« On va continuer à faire nos bonshommes. Notre boulot de dessinateur est de mettre le petit bonhomme au coeur du dessin, de traduire l’idée qu’on est tous des petits bonshommes et qu’on essaie de se démerder avec ça. C’est ça le dessin. Ceux qu’on a tués étaient juste des gens qui dessinaient des bonshommes. Et aussi des bonnes-femmes. » Quand Luz déclare sur le site des Inrocks le 12 janvier 2015 que les membres de la bande de Charlie étaient juste de simples dessinateurs qui ne faisaient que croquer des petits bonhommes, il se trompe, et nous trompe.
Un racisme de gauche
La dureté des dessins, mal ressentie par les communautés musulmane et catholique qu’on pouvait choquer sans grand risque, vu leurs représentation médiatique quasi nulle, le fut plus encore par les modérés – qui recevaient cette pluie de crachats inexplicable – que par les ultras, preuve qu’un effet d’impact maximal a toujours été recherché. C’était d’ailleurs le credo du tandem Choron/Cavanna, créateur de Charlie Hebdo il y a 45 ans, avant que Choron ne soit dépouillé de son titre au début des années 90 par la trahison des anciens. Dès lors, Charlie prit une tournure différente.
Les accroches de une, qui se doivent d’être vendeuses selon le principe « le scandale c’est la pub du pauvre », étaient de moins en moins motivées par la grosse déconne gauloise, et de plus en plus par la détestation, une détestation politique classique, celle de la gauche contre tout ce qui symbolisait la droite : curés, militaires, bourgeois, patrons, Blancs, tous proclamés racistes, capitalistes, colonialistes, machistes et honteusement antisémites. L’esprit de Vichy ! Un tir groupé plus connu sous le nom de « la connerie ». Un racisme de gauche, en vérité, sûr de lui et dominateur, ne souffrant aucune discussion : discuter, c’était tout de suite se mettre du mauvais côté. Sinon, comment Cabu aurait-il pu injecter dans ses croquis pendant 50 ans autant de mépris de classe sans une hostilité originelle, permanente, magistrale, à l’encontre des beaufs ? Il fallait au moins ça, un réacteur nucléaire à base de cet uranium enrichissant qu’est le dégoût, pour lancer aussi sûrement et aussi prestement dans la même cible autant de flèches, par milliers, par dizaines de milliers. Pour ce travail de sape dans la lignée de Cabu, les néocharlie furent largement récompensés par la socioculture : passages télé, embauches multiples, car si leur trait était libertaire (la ligne dite crade), leurs idées, elles, étaient parfaitement soumises à la ligne du parti dominant.
« À Charlie, avant qu’on soit embêtés par les musulmans intégristes, on a eu affaire à l’extrême droite catholique. Ça s’est terminé normalement devant les tribunaux, ils ont perdu et voilà. Ils attaquent pour tester en espérant gagner et que la législation change. Les juifs, on doit constater qu’ils ne nous font pas chier. Dans Charlie, on traite surtout de l’Église catholique parce qu’elle est encore très majoritaire. » (Charb à Libé en 2006)
Que personne n’y voie la basse tentative de justifier la tuerie de la sorte : il n’y a aucun rapport entre le contenu de Charlie depuis 10 ans, en réalité aussi subversif qu’un magazine féminin branché, puisqu’il n’a jamais ciblé le vrai pouvoir, et le sort terrible qui a été celui de ses animateurs. Disproportion, distorsion absolue, qui est désormais entre les mains de la justice… pour peu qu’on y croie. Les dessins emprunts de bienveillance, pour utiliser le terme à la mode, font moins mal, mais ont moins d’impact. La haine, la détestation sont publicitaires, et nous le savons tous. Dire ou faire du mal est un vecteur très puissant pour un message. Le mal est un medium. Et les auteurs de Charlie, comme tous les extrémistes, ce qu’ils étaient devenus, des barbus à leur façon, touillaient dans la chair de leurs cibles favorites, justifiant une véritable haine en retour, sans mettre les rieurs de leur côté. Rappelons le dessin sur Marine Le Pen, attaquée sur son physique plutôt que sur sa politique, représentée en étron. Degré zéro de l’humour, de l’inspiration, et surtout, de l’empathie. Enlaidir plutôt que caricaturer habilement, salir plutôt que critiquer finement, étaient devenues les deux mamelles du journal. La louve aux multiples tétons aura perdu sa grâce.
La disparition progressive de la bienveillance (charrier ses ennemis mais leur accorder malgré tout de l’humanité) explique la désaffection grandissante du public à l’encontre de cette publication. Inversement, le dessinateur Reiser, qu’on taxait pourtant de féroce, et qui a été à l’origine de cette pépinière de talents graphiques, et du style coup de poing dans la gueule, faisait rire dans tous les sens, à gauche et à droite, des uns et des autres, car chacun en prenait pour son grade. Il ne ciblait que l’ignorance (dans ce milieu, on dit « la connerie », ce qui a l’avantage de la rejeter loin de soi), qui endosse tous les habits du monde. Les dessinateurs du dernier Charlie, à force de ne cogner que sur les mêmes, ont fini par être assimilés à cette agressivité obsessive, contrairement à leurs prédécesseurs. Le journal est alors devenu le symbole et le fer de lance de l’exécration politique, déclenchant des réactions… d’exécration politique.
Il y a deux sortes de dessinateurs : les politiques, et ceux qui pratiquent l’humour total, on pense à Vuillemin, absolument inclassable, hors concours, comme l’est Dieudonné en one-man-show. Ceux dont le trait et l’humour servent un dessein politique, et ceux qui ne servent que l’humour, qui n’ont d’autre projet que l’humour. Les prosélytes puritains à la Charb, et les gros déconneurs à la Siné. Deux espèces qui peuvent cohabiter, mais pas longtemps : les vrais rigolos de Charlie, ces « droits communs » que sont Martin, Faujour, Lefred, Siné et compagnie, furent plus ou moins expulsés par les « politiques » Cabu, Charb et leurs soldats bien alignés. Où l’on retrouve hiérarchie et soumission bien militaires au milieu des bouffeurs de militaires ! Croqueurs de flics et de curés, les détenteurs illégitimes de Charlie se posèrent en nouveaux flics et curés : flics de la pensée, et curés d’une église politique bien déguisée sous ses oripeaux islamo-cathophobes et, coïncidence, furieusement compatible avec le sionisme au pouvoir. On ne tue que ce qu’on remplace.
Un journal de bande décimée
Le drame qui a frappé la tête pensante de Charlie n’est ni la punition, ni la rançon de leur racisme de gauche. Non, c’est un montage de service – ou de services – qui s’est servi du positionnement marketing de ce journal en perdition pour asséner un coup violent au peuple français, qui commençait à dériver quelque peu, politiquement. Non pas vers la droite ou la gauche, ni même vers l’extrême droite ou l’extrême gauche, qui ne font peur à personne dans l’élitosphère, mais vers une lucidité qui menace le pouvoir de contrôle du système médiatico-politique. Le grand rassemblement de peur (on crée la peur par les coups pour que le troupeau resserre les rangs et coure vers l’enclos prévu à cet effet) qui a eu lieu dimanche 11 janvier 2015 porte la marque du Maître, qui a fouetté les brebis qui essaimaient dans les bois, les champs, et la dangereuse liberté de penser. Une reprise en main vigoureuse qui a nécessité de frapper un faux symbole de liberté, qui ne parlait plus à grand monde. De l’atroce realpolitik du pouvoir réel.
Charlie, dont le rôle aurait dû être d’exprimer la vraie, la joyeuse, la saine subversion française, rabelaisienne, antiaméricaine et antisioniste, non par obsession mais parce que ce sont les deux maîtres du moment, a loupé le train du peuple, pour finir dans les décors, c’est-à-dire avec les félicitations du pouvoir (voir la pire homélie funèbre qu’on puisse imaginer, sur France 2, avec Nagui, Lapix et Cohen), et le mépris des lecteurs intelligents. Il n’est, là, pas du tout question d’Islam. Ce n’est pas l’Islam qui a affaibli Charlie, bien au contraire : c’est l’islamophobie et dans une moindre mesure la cathophobie qui ont maintenu ce titre sous respiration artificielle depuis les caricatures de Mahomet en 2006. Et qui l’ont propulsé dans une impasse, celle de la surenchère dans la couv islamophobe et cathophobe, pour ne pas dire sioniste, une surenchère forcément bien vue par l’élite, moins par le peuple lecteur, qui s’est senti trahi, abandonné : Charlie tapait sur les derniers représentants, défenseurs ou consolateurs des pauvres, le Parti communiste mis à part. Mais, dans sa version Pierre Laurent, a-t-on encore le droit de l’appeler comme ça ?
La survie du journal a donc été paradoxalement basée sur un positionnement perdant, un choix éditorial lourd de conséquences, celui de Philippe Val, qui a littéralement tué l’intégrité journalistique et l’humour libre, non soumis à des calculs politiques ou réseautaires, intégrité et déconnade qui faisaient le charme du vrai Charlie. Les amoureux du foutage de gueule jouissif des vrais maîtres le savent, c’est le faux Charlie qui est mort, et désormais mourant, mais avec, ô miracle, les fées du système qui se pressent autour de lui, et se vengent ainsi, avec un délice de perversité gourmande, de la défaite d’un des derniers titres non-alignés. C’est ça qui est révoltant : la récupération morbide.
Si nous ne pleurons pas la mort de Charlie aujourd’hui avec le chœur des pleureuses hypocrites, qui n’ont jamais acheté un Charlie, ni l’ancien ni le nouveau, et que ce vieux batave de Willem a raison de vomir, c’est que nous l’avons pleurée depuis longtemps, depuis 20 ans et sa vassalisation. Et la mort brutale de ses représentants n’y change rien. Ne nous jetez pas la pierre de l’inhumanité, car nous, nous payons chaque jour par l’opprobre le prix de l’honnêteté vis-à-vis de nos lecteurs, et des lecteurs qui ne sont pas nôtres. Nous ne mentons pas. Et puis, nous sommes lucides : personne ne se précipitera, si nous mourons, avec pluie de pleurs et millions, pour sauver notre peau. Elle est mise à prix, car la subversion, qui échappe à toute récupération, a changé de camp. Quand on dit « nous », on ne pense pas uniquement à E&R, mais à tout ce que la Toile comporte d’esprits lucides, non conformes, s’amusant de la dinguerie d’un système aujourd’hui incarné par ce Duce d’opérette de synagogue de Valls, qui réussit le tour de force de faire passer Sarkozy pour un grand chef d’État. Les journalistes du Monde et de Libé disent fachosphère, nous répondons lucidosphère (en évitant tout rapprochement avec Lucifer). Sans haine, ni arme, ni violence.
Je suis Shoarlie
- Allez les hyènes, le cadavre est encore chaud !
Passons sur l’horrible récupération des morts-vivants de Charlie par France 2 le soir de la Grande Marche détournée, marche de la paix détournée par les commanditaires du terrorisme mêlés aux prestigieux invités ! On rappelle pour ceux qui n’étaient pas nés en 1934 que la Longue Marche de Mao et de ses troupes commença à 130 000, pour se terminer un an plus tard, 12 000 km et des dizaines d’embuscades plus loin, à 30 000. La Grande Marche parisienne, sans oublier ses petites sœurs de province, fera heureusement moins de victimes. Pas sûr cependant qu’elle mènera à la victoire du peuple de France, totalement trahi dans l’affaire. Mû par son émotion, et sa peur de la Mort assassine et aveugle (pas tant que ça), il a cherché à éviter l’inhibition de l’action en se retrouvant, dans la solidarité, pour resserrer ses liens. Il a alors été coiffé de ses maîtres, qui ont accouru pour mener le troupeau… nulle part, en tout cas pas à l’Élysée ou à Matignon, que les brebis respectent encore, maîtres qui ont fini par communier, sans l’encombrant peuple évidemment, dans la grande synagogue de la Victoire. Là, on transforma, sous les ors de la République Sioniste, le besoin de paix civile de tout en peuple en raffermissement du pouvoir, de son étreinte, de sa strangulation, de sa surveillance, en élargissant SA définition du terrorisme. Désormais, sera déclaré terroriste tout Français qui ne sera pas pour le pouvoir, c’est simple comme bonjour.
Première victime, qui n’a pas attendu les calendes : un certain Dieudonné, d’après les rumeurs humoriste, mais qui ne passe plus à la télé, poursuivi pour apologie du terrorisme, pour avoir commis l’attentat suivant : « Je me sens Charlie Coulibaly. » On croyait nager dans une nouvelle ère de liberté d’expression, pour que « plus jamais ça », la Shoah, Charlie, tout ça. On peut compter sur le nouveau Charlie, troisième ou quatrième du nom, pour ne pas sombrer dans ce terrorisme. Nous, eh bien, il faudra qu’on fasse triplement, quadruplement attention à nos mots.
Cavanna avait raison, on n’imagine pas jusqu’où la connerie de l’animal humain peut tomber. Jusqu’où va-t-on descendre, se demandait un sociologue il y a 12 ans. Réponse : on sait toujours pas, mais on y va.