L’émergence de problématiques écologiques ces dernières décennies est l’occasion pour la social-démocratie libérale-libertaire de mettre en scène de nouvelles formes de contestation radicales censées dépasser les luttes des classes nationales par des enjeux d’envergure planétaire. L’affaire du barrage de Sivens, dont le sort devrait être décidé prochainement, en offre un parfait exemple.
En notre époque virtuelle et (im)médiatique, le traitement hystérico-émotionnel d’un fait divers a définitivement pris le pas sur l’analyse rationnelle, celle-ci ne pouvant nécessairement intervenir que dans un second temps. Par l’effet d’une sorte d’alchimie incantatoire, le commentaire politique poussé à la bonne température, à chaud, contraint désormais la matière-réalité à se mouler dans un cadre prédéfini qui deviendra la réalité elle-même ! On l’a vu dans l’affaire Merah, lorsque Nicolas Sarkozy annonçait, avant que tout procès ou enquête n’ait eu lieu, que le « tueur » était encerclé dans son appartement par les forces de l’ordre. On le voit désormais dans le déroulé de toutes les affaires dites de terrorisme, mais pas seulement.
Idéologie de substitution contre-révolutionnaire
« C’est très, très grave ! » Ainsi pérorait la verte Duflot sur France Info, suite à la mort dans le Tarn d’un opposant au barrage de Sivens. L’ex-ministresse du gouvernement Ayrault (celui de Notre-Dame-des-Landes), n’avait pas de mots assez durs pour critiquer l’action des forces de la police, les mots du président du Conseil général du Tarn et jusqu’au gouvernement lui-même, accusé de ne pas compatir assez vite au sort tragique d’un « jeune qui défendait la planète ». Peu importe qu’à l’heure à laquelle elle s’exprimait, aucune enquête n’ait encore rendu de conclusions ni qu’il eût été impossible de rendre compte de ce qu’il s’était réellement passé dans la nuit du 26 au 27 octobre 2014 dans la forêt de Sivens. Pour la Duflette, cette affaire devait de toute façon devenir « une tache indélébile sur l’action du gouvernement ». Dans un article du Monde daté du 5 novembre 2014, l’inénarrable Edgar Morin enfonçait le clou en évoquant, à propos de Rémi Fraisse, une « victime d’une guerre de civilisation ».
Avec l’affaire de Sivens, le système construit sous nos yeux ébahis la légitimité d’une nouvelle forme d’opposition politique. Le monde de l’après-guerre froide n’ayant pas accouché de la société du consensus apolitique tant souhaitée par les libéraux, c’est le centre de gravité de la lutte radicale qui va être déplacé afin d’être fondue dans le mondialisme. Et ce, grâce aux bons et loyaux services des forces de « gauche ».
L’Écologie, nouvelle mystique dont les dogmes sont élaborés au sein de cénacles durables et autres « sommets de la Terre », se propose désormais en idéologie de substitution à la lutte des classes comme moteur de l’Histoire. L’explication de cette dernière, à rebours de tous les progressismes antérieurs, n’est plus que la lente destruction de Dame Nature par l’Homme, dernier des ingrats parmi les habitants de Gaïa. Au prolétariat et à sa mission historique d’émancipation universelle, se substitue désormais la société civile et sa mission « citoyenne » de sauver la planète.
Si en théorie, l’écologie politique paraît s’opposer à la toute-puissance du capitalisme international, elle constitue dans la pratique une véritable aubaine aux mains des tenants de l’économie-monde, forts d’une nouvelle et puissante arme contre-révolutionnaire. D’abord, en menant un combat au nom d’une conscience planétaire abstraite et déracinée, les écologistes, même les plus virulents, viennent légitimer le paradigme mondialiste de ceux qu’ils prétendent combattre. Ensuite, affaire de technoscientifiques ultraspécialisés, l’étude de l’évolution des climats interdit au vulgaire de se saisir en conscience de son destin, le confinant dans un rôle de docile petit contributeur individuel du sauvetage planétaire. Devant l’interdiction d’en sonder les mystères sous peine d’accusation de révisionnisme climatique (soit de blasphème), les grands prêtres-experts promettent néanmoins à chacun la possibilité de sauver son âme en triant ses déchets ! Enfin, en prétendant dépasser les antagonismes de classe par des enjeux d’envergure planétaire, l’écologie politique permet de polluer la compréhension de la question sociale. À ce titre, les partis comme EELV brouillent soigneusement les pistes en positionnant systématiquement leur idéologie, intrinsèquement réactionnaire, comme « à gauche ». Taxes, fermetures de sites, réglementation kafkaïenne, culpabilisation individuelle de comportements pourtant indispensables à la survie économique (comme les déplacements domicile-travail des banlieusards) : la nouvelle religion de la « nature » se révèle en fait une formidable arme de guerre contre les classes productives européennes.
Fausse gauche, vrais parasites
En France, l’instrumentalisation du combat écologique permet également de relancer la fausse opposition droite/gauche, fort moribonde. Et les libéraux-libertaires écolos d’apparaître à bon compte comme progressistes, en soutenant un combat mené par des parasites objectifs (les RMIZadistes et autres étudiants fils à papa partis faire leurs armes en camp de vacances contestataires : les ZAD) tout en tapant sur les Bonnets rouges, mouvement d’authentiques producteurs asphyxiés par les taxes et luttant pour leur survie concrète. Le spectacle de la mort, accidentelle jusqu’à preuve du contraire, d’un jeune botaniste-lanceur de cocktails Molotov, est l’occasion de (re)mettre en scène une gauche compréhensive et maternante qui voit dans les Zadistes ses propres enfants (ce qu’ils sont d’ailleurs sociologiquement), quand elle est sans pitié aucune pour les classes laborieuses françaises. Fidèle ainsi à son rôle historique et en manque de martyrs, la gauche bourgeoise se jette désormais comme une hyène sur le moindre accident ou semi-accident pour jeter à la figure du gouvernement (de gauche bourgeoise aussi) les cadavres de « jeunes morts pour défendre leurs idées », feignant ainsi la radicalité. Dans l’affaire Fraisse, comme dans l’affaire Méric...
Et la droite a beau jeu d’insister sur les violences et les casseurs, conférant par là même un brevet de subversion à ce nouveau mode d’expression politique sur le mode « Papa n’est pas d’accord ». Antifas et autres intermittents de la révolution, éternels collabos du système (certainement malgré eux pour la plupart), par le cassage de quelques boutiques de centre-ville, n’ont plus qu’à venir pimenter le spectacle d’un soupçon d’insurrectionnel. Les images de leur violence d’enfants gâtés, répercutée en boucle dans les média, viendront masquer le caractère intrinsèquement réactionnaire de ces nouveaux modes de contestation indignés.
Complaisance politico-médiatique
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre la complaisance du système pour ces nouveaux mouvements de contestation « écologique », « non-violente » et « citoyenne ». Si les éléments excessifs en leur sein sont critiqués, leur légitimité intrinsèque elle, n’est jamais remise en cause. Les appellations d’origine contrôlées « populiste », « démagogique » ou « fasciste » ne leur sont jamais accolées, comme elles le furent systématiquement pour les Bonnets rouges ou les participants à la Manif pour tous. Au contraire, en dehors des actions ouvertement violentes que les commentaires journalistiques viennent précautionneusement détacher du mouvement principal, le système ne cherche jamais de poux à ces indignés aux cheveux pourtant sales. Qui sont-ils ? De quoi vivent-ils (certains militants semblent semi-professionnalisés, vivant à l’année de ZAD en ZAD) ? Que pensent les opposants locaux de leurs actions et quels effets ont-elles réellement sur les projets contestés ? Si les médias ne font pas ou très peu leur travail sur le sujet, c’est qu’un tri idéologique a été fait en amont par les contestataires : évacuation de tous les aspects socio-économiques sérieux et concrets et de toute référence à la Nation, désormais déclarée obsolète face au caractère « planétaire » des enjeux.
Avec l’écologie politique, ce n’est pas seulement l’objet des luttes progressistes qui est transformé, de l’émancipation humaine, y compris contre la Nature, à l’émancipation de la Nature contre l’Homme ; ce sont aussi ses acteurs, ses modes d’action, sa dialectique militante. Aux jacqueries de producteurs enracinés (ouvriers, paysans, marin-pêcheur…) acculés à la grève et à la révolte par le désespoir, se substitue désormais un nouvel imaginaire collectif de la contestation sociale, celui de la jeune fille cradingue à pantalon bouffant et à dreadlocks, qui mène sa révolution festive en nomade, de ZAD en ZAD, de sites en sites, aux rythmes des agendas des grands sommets internationaux. À la différence des producteurs révoltés, elle ne lutte pas pour ses conditions d’existence. Tout chez elle est distanciation, positionnement esthétique et suinte l’esprit bourgeois : son indignation affectée, son détachement jusqu’au-boutiste, sa référence constante à ses droits, qu’elle énumère en braillant face aux « violences policières » et qui cache mal le profond mépris de classe qu’elle éprouve à l’égard des CRS. Intrinsèquement récupérables si pas encore récupérés, la modernité capitaliste a déjà gagné face à ces nouveaux rebelles hors sol organisateurs de sit-ins et de performances censés alerter l’opinion (mondiale, off course).
Depuis la seconde classe du train qui file à toute vitesse vers le gouvernement mondial, les altermondialistes critiquent l’élite qui voyage en première. Tout le monde descend ?