Alors que le champion de l’oligarchie financière aux élections présidentielles françaises 2017 entame un « Mémorial (entre deux) Tour », pensant ainsi pouvoir se passer d’arguments face à la candidate populaire, cette dernière semble prise en tenaille idéologique par ses adversaires.
D’un côté, le « front républicain » bourgeois tente, comme en 2002 (mais avec moins de succès) d’en faire une candidate fasciste, dévoreuse de libertés individuelles. De l’autre, l’extrême gauche intellectuelle et universitaire tente de décrédibiliser son programme social, avec une Marine Le Pen libérale et vendue au grand patronat, traquant dans son programme la moindre « baisse de charge ».
Cette dualité formelle de l’opposition au FN est l’expression de la profonde unité objective d’un front antipopulaire alliant bourgeoisie d’argent et extrême gauche « radicale ».
Dans son édition de mai 2017, Le Monde diplomatique consacre un article à la « duplicité économique du Front national [1] » : ce dernier a adapté son positionnement politique au monde post-guerre froide, actant la restructuration de l’affrontement Est/Ouest (marxisme/libéralisme) en opposition mondialisme/nationalisme. En 2017, le FN défend, selon le Diplo, un capitalisme national à tendance corporatiste et identitaire contre une financiarisation sauvage et sans frontière de l’économie, au sein d’un parti hétéroclite. Cette analyse est parfaitement juste.
Ce qui l’est moins, c’est quand l’extrême gauche croit y trouver la preuve de la trahison sociale du parti de Marine Le Pen [2]. Sous des dehors sociaux, le FN proposerait aux ouvriers de se faire « exploiter français ». Ce qui reviendrait au même qu’avec Macron qui le leur proposerait à l’international (d’où le « ni Marine ni Macron / ni patrie ni patron »).
Largement issus de la bourgeoisie et occupant les dernières planques de la société post-soixanthuitarde (enseignant-chercheur), les intellectuels d’extrême gauche (Lordon, Ruffin, les Économistes atterrés…) révèlent avec cet argument à quel point ils passent totalement à côté des réalités concrètes du monde du travail. Car se faire « exploiter français », soit avec contrat de travail, couverture santé et assurance chômage, reste tout de même moins douloureux que de se faire exploiter « slovaque », « bangladais » ou dans la société uberisée qu’appelle de ses vœux Emmanuel Macron. C’est même la revendication des « sans-papiers » !
Le FN 2017 n’est pas un parti marxiste-léniniste (quel scoop !) qui promet au prolétariat de mettre fin à l’exploitation en général. Il n’en a pas le pouvoir (même élu), pas plus qu’aucun candidat à la présidentielle 2017. Il propose, dans le cadre du libéralisme actuel, de tenter d’offrir un rempart à la prédation du capital international et financier en France. Rempart dont seraient logiquement bénéficiaires en priorité les catégories populaires, car les plus fragiles face à la crise mondialisée du capitalisme. Quelqu’un a-t-il mieux au deuxième tour ?
L’extrême gauche universitaire et arrogante se ridiculise en passant totalement à côté du véritable enjeu de cette élection présidentielle, soit la préservation du cadre national, acquis révolutionnaire s’il en est. Et c’est un enjeu de lutte de classes ! Mais actualisé et dialectisé : 40 années de réaction néolibérale ont déplacé l’objet de la lutte vers la préservation de l’espace à l’intérieur duquel elle est effective : la Nation. Retour à 1792.
Une fois cette donnée connue, le choix de l’abstention à gauche n’apparaît pas dénué ambiguïté. Car pour valider l’équation Macron = Le Pen, il faut mettre en balance le programme, les soutiens et le bilan gouvernemental du premier, face à ce que l’on suppose être les motivations psychologiques cachées de la seconde. Supposition qui confère à la divination, voire à l’incantation magico-émotionnelle (l’insaisissable déesse Haine) [3]. En réalité, idéologie dominante bourgeoise, réflexe de classe claironné par tous les organes de propagande du pouvoir et logiquement validée par les éléments les plus « radicaux » de l’anticapitalisme institutionnel.
Mais cette prise en tenaille de la candidate du Front national entre fascisme et libéralisme révèle encore un énorme paradoxe qui frise la schizophrénie. Car loin de nous l’idée de nier l’existence et encore moins la nocivité de l’ « extrême droite ». Mais nous dirons, en forme de bravade : surtout quand elle est au pouvoir ! Entre autoritarisme politique (état d’urgence, utilisation pavlovienne du 49-3…) et ultralibéralisme économique (CICE, pacte de responsabilité, loi Travail…), le gouvernement Hollande/Valls peut à bon droit être qualifié de libéral-sécuritaire [4]. Or, la gauche et l’extrême gauche appellent, sinon à élire directement le successeur de ce gouvernement, au moins à faire barrage à son opposante au nom d’un danger… libéral et sécuritaire ! Marine Le Pen a tout de même le dos large…
L’argument selon lequel il faudrait d’abord battre MLP, avant de résister à EM, est donc totalement à renverser. Face au pourrissement néolibéral de l’Histoire incarné par le candidat post-moderne et post-national d’En Marche !, la victoire du FN est souhaitable en tant que « moins pire », y compris si l’on veut la combattre sur la gauche ensuite. C’est le sauvetage du cadre même à l’intérieur duquel la lutte des classes peut produire ses effets (36, 45, juin 68) qui est en question (retour au CNR).
L’argument de type trotskyste (= révolution totale ou rien) fait donc une fois encore le jeu de la prise du pouvoir en France par le capital sous sa forme la plus avancée.
Et une fois la société intégralement dissoute dans une jungle économique et sociale, les mêmes viendront sans doute nous expliquer que la violence qui en résulte vient de la « lepénisation des esprits ». Idéalisme philosophique, quand tu nous tiens !