Egalité et Réconciliation
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Comprendre la résistance palestinienne – Partie I : de 1920 à 1967

Un article de Youssef Hindi (exclusivité E&R)

Comprendre la résistance palestinienne – Partie I : de 1920 à 1967

Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R !

 

Sommaire

 

- La résistance palestinienne dans les années 1920/1930

- Les réfugiés de 1948 entrent en résistance

- La naissance du Fatah

- Création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)

- Le Mouvement des nationalistes arabes (MNA)

- Les effets de la défaite de 1967 sur la résistance palestinienne

- L’OLP passe sous la direction d’Arafat

- Terrorisme ou résistance ?

*

 

Ce premier article d’une série de « Comprendre » est destiné à tous ceux qui ont lu mon livre Comprendre le conflit israélo-palestinien et qui désirent approfondir leurs connaissances et leur compréhension de ce vaste sujet.

 

La résistance palestinienne dans les années 1920/1930

Avant l’arrivée en masse d’immigrés juifs d’Europe de l’Est et centrale, vivaient paisiblement en Palestine des juifs.
En 1881, la Palestine (dans les limites de ce qu’on nommera plus tard la Palestine mandataire) comptait environ 470 000 habitants, dont 25 000 juifs. En 1914, le pays aurait compté un peu plus de 720 000 habitants dont près de 80 000 juifs [1]. Il faut donc distinguer deux communautés juives en Palestine : le vieux Yichouv (la vieille communauté juive) et le nouveau Yichouv (les immigrés juifs européens) constitué de ceux qui commencent à émigrer vers la Palestine dans les années 1870.

En 1918, les Palestiniens acceptent l’idée d’une nouvelle immigration juive, mais à condition que ce soit dans le cadre d’une égalité des droits avec les autres populations. Mais comme le fait remarquer Henry Laurens, pour les sionistes, cette égalité est inacceptable, du fait qu’ils désirent au minimum une communauté nationale exclusive et au maximum l’appropriation de toute la Palestine [2].

La même année, les Palestiniens, organisés en comités islamo-chrétiens composés de notables représentant les grandes agglomérations commencent à organiser des manifestations contre ce qu’ils perçoivent comme une future expropriation [3]. Au début des années 1920, L’Association islamo-chrétienne était devenue la principale organisation politique palestinienne.

Dès le début des années 1920, des confrontations éclatent entre immigrés juifs et Palestiniens, mais également entre juifs immigrés socialistes et juifs palestiniens communistes : le 1er mai 1921 à Jaffa, des incidents et des heurts entre eux vont durer trois jours [4]. Témoins des affrontements, des Arabes de Jaffa se joignent aux juifs palestiniens et attaquent un foyer d’immigrants juifs.

« La ville entière de Jaffa fut rapidement le théâtre d’une sauvagerie extrême, rapporte le 5 mai 1921 le drogman du consulat de France. Musulmans et chrétiens assommaient à coups de bâton tous les Juifs qu’ils rencontraient sur le chemin. » [5]

En outre, les juifs Palestiniens religieux du vieux Yichouv s’opposent aux immigrés juifs – après les avoir accueilli dans les années 1880 – pour deux raisons principales : l’influence sioniste qu’ils exercent sur les juifs Palestiniens, et leur absence totale de pratique religieuse. Ils pointent du doigt alors les dangers d’une nouvelle colonisation [6].

Le soulèvement des Palestiniens en 1929 a été « le résultat direct du refus des Britanniques de tenir au moins leur promesse de parité, après la renonciation des Palestiniens au principe démocratique de la majorité » [7], que la Grande-Bretagne avait ardemment préconisé comme base des discussions dans tous les autres États arabes de sa sphère d’influence [8].

Le soulèvement des Palestiniens est spontané, et il est multicausale. C’est une période où l’immigration juive s’intensifie. Viennent s’ajouter à cela des tensions autour de la mosquée al-Aqsa et du Mur occidental (aussi appelé mur des Lamentations).

À partir de 1932, l’immigration juive s’intensifie plus encore et radicalise la position arabe qui prend la forme d’une résistance organisée, notamment par le biais des « patrouilles de vigilance » (interdites par les Britanniques) qui tentent de bloquer l’immigration clandestine le long du littoral [9].

La révolte de 1936 commence en réalité en 1935. Elle est menée par Ezzedine al-Qassam (1882-1935) qui prône la résistance armée à partir de 1925. Il lutte contre la domination britannique et le sionisme. Il est tué en novembre 1935 par les Britanniques. Le combat de Ezzedine al-Qassam donne l’impulsion à un mouvement de révolte générale.

Au printemps 1936, l’Émir Abdallah propose aux dirigeants sionistes de favoriser le développement d’un « foyer juif » privé de souveraineté nationale dans son émirat de Transjordanie ; l’Agence juive refuse [10].

Le Haut Comité arabe, formé le 25 avril 1936 par presque tous les dirigeants des organisations palestiniennes pour représenter l’ensemble des Arabes de Palestine, lance un appel. La protestation est désormais organisée au printemps 1936. Elle commence par des mots d’ordre non violents, sur le modèle de Gandhi, par une grève de l’impôt dû aux Britanniques et des appels au boycott économique. Et très rapidement, des actions violentes sont menées : sabotage de l’oléoduc qui amène le pétrole de Kirkouk à Haïfa ; contre des chemins de fer, et des attaques menées contre des juifs à Tel-Aviv et Jérusalem à partir du 14 mai 1936. La grève cesse le 12 octobre 1936, mais les attentats, organisés tour à tour par des militants arabes et juifs, s’enchaînent dans un cycle de représailles [11].

Les Britanniques firent preuve d’une grande brutalité, et brisèrent la révolte au bout de trois ans. La direction palestinienne fut exilée, leurs unités paramilitaires qui combattaient le mandataire dissoutes. Ceci a beaucoup facilité la tâche aux forces juives en 1947 et 1948 pour épurer ethniquement la Palestine.

Les réfugiés de 1948 entrent en résistance

Dès la fin officielle de la guerre de 1948 qui opposa Israël et les pays de la Ligue des États arabes, le comte Folke Bernadotte, médiateur de paix de l’ONU, demanda qu’on « accepte en principe le rapatriement, à partir du 15 août [1945], et dans une proposition fixée en consultation avec le Médiateur, de quelques-uns des réfugiés qui en expriment le désir, et particulièrement de ceux qui habitent Jaffa et Haïfa… À mon avis, [dit-il], compte tenu de toutes les circonstances, on devrait assurer à tous ces réfugiés qu’ils ont le droit de retourner dans leurs foyers. » [12]

Dans son rapport du 16 septembre 1948, Bernadotte propose un plan de partage établi selon « le principe de l’homogénéité et de l’intégration géographiques » situe les réfugiés arabes sur le même plan où l’on plaçait les réfugiés juifs [13].

Le lendemain, 17 septembre 1948, le groupe Stern a assassiné à Jérusalem Folke Bernadotte ainsi que le colonel français André Sérot, chef des observateurs des Nations unies. Les juifs craignaient notamment de ne plus recevoir le Néguev au terme de la mission de Bernadotte qui proposait de l’intégrer à la partie arabe [14].

On lit, entre autre, cette règle dans les principes établis en 1946 lors de la création de l’Organisation internationale pour les réfugiés : « La tâche essentielle en ce qui concerne les personnes déplacées, consiste à les encourager à retourner promptement dans leur pays d’origine et à aider leur retour [...]. » [15]

Le « droit de rapatriement » est l’un des sept postulats fondamentaux sur lesquels Bernadotte établit ses « Conclusions concrètes » qui précisent le droit international :

« Le droit des réfugiés arabes à regagner leurs foyers en territoire sous contrôle juif le plus rapidement possible devrait être proclamé par les Nations unies, et le rapatriement de ces réfugiés, leur réinstallation et leur relèvement économique et social ainsi que le paiement d’une indemnité suffisante pour les biens de ceux qui auraient décidé de ne pas revenir, devraient être contrôlés et facilités par la Commission de conciliation des Nations unies […] ».

Ce texte est à l’origine de la résolution que l’Assemblée générale des Nations unies vota le 11 décembre 1948, à sa troisième session. Le paragraphe 11 de la Résolution 194 (III) dit ceci :

« Décide qu’il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent, de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent être payées à titre de compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des principes du droit international ou en équité, cette perte ou ce dommage doit être réparé par les gouvernements ou autorités responsables.
Donne pour instructions à la Commission de conciliation de faciliter le rapatriement, la réinstallation et le relèvement économique et social des réfugiés, ainsi que le paiement des indemnités. »

L’histoire a été réécrite pour faire endosser aux États arabes la responsabilités de l’expulsion des Palestiniens. Les autochtones auraient fuient les combats. Vers 1957-1958 apparaît une idée qui sera utilisée constamment depuis par Israël : l’exode des Palestiniens est dû aux ordres ou aux exhortations des chefs arabes. Le ministre des Affaires étrangères israélien se mit à la propager [16].

David Ben Gourion, dans un discours à la Knesset le 11 octobre 1961, affirme :

« Nous possédons des preuves évidentes qu’ils ont quitté ce pays sur les ordres des leaders arabes conduits par le Mufti. » [17]

Aucune preuve n’a été présentée à l’appui de ces propos. Un journaliste irlandais, B. Childers, mena une enquête pour vérifier ce qu’avançaient les autorités israéliennes. Il consulta les enregistrements faits par la BBC de toutes les émissions du Moyen-Orient en 1948, conservés au British Museum. La conclusion de son enquête est la suivante :

« Il n’y eut pas un seul ordre, ou appel, ou suggestion sur l’évacuation de la Palestine, venant de quelque station de radio, à l’intérieur ni à l’extérieur de la Palestine en 1948. Il y a des enregistrements réitérés d’appels arabes et même des ordres positifs de rester sur place (to stay put). »

Par contre, l’Irgoun (organisation terroriste juive) avertit les « Arabes des agglomérations urbaines » que le typhus et le choléra vont apparaître en avril et mai (1948) [18].

Les Palestiniens ont été expulsés par les forces juives, et ce de façon méthodique par des actes terroristes ; cela a été fréquemment signalé par la Commission politique spéciale des Nations unies en 1949 et 1950 [19].
Le représentant de la Jordanie à la Commission, M. Haïkal déclarait le 1er décembre 1950 : « En aucun cas, l’intervention des forces arabes en Palestine n’a été cause de l’exode. » [20] Il ajouta que les Arabes de Palestine « sont, en vérité, victimes de la politique d’expulsion adoptée par les juifs, qui n’ont pas cessé de la pratiquer systématiquement jusqu’à ce jour ».

Au lendemain de la guerre, la question de l’avenir de Gaza se pose. Sa population est passé de 80 000 à 240 000 habitants en quelques mois avec l’arrivée des réfugiés [21]. Précisons au passage que 70 % des Gazaouis sont, aujourd’hui, les enfants et les petits-enfants de ces réfugiés [22] qui ont été chassés de leurs terres par les forces juives.

En février 1949, alors qu’est négocié l’armistice entre l’Égypte et Israël, le roi Abdallah de Jordanie fait savoir qu’il souhaite mettre Gaza sous son autorité afin d’offrir à son pays un débouché sur la Méditerranée et rassembler tous les Arabes de Palestine. De son côté, en avril 1949, Israël affiche sa volonté d’annexer Gaza. L’Égypte n’a aucune revendication sur Gaza, mais ses troupes y sont présentes. Elle refuse de délivrer des permis de travail aux réfugiés palestiniens [23] et rapatrie à Gaza 3 000 personnes arrivées au Caire depuis Rafah. La Conférence de Lausanne organisée le 15 septembre 1949 ne débouche sur aucun accord, et le statu quo s’installe jusqu’au conflit suivant.
En attendant, un gouverneur militaire égyptien dirige la bande de Gaza, placée sous état d’urgence, et dans laquelle il proroge la législation mandataire.

Les réfugiés à Gaza tentent de retourner dans leurs villages d’origine, mais « Israël les refoule et pose des mines pour dissuader les passages » [24]. Pour éviter une escalade militaire, l’Égypte dissuade aussi les franchissements mais doit redéployer ses troupes présentes à Gaza sur le canal de Suez, ce qui a pour conséquence d’affaiblir les contrôles. Une guerre des frontières débute à partir d’initiatives « individuelles de réfugiés suscitant des réactions militaires de Tsahal » [25].

Cette situation fera naître des organisations militantes, à l’instar de l’Union des étudiants palestiniens qui se fait le porte-parole des revendications des étudiants installés au Caire sous la direction de Yasser Arafat ; les communistes se rassemblent dans la Ligue de libération nationale et tiennent un discours en faveur d’un État palestinien, contre la domination égyptienne. Ils seront réprimés en 1952. Ces organisations incitent les Palestiniens à s’infiltrer dans leur terre occupée par Israël et entraînent leurs membres à l’action militaire, à quoi Tsahal répond par des représailles.
L’Égypte instaure un couvre-feu en 1954, alors que les communistes et les musulmans réclament un plan d’armement de la population.
En février 1955, un israélien est assassiné à Tel-Aviv par un commando venu de Gaza. L’armée israélienne mène alors des opérations dans Gaza et l’Égypte multiplie les arrestations, suspend les droits de grève et de manifestation.

Nasser prend le pouvoir et promulgue le 11 mai 1955 une loi de la « bande de Gaza » qui formalise les pouvoirs et organise des opérations de fedayin (« ceux qui se sacrifient ») palestiniens en Israël.

Durant la guerre franco-anglo-israélienne contre l’Égypte (1965), la marine française bombarde la ville de Rafah (dans la bande de Gaza) et prépare ainsi son occupation par l’armée israélien le 31 octobre 1956. Le 2 novembre 1956, l’Égypte offre sa reddition à Gaza aux Israéliens qui prennent le contrôle de tout le territoire où ils instaurent un couvre-feu. Israël maintient les autorités locales en fonction et se fixe pour objectif de neutraliser les fedayin. Les services de sécurité israéliens raflent, filtrent, arrêtent, contrôlent. Dans le camp de Khan Younès, les réfugiés soupçonnés d’activités militaires sont « exécutés sommairement, 275 selon l’UNRWA [26], 415 selon les Palestiniens. Dans le camp de Rafah, le 12 novembre [1956], alors que les opérations militaires sur le canal de Suez ont cessé, tous les hommes sont rassemblés pour vérification : sans témoins extérieurs pour établir les faits, les armes sont utilisées par les Israéliens, qui reconnaissent la mort de 48 Palestiniens, l’UNRWA dresse un bilan de 111 morts et les organisations palestiniennes de 197. Nul doute que des exécutions sommaires ont eu lieu. » [27]

Les Frères musulmans et les communistes palestiniens lancent un mouvement de boycott de l’occupation sous forme de grève générale. Les communistes évoquent la création d’un État palestinien, et les autres Palestiniens célèbrent le nassérisme qui a triomphé à Suez et réclament le rétablissement de l’autorité égyptienne sur Gaza.
Israël veut s’approprier Gaza qu’il considère comme sienne, puisqu’elle fait partie de la « Terre promise ». Il supprime les marque de la ligne de démarcation, introduit la livre israélienne comme seule monnaie, refuse le retour de l’Égypte et le déploiement de la Force d’urgence des Nations unies (FUNU) qui est déployée à Suez le 22 décembre 1956. Mais elle ne peut, dans un premier temps, se déployer à Gaza en raison du refus israélien. Les États-Unis exercent une pression pour un retrait inconditionnel d’Israël de Gaza ; le Premier ministre israélien, Ben Gourion, y consent le 1er mars 1957 et retire toutes ses troupes le 7 mars.
La FUNU prend la suite de l’armée israélienne, et Gaza, contrôlée par l’ONU, est internationalisée. La population et les militants manifestent contre l’ONU et réclament le retour de l’Égypte. Des heurts opposent les casques bleus aux habitants de Gaza.

Le 13 mars 1957, Nasser assure à l’ONU qu’il s’engage à démilitariser Gaza et à interdire les actions des fedayin. L’Égypte réinstalle son administration à Gaza et charge d’anciens fedayin d’assurer la police afin de sécuriser la ligne d’armistice.

La naissance du Fatah

Les premiers dirigeants du Fatah (Mouvement de libération de la nation palestinienne) se forment à Gaza dans les années 1950, suite à la défaite arabe de 1948 et à l’épuration ethnique de la Palestine par les forces juives. Après avoir vécu en Égypte, Yasser Arafat s’installe au Koweït où il crée le Fatah en 1959, avec Khaled Yashruti, Khalil al-Wazir et Salah Khalaf. Le Fatah est une organisation nationaliste de gauche qui a pour objectif la reconquête (l’acronyme de Mouvement de libération de la nation palestinienne, Fatah, signifie en arabe « conquête ») de toute la Palestine occupée et le retour des réfugiés.

Les dirigeants du Fatah ébauchent des thèmes d’action : la nécessité de prendre « eux-mêmes en charge le problème palestinien, de lutter contre les manipulations des États arabes, d’affronter Israël » [28].

Le 1er octobre 1959 est publié à Beyrouth le premier numéro du journal du Fatah, Filastinuna (« Notre Palestine »).
Le travail de propagande est suivi d’actions de résistance concrètes. À partir du 1er janvier 1965, des militants du Fatah pénètre en Israël pour commettre des sabotages qu’ils multiplient dans les mois qui suivent. Dans la presse française, le terme de « sabotage » est peu à peu remplacé par « terrorisme ».

Création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP)

L’OLP (Organisation de libération de la Palestine) est créée au Caire en mai 1964 à l’initiative du président égyptien Nasser. L’OLP, qui n’a aucune implantation populaire en Palestine, est dirigée par Ahmed Choukeiry (1908-1980) [29] et est pilotée par le pouvoir égyptien. Elle est dotée d’une charte et d’un programme fondée sur la nation arabe, dans la filiation idéologique du nassérisme.

Le Mouvement des nationalistes arabes (MNA)

En 1951, des militants – qui ne sont pas tous palestiniens et qui n’ont pas vécu l’expulsion de 1948 – de la cause palestinienne forment le Mouvement des nationalistes arabes (MNA). De nombreux membres ont fréquenté l’université américaine de Beyrouth et ont été influencé par l’enseignement de l’historien syrien (grec orthodoxe) Constantin Zurayq (1909-2000), père du terme Naqba (« Catastrophe ») désignant l’expulsant des Palestiniens par les sionistes en 1948. Parmi ses disciples, certains se tournent vers le marxisme-léninisme et d’autres vers le nassérisme. L’une des grandes figures de ce mouvement est Georges Habache (1926-2008), un palestinien, lui aussi grec orthodoxe.

Les effets de la défaite de 1967 sur la résistance palestinienne

Pour le MNA, la défaite de l’Égypte face à Israël en 1967 fut un énorme choc, d’autant plus que le nassérisme et la croyance en Nasser y étaient ancrés. « La gauche du mouvement adopte une phraséologie révolutionnaire faisant porter les causes de la défaite sur la nature "petite-bourgeoise" des régimes progressistes arabes. Il faut que les forces révolutionnaires prennent un caractère nettement plus prolétarien pour lutter contre le néo-impérialisme incarné par les États-Unis et Israël, tout en se dotant d’une compréhension théorique claire de la nature de la révolution mondiale contre le camp capitaliste mené par les États-Unis. » [30]

La Syrie oriente la résistance palestinienne vers une organisation dont elle a le contrôle, le SAIKA. Le FLP (Front de libération de la Palestine) d’Ahmad Jibril est également piloté par les services syriens. Jibril fonde avec Georges Habache le Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP).

Les nations arabes ayant été facilement défaites par Israël, il ne reste plus aux organisations palestiniennes que la lutte armée acharnée comme solution. Le Fatah entraîne les autres forces, notamment l’OLP et le MNA dans le discours de la lutte armée comme mot d’ordre principal.
Dès la mi-juin 1967, Yasser Arafat et Khalil al-Wazir définissent la nouvelle stratégie : reprendre la lutte armée, cette fois à partir des territoires occupés. Arafat prend le titre de « commandant en chef » et prépare une insurrection populaire sur le modèle de celle de 1936. Des volontaires – 400 étudiants et expatriés palestiniens vivant en Allemagne – viennent grossir les rangs du Fatah.

La première opération lancée en Cisjordanie est la désobéissance civile et la non-coopération. Les appels sont relayés par la Jordanie. Le 7 août 1967, une grève générale est organisée dans la Jérusalem arabe mais la Cisjordanie ne suit pas. Mais dans les jours qui suivent, on appelle à « résister » à l’occupation israélienne dans les principales agglomérations de Cisjordanie. Pour briser les manifestations, Israël utilise l’arme économique : fermeture des commerces pendant plusieurs jours, interdiction des déplacements, en particulier au moment des récoltes.

« Quand on veut éviter de mentionner explicitement la raison de ces sanctions, on se sert de prétextes d’intérêt public ou de mesures sanitaires pour faire passer le message aux populations. Il s’agit de faire comprendre qu’il n’y a pas de droits, mais de pures faveurs accordées par l’autorité israélienne. » [31]

Yasser Arafat donne l’ordre de lancer l’« insurrection populaire » pour la fin août 1967. Il a pour objectif d’établir son autorité et de rendre impossible toute entente entre les pays arabes et Israël ; raison pour laquelle il lance cette initiative en même temps qu’a lieu le sommet de Khartoum réunissant les pays arabes – qui conviennent d’une résolution de solidarité contre Israël.
Les actions de sabotage visent les territoires occupés et Israël. Les Israéliens parlent de terrorisme, et les Palestiniens de résistance.

Le 15 septembre 1967, la voie ferrée entre Haïfa et Jérusalem est minée, ce qui provoque le déraillement d’un train sans faire de victime. En représailles, les Israéliens détruisent quatre maisons d’un village voisin soupçonnées d’abriter des « terroristes ». Plusieurs attentats à l’explosif ont lieu dans les jours qui suivent.

En quelques mois, le Fatah devient une force politique prépondérante en Cisjordanie face aux notables prohachémites.

« La Jérusalem arabe ayant perdu son statut de centre politique et les villes de Hébron et de Naplouse étant mieux tenues par les notables, Ramallah, avec ses habitants plus modernes et sa large composante chrétienne, devient le principal centre de protestation politique contre l’occupation. » [32]

C’est la guerre des Six Jours, la défaite des États arabes, la perte de la Cisjordanie et de Gaza qui ont donné une impulsion nouvelle aux organisations de résistance palestiniennes qui recrutent de nouveaux militants. Le Fatah passe de 500 membres en 1966 à 10 000 en 1970 [33].

Six mois après la guerre des Six Jours, le 24 décembre 1967, Choukeiry démissionne après avoir perdu le soutien des chefs d’États arabes, y compris celui de Nasser, à Khartoum. « L’élimination de Choukeiry est aussi liée à la convergence entre le MNA et le Fatah. Certes le MNA a été dupé par Arafat, qui a lancé la lutte armée plusieurs semaines avant la date convenue, mais il a eu le temps de se réorganiser. L’ensemble des Palestiniens pro-nassériens plus le Front de libération de la Palestine d’Ahmad Jibril fusionnent pour former une nouvelle organisation de résistance armée, le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), dont le premier communiqué est publié le 11 décembre 1967. » [34]

L’OLP passe sous la direction d’Arafat

En juillet 1968, le quatrième Conseil national palestinien est réuni au Caire, avec la participation, pour la première fois, des membres de huit organisations armées, lesquels parviennent à occuper la majorité des sièges du Comité exécutif et à porter à leur tête Yasser Arafat en février 1969. L’OLP parvient ainsi à échapper au contrôle égyptien.

Les organisations au sein de l’OLP forment un large éventail idéologique, de l’extrême gauche marxiste aux organisations islamiques : le Fatah, le FPLP, le Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) fondé par Nayef Hawathmeh, le Front de libération arabe (FLA), le Front populaire pour la libération palestinienne (FLP), le Front de lutte populaire palestinienne (FLPP) et la Saika. Chacun a des liens avec un État arabe ou avec le bloc soviétique. Chacune des organisations membres de l’OLP conserve ses structures, militants et décisions politiques. Et chacune peut faire des proposition de règlement du conflit entre Israël et la Palestine.

« Les conflits internes de pouvoir sont forts, les ambiguïtés réelles et se retrouvent dans les structures de l’OLP, qui affiche néanmoins l’ambition d’organiser un proto-État, comme pouvait l’être le Yichouv [la communauté juive en Palestine], sans territoire. » [35]

L’OLP met en place des institutions qui se veulent démocratiques : le Conseil national palestinien qui est une sorte de parlement représentant toutes les tendances. Les 200 à 250 membres discutent de la stratégie, des rapports financiers et des orientations politiques. Ils désignent un comité central de 60 membres qui charge le Comité exécutif de 15 membres d’appliquer les orientations politiques. Ce « comité s’élargit en 1974 à des Palestiniens de l’intérieur, de Gaza et de Cisjordanie » [36].

Terrorisme ou résistance ?

Le rapport de causalité entre les défaites arabes, l’expulsion des Palestiniens et la naissance des mouvements de résistance palestiniens est indiscutable. Plus les États arabes ennemis d’Israël s’affaiblissent, et plus la résistance palestinienne gagne en ampleur et en virulence ; des organisations qui sont soutenues par des pays arabes qui ne sont plus en capacité – ou qui ne veulent pas, en raison du risque d’embrasement régional, voire mondial – d’affronter directement Israël. C’est une situation qui perdure jusqu’à nos jours.

De son côté, Israël qualifie d’atteinte terroriste à la sécurité « tous les actes de résistance, violents ou non, justifiant par là toutes les mesures de répression. Les personnes arrêtées pour terrorisme sont condamnées comme des criminels » [37].

Pour les Palestiniens, cette répression israélienne est terroriste par nature, comme « le montre le refus d’appliquer les conventions de Genève » [38].

La correspondance de l’ambassade de France à Tel-Aviv parle, dès le 6 octobre 1967, des « organisations palestiniennes de résistance » [39].

Le mois suivant, lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967, le général de Gaulle déclare :

« On sait que la voix de la France n’a pas été entendue, Israël ayant attaqué, s’est emparé en six jours de combat des objectifs qu’il voulait atteindre. Maintenant il organise, sur les territoires qu’il a pris, l’occupation qui ne peut aller sans oppression, répression, expulsion. Et il s’y manifeste contre lui la résistance qu’à son tour il qualifie de terrorisme. » [40]

Youssef Hindi

Notes

[1] Georges Bensoussan, Les origines du conflit israélo-palestinien (1870-1950), Que sais-je / Humensis, 2023, p. 5.

[2] Henry Laurens, L’Orient arabe, Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 1993, p. 165.

[3] Henry Laurens, L’Orient arabe, Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, p. 184.

[4] Henry Laurens, L’Orient arabe, Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, p. 221.

[5] Henry Laurens, La Question de Palestine Tome I, Fayard, 1999, p. 564.

[6] Yakov M. Rabkin, Au nom de la Torah, L’opposition juive au sionisme, Tarik Editions, 2004, p. 46.

[7] Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine.

[8] Eliakim Rubinstein,« Le traitement de la question arabe en Palestine dans la période post-1929 », in Ilan Pappe (éd.), Arabes et Juifs dans la période du Mandat – une vision nouvelle de la recherche historique (en hébreu).

[9] Georges Bensoussan, op. cit. p. 48.

[10] Georges Bensoussan, op. cit. p. 54.

[11] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, Tallandier, 2018, 2021, pp. 74-77.

[12] Amélie Marie Goichon, La Jordanie réelle, Tome I, G.-P. Maisonneuve et Larose, 1967, p. 291.

[13] Document A/648.

[14] A.-M. Goichon, op. cit. p. 217.

[15] Amélie Marie Goichon, La Jordanie réelle, Tome I, p. 292.

[16] La Division de l’Information de ce ministère, à Jérusalem, publie des tracts de quatre pages, Aperçus, Thèmes, etc. avec édition française. Amélie Marie Goichon, La Jordanie réelle, Tome I, pp. 295-296.

[17] Les offres de paix d’Israël…, p. 78, § 4. Amélie Marie Goichon, La Jordanie réelle, Tome I, p. 296.

[18] Childers, The Other Exodus, p. 673, col. 1. Amélie Marie Goichon, La Jordanie réelle, Tome I, pp. 297-298.

[19] Quatrième session, 51e à 55e séances, 1949, et cinquième session, 31e à 36e séances ; rapports A/1367 et 1/1451. Discours de M. Eban, 55e séance, §§ 36-58. Actes de terrorisme, 52e séance, §1 ; 54e séance, §17 ; 55e séance, §§ 5 et 49 ; 31e séance, § 32 ; 33e séance, § 1 ; 35e séance, §§ 59 et 85 ; 36e séance, § 3.

[20] Cinquième session, 65e séance, 1er décembre 1950, §§ 15-16.

[21] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, Éditions Tallandier, 2018, 2021, p. 116.

[22] Norman Finkelstein, « Video recording and Transcript : Special Emergency Podcast on Gaza, October 8th 2023 », 09/10/2023. https://normanfinkelstein.substack....

[23] « De 1948 à 1962, les réfugiés palestiniens n’ont pas le droit de travailler, sinon de façon clandestine. En 1962, le marché du travail leur est ouvert tout comme le droit d’acheter des terrains agricoles dont sont exclus les autres étrangers. Mais la situation se durcit dans les années 1980 : le marché du travail se referme, dont la possibilité de travailler dans le secteur public ; la propriété agricole est interdite en 1985 ; les écoles publiques sont fermées aux enfants palestiniens ; l’exercice de la médecine leur est interdit. » Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 118.

[24] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 117.

[25] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 117.

[26] The United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient).

[27] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 120.

[28] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions,Tallandier, 2018, 2021, p. 172.

[29] Après une carrière de journaliste et de haut fonctionnaire dans les organisations internationales où il a successivement travaillé pour la Syrie, l’Arabie saoudite et l’Égypte.

[30] Henry Laurens, La question de Palestine Tome quatrième, Fayard, 2011, pp. 64-65.

[31] Henry Laurens, La question de Palestine Tome quatrième, p. 67.

[32] Henry Laurens, La question de Palestine Tome quatrième, p. 69.

[33] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 172.

[34] Henry Laurens, La question de Palestine Tome quatrième, p. 70.

[35] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 179.

[36] Jean-Claude Lescure, Le Conflit israélo-palestinien en 100 questions, p. 179.

[37] Henry Laurens, La question de Palestine Tome quatrième, p. 70.

[38] Henry Laurens, La question de Palestine Tome quatrième, p. 71.

[39] MAE, Afrique-Levant, 1966-1970, Israël, 1768.

[40] https://fresques.ina.fr/de-gaulle/f...

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