse du sociologue) décrit le Lukacs des années 1912-1917 comme un penseur « agité par des espoirs eschatologiques dans la venue du nouveau Messie » et pour lequel « un ordre socialiste fondé sur la fraternité est la pré-condition de la Rédemption »… Ce messianisme matérialiste est appelé par Lukacs lui-même une « religiosité athée ». Lors d’une conférence de 1918 il rend hommage aux anabaptistes (courant chrétien évangélique) et revendique leur impératif catégorique : « Faire descendre à l’instant même le Royaume de Dieu sur la terre » [8].
Dans la même période, celle de la crise révolutionnaire de 1918-1919 en Allemagne, Gustav Landauer (1870-1919), socialiste juif allemand, est, comme Lukacs, pris d’une fièvre messianique et compare « l’esprit de la Révolution » à l’action des « prophètes anciens ». Il écrit, en janvier 1919, dans la nouvelle préface pour la réédition de L’Appel au socialisme :
« Le Chaos est ici… les Esprits se réveillent… que de la Révolution vienne la Renaissance… que de la Révolution nous vienne la Religion – une Religion de l’action, de la vie, de l’amour, qui rend bienheureux, qui porte rédemption et qui surmonte tout. » [9]
La terreur révolutionnaire, mise en œuvre en Angleterre par Cromwell et en France par les révolutionnaires, a été le modèle des bolcheviques et celui du Foyer national juif (1920) – qui deviendra l’État d’Israël en 1948 – avec entre autres choses, la création au début des années 1920 de la Hagana et de l’Irgoun qui en est issu. Organisations terroristes du Foyer national juif (le Yishouv) qui ont généré Tsahal et qui avaient pour rôle de soutenir et d’étendre les colonies en Palestine.
N’oublions pas non plus le fameux commandant terroriste Nakmim… En 1945, le premier Président de l’État hébreu, Chaïm Weizman (1874-1952), ancien chimiste et dirigeant de l’Organisation sioniste mondiale, fournit en 1945 au commando de Nakmim (pluriel de Nakam qui signifie vengeur), les « vengeurs », appelés en anglais The Avengers, appartenant au mouvement Berihah (dirigé par le juif sioniste Abba Kovner), les formules chimiques destinées à empoisonner les réservoirs d’eau des villes de Munich, Nuremberg et Hambourg. Abba Kovner fut arrêté à son retour d’Israël où il s’était fourni le poison, et son commando de tueurs de masse a été empêché par la suite de mettre son plan à exécution ; ils ont toutefois, en 1946, réussi à empoisonner le pain destiné aux prisonniers de Langwasser. Abba Kovner est aujourd’hui célébré en Israël comme un héros.
Mais le terrorisme à échelle nationale n’est qu’une des variantes de la terreur révolutionnaire. Les brigades internationales (1936-1938) ont, quant à elles, inauguré le terrorisme internationale dont le « djihadisme » wahhabite a pris le relais.
De la terreur révolutionnaire à la terreur wahhabite
La Révolution de 1789 a été dès l’origine un projet d’instauration d’une république universelle [10], par le feu et le sang. Comme l’a parfaitement compris l’anthropologue et sociologue Gustave Le Bon :
« Les violences de la Révolution, ses massacres, son besoin de propagande, ses déclarations de guerre à tous les rois s’expliquent seulement si l’on considère qu’elle fut l’établissement d’une nouvelle croyance religieuse dans l’âme des foules. » [11]
Le terrorisme wahhabite [12] est, comme on le sait, sous pilotage étasunien depuis la fin des années 1970. Zbigniew Brzezinski (1928-2017), alors conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis sous la présidence de Jimmy Carter, a été le maître d’œuvre d’une manœuvre de coordination de la CIA avec les services pakistanais et saoudiens, dans le but de financer et d’armer les futures terroristes, dont Ben Laden ; ceci dès la fin des années 1970, afin d’attirer l’Union Soviétique dans le cimetière afghan. Cette stratégie a été employée à nouveau dans la fin des années 1990 en Tchétchénie, pour faire imploser la Fédération de Russie, après la guerre de 2003 en Irak et depuis 2011, en Libye, en Syrie, au Yémen et ailleurs...
Brzezinski expliquera d’ailleurs lors d’une interview accordée au Nouvel Observateur le 15 janvier 1998 comment et pourquoi il a financé Ben Laden en Afghanistan. À la question : « Vous ne regrettez pas d’avoir favorisé l’intégrisme islamiste, d’avoir donné des armes, des conseils à de futurs terroristes ? », Brzezinski répondra :
« Qu’est-ce qui est le plus important au regard de l’histoire du monde ? Les talibans ou la chute de l’empire soviétique ? Quelques excités islamistes ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »
Et lorsque le journaliste lui dit que ces « quelques excités représentent aujourd’hui une menace mondiale », Brzezinski rétorque :
« Sottises ! Il faudrait, dit-on, que l’Occident ait une politique globale à l’égard de l’islamisme. C’est stupide : il n’y a pas d’islamisme global. Regardons l’islam de manière rationnelle et non démagogique ou émotionnelle. C’est la première religion mondiale avec 1,5 milliards de fidèles. Mais qu’y a-t-il de commun entre l’Arabie Saoudite fondamentaliste, le Maroc modéré, le Pakistan militariste, l’Égypte pro-occidentale ou l’Asie centrale sécularisée ? Rien de plus que ce qui unit les pays de la chrétienté… » [13].
Ce que nous explique Brzezinski, qui fut l’un des plus influents géo-stratèges américains depuis les années 1970, c’est que ce terrorisme est une création artificielle et que son ampleur dépend de la politique occidentale.
Et l’Histoire en témoigne. En effet, le Royaume saoudite, premier et principal pourvoyeur du terrorisme international, fondé en 1932, n’a pu s’établir que par le soutien des Britanniques durant et après la Première Guerre mondiale. En 1945, le Roi Abdelaziz ibn Saoud et Franklin Delano Roosevelt se rencontrent sur le croiseur Quincy ; un pacte est conclu : en échange du pétrole d’Arabie, le royaume des Saoud se trouvera désormais placé sous la protection des Américains qui à cette occasion évincent les Britanniques. Avec le couplage du pétrole saoudien et du dollar américain, débute la phase d’expansion de la doctrine wahhabite – sponsorisée par les pétrodollars – en dehors de l’Arabie. Le wahhabisme part alors à la conquête de l’islam, notamment via de nombreuses institutions comme le Congrès islamique mondial (1949-1952), le Congrès islamique de Jérusalem (1953), le Haut Conseil des Affaires musulmanes (1960), l’Organisation de la Confrérie islamique (1969), la Ligue du Monde musulman (1962), l’Assemblée mondiale de la jeunesse musulmane (1972). Les saoudo-wahhabites financent aussi des chaires universitaires à Harvard, en Californie, à Santa Barbara, à Londres ainsi qu’à Moscou. En outre, l’Arabie Saoudite détient, en terme financier, 30 % de l’enveloppe satellitaire arabe, cinquante chaînes de télévision et autant de titre dans la presse écrite [14].
Tout ceci avec la bénédiction du monde anglo-saxon à la tête du monde « libre ». Une bénédiction renouvelée récemment par le président Trump qui a, par son discours à Riyad et le très important contrat d’armement signé avec les Saoud, a priori accordée une validation tacite à la poursuite de la politique belliqueuse des saoudo-wahhabites au Proche-Orient.