Dans la nuit du mercredi 18 au jeudi 19 juillet 2018, le Parlement israélien (Knesset) a approuvé la loi (62 voix contre 55) sur l’État-nation qui officialise le caractère juif de l’État hébreu et décrète Jérusalem capitale d’Israël. La loi stipule en outre que l’hébreu devient la seule langue officielle, statut désormais retiré à l’arabe par le texte qui lui confère un statut spécial, autorisant théoriquement la poursuite de son utilisation dans l’administration.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré à l’issue du vote :
« C’est un moment décisif dans l’histoire de l’État d’Israël qui inscrit dans le marbre notre langue, notre hymne et notre drapeau. »
Un député arabe israélien (la Liste unifiée), Ahmed Tibi, a dénoncé une clause affirmant que « l’État considère que le développement de localités juives (en territoire israélien) relève de l’intérêt national et que l’État prendra les mesures pour encourager, faire avancer et servir cet intérêt ».
Une précédente version de cette clause, contestée par le président Reuven Rivlin et le procureur général Avichai Mandelblit en raison de son caractère jugé discriminatoire, évoquait la possibilité de créer des localités exclusivement réservées aux juifs.
Le texte voté entre dans la catégorie des lois fondamentales au caractère « constitutionnel », bien que l’État hébreu n’ait pas de constitution, pas plus qu’il n’a de frontières.
Épuration ethnique : constante de la politique sioniste
Dès 1918, Ben Gourion (1886-1973), dans un livre coécrit en yiddish, inclut dans les frontières du futur État hébreu les territoires occupés, le sud du Liban jusqu’au fleuve Litani, une partie du sud de la Syrie, une grande partie de la Jordanie et la péninsule du Sinaï. Les sionistes furent très discrets sur leurs ambitions territoriales, ceci afin de ne susciter ni la colère des Arabes ni celle de Londres. C’est une stratégie de grignotage permanent que celle de Ben Gourion, qui s’oppose à celle des plus radicaux comme Zeev Jabotinsky (1880-1940) – dont le secrétaire était Bension Netanyahou (1910-2012), le père du Premier ministre actuel – qui voulait tout ou rien.
Lorsque les sionistes acceptèrent le partage prévu par la commission Peel de 1937 et celui de l’ONU en 1947, ce n’était pour eux qu’une manœuvre tactique, un palier menant vers le Grand Israël, aux frontières bibliques, du Nil à l’Euphrate (Genèse 15, 18).
Ainsi, en 1937, Ben Gourion déclara :
« Après la formation d’une grande armée suite à la création de l’État, nous abolirons le partage et nous occuperons toute la Palestine. »
La même année il dit à son fils :
« Érigeons un État juif sur-le-champ, même si ce n’est pas sur tout le territoire. Le reste nous reviendra avec le temps. Il le faut. »
Le 13 mai 1947, un an avant la création de l’État d’Israël, Ben Gourion déclara devant l’Agence juive aux États-Unis :
« Nous voulons la terre d’Israël dans sa totalité. C’était l’intention de départ. »
Une semaine plus tard, devant l’Assemblée élue à Jérusalem, il dit :
« Y-a-t-il une personne parmi nous qui ne soit pas d’accord avec le fait que l’intention première de la Déclaration Balfour et du mandat sur la Palestine, et l’intention première des espoirs nourris par des générations de juifs, était de créer un État juif sur la totalité de la Terre d’Israël ? »
La création d’un État juif impliquait, dès l’origine, une épuration ethnique, par des expulsions et des massacres. Le nombre de morts depuis cette date dans les guerres asymétriques entre Israël et les Palestiniens ou la colonisation insidieuse des territoires occupés sont là pour nous le rappeler. Les sionistes ayant fait du Livre de Josué, depuis leur installation en Palestine, un manuel de conquête, et ce jusqu’à nos jours. D’ailleurs, le 27 septembre 2012, Benjamin Netanyahou débuta son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies en se référant à Josué qui, d’après le récit, fit la conquête de la Palestine en exterminant tous les autochtones.
Moïse Maïmonide (1135-1204), qui est une des plus importantes autorités religieuses de l’histoire juive, écrivait que, le jour venu, il faudrait « exterminer tous les habitants de la Terre promise » ; le commandement : « Ne laisser survivre aucun Cananéen », dit-il, est « valable en tout temps ». Et c’est ce commandement qui fut appliqué durant le massacre des villageois de Dar Yasin en 1948. Année où furent expulsés 750 000 Palestiniens, ne laissant que 15 % d’entre eux sur leur terre.
Depuis la création du foyer national juif dans les années 1920, les Palestiniens, qui voient leur territoire grignoté, sont expropriés de façon progressive et continue, comme le préconisait Ben Gourion.
L’ancien ministre de la Défense israélienne Moshe Dayan (1915-1981) raconte que :
« Des villages juifs ont été construits à la place de villages arabes. Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages, et je ne peux pas vous en vouloir, car les livres de géographie n’existent plus, non seulement les livres n’existent plus, mais les villages non plus. Il n’y a pas une seule construction dans ce pays qui n’abritait pas des habitants arabes auparavant. »
En 1976, fut rédigé le Koening Memorandum par un important membre du ministère de l’Intérieur israélien, Yisrael Koening. Ce rapport visait à régler le problème arabe de Galilée en réduisant leur nombre par divers moyens, notamment par l’expropriation et l’intensification de la colonisation juive. Le but final était l’évincement total des Arabes israéliens.
En juillet 2014, durant l’assaut mené par Israël sur Gaza – tuant de façon indiscriminée combattants et civils, hommes, femmes, enfants et vieillards – Moshe Feiglin, vice-président du Parlement israélien (la Knesset) et membre du parti Likoud (parti au pouvoir en Israël actuellement), a proposé un plan pour Gaza (ville peuplée exclusivement de Palestiniens musulmans et chrétiens). Dans ce plan, le chef parlementaire préconisait d’expulser toute la population de Gaza vers l’Égypte, dans le Sinaï.
Feiglin expliquait qu’il fallait détruire toutes les infrastructures de Gaza avec une puissance de feu maximale. Il écrivit dans son plan que « Gaza est un fragment de notre Terre et nous y resterons jusqu’à la fin des temps... elle deviendra partie intégrante de l’État d’Israël et sera peuplée par les juifs ».
Feiglin appelle les gazaouis (sans exception d’âge ou de sexe), « la population ennemie », conformément au Livre de Josué :
« Et l’on appliqua l’anathème (extermination de masse et immolation collective) à tout ce qui était dans la ville ; hommes et femmes, enfants et vieillards » (Josué, 6 :21).
En janvier 2018, le journal israélien Haaretz rapportait que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou avait demandé au président des États-Unis, Barack Obama, de donner aux Palestiniens le Sinaï en échange de l’annexion de parties de la Cisjordanie. L’information a été révélée par des anciens officiels américains de l’administration Obama.
Les dirigeants israéliens ont approché le président Obama et le secrétaire d’État John Kerry et leur ont proposé à plusieurs occasions de transférer les Palestiniens dans le Sinaï et de laisser l’État hébreu annexer de grandes parties de la Cisjordanie. « Nous avons tous pensé que c’était une perte de temps », racontent les officiels américains, et d’ajouter « nous savions que ce serait inacceptable pour les Palestiniens – pourquoi échangeraient-ils leurs terres agricoles en Cisjordanie, près des grandes villes, pour des dunes de sables dans le Sinaï ? ».
Netanyahou avait alors dit aux Américains que l’Égypte offrirait avec sympathie des terres du Sinaï aux Palestiniens ; mais après que le président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi ait refusé, les Américains ont abandonné l’idée.
Ces anciens officiels de l’administration Obama notent que ce plan est similaire à celui qui a été proposé par Israël à l’administration Trump. Le gendre de Donald Trump, Jared Kushner (appartenant à la communauté juive orthodoxe Habad-Loubavitch), aurait inclut dans l’accord des échanges de terres dans le Sinaï. En décembre 2017, après que Donald Trump ait reconnu Jérusalem comme capitale de l’État juif, le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed Ben Salmane – très proche des Israéliens – a proposé le village d’Abu Dis (situé près de Jérusalem) comme future capitale de la Palestine en lieu et place de Jérusalem Est.
En juillet 2018, dans le contexte du vote de la loi sur l’État-nation, Israël entreprenait la démolition d’un village (al-Khan al-Ahmar) de Cisjordanie. Une destruction – illégale au regard du droit international – qui a été temporairement suspendue par la Cour suprême de justice suite à une procédure en référé présentée par Alaa Mahajna au nom de la communauté villageoise d’al-Khan al-Ahmar. L’État d’Israël prévoit, après destruction du village, d’opérer un transfert forcé des 200 résidents près d’une décharge appartenant à la ville palestinienne d’Abu Dis.
La destruction de ce village a pour objectif de permettre l’expansion de l’implantation voisine de Kfar Adumim et créer ainsi une région de contrôle israélien continu de Jérusalem à la mer Morte.
Racisme d’État fondé sur la Torah et le Talmud
Cette absence totale de considération pour les non-juifs en général, et pour les Palestiniens en particulier, est directement issue de la loi juive : la Torah et le Talmud. Les dirigeants israéliens, laïques ou religieux, ne font rien d’autre que l’appliquer.
L’intellectuel israélien Israel Shahak (1933-2001), qui a lu la loi juive dans le texte, et non pas ses versions expurgées dans les langues des goyim, rapporte que selon la loi « le juif qui tue délibérément un gentil n’est coupable que d’un péché contre les lois du Ciel, non punissable par un tribunal (cf. Maïmonide). Quant à la cause indirecte de la mort d’un gentil, ce n’est pas un péché du tout ».
Ces deux dernières règles s’appliquent même si la victime est ger toshav, c’est-à-dire un « étranger résident » qui s’est engagé, devant trois témoins juifs, à observer les « sept préceptes noachiques » (les commandements donnés à Noé qui, selon le Talmud, concernent les non-juifs).
Ainsi, l’un des plus importants commentateurs du Shulhan ‘Arukh (abrégé de la loi talmudique faisant le plus autorité, qui fut rédigé par Joseph Caro à la fin du XVIe siècle) explique que s’agissant d’un non-juif, « l’on ne doit pas lever la main pour lui nuire, mais on peut lui nuire indirectement, par exemple en enlevant une échelle quand il est tombé dans un trou… il n’y a pas d’interdiction ici, puisque ce n’a pas été fait directement ». Toutefois, ce commentateur insiste sur le fait qu’un acte provoquant indirectement la mort d’un gentil (goy) est interdit, si cela risque de répandre l’hostilité envers les juifs.
Ces lois ont évidemment une influence sur la politique de l’État hébreu. Si le code pénal israélien ne fait aucune distinction entre juif et non-juif, les rabbins orthodoxes la font, et s’inspirent de la Halakhah (loi juive) pour conseiller leurs fidèles, et notamment ceux qui servent dans l’armée. L’interdiction de tuer un non-juif délibérément ne s’applique qu’aux « non-juifs avec qui nous (juifs) ne sommes pas en guerre » ; de nombreux commentateurs rabbiniques du passé sont donc arrivés à la conclusion qu’en temps de guerre, tous les non-juifs appartenant à une population ennemie peuvent, ou même doivent être tués. Un des principaux commentateurs du Shulhan ‘Arukh, Rabbi Shabbatay Kohen (milieu du XVIIe siècle), explique :
« Mais en temps de guerre la coutume était de les tuer de sa propre main, car il est dit : Le meilleur des goyim (gentils) – tuez-le ! ».
Depuis 1973, cette doctrine est propagée publiquement en direction des militaires israéliens religieux. La première de ces exhortations officielles apparaît dans une brochure éditée par le commandement Région centre de l’armée israélienne, dont le domaine d’action comprend la Cisjordanie. Dans le petit livre, le grand-rabbin du corps d’armée écrit :
« Quand au cours d’une guerre, ou lors d’une poursuite armée ou d’un raid, nos forces se trouvent devant des civils dont on ne peut être sûr qu’ils ne nous nuiront pas, ces civils, selon la Halakhah, peuvent et même doivent être tués… En aucun cas l’on ne peut faire confiance à un Arabe, même s’il a l’air civilisé… En guerre, lorsque nos troupes engagent un assaut final, il leur est permis et ordonné par la Halakhah de tuer même des civils bons, c’est-à-dire les civils qui se présentent comme tels. »
Israël Shahak souligne que « cette doctrine de la Halakhah sur le meurtre est complètement contraire, en principe, non seulement au droit pénal israélien mais aussi aux règlements militaires officiels. Il n’empêche qu’en pratique, elle exerce certainement une influence sur l’administration de la justice, notamment par les autorités militaires. De fait, chaque fois que, dans un contexte militaire ou paramilitaire, des ressortissants israéliens ont tué délibérément des Arabes non combattants – y compris le cas de massacres comme celui de Kafr Qasim en 1956 – les meurtriers, soit n’ont pas été inquiétés, soit ont été condamnés à des peines symboliques, ou ont obtenu d’énormes remises de peine, réduisant celle-ci à néant… Des personnes coupables de tels crimes se sont même fréquemment élevées jusqu’aux plus hautes fonctions publiques ».
Les proclamations des rabbins israéliens, basées sur la Halakhah, sont rarement contestées par la gauche sioniste… Ceci s’explique par le fait que le sionisme, apparu sous les traits d’une idéologie laïque au XIXe siècle et s’appuyant sur le socialisme après la création du foyer national juif, est, comme je l’ai largement montré, d’origine et d’essence religieuse, et de ce fait transcende les clivages politiques.
Le judaïsme traditionnel et les idéologies modernes qui en sont issues, finissant, au terme d’un processus historique de longue durée, par se télescoper et s’interpénétrer de façon osmotique.
Quant aux non-juifs avec qui les juifs ne sont pas en guerre, écrit Maïmonide, « il ne faut pas causer leur mort, mais il est interdit de les sauver s’ils sont en danger de mort ; si par exemple, on voit l’un d’eux tomber dans la mer, il ne faut pas se porter à son secours, car il est écrit : "et tu ne te mettras pas contre le sang de ton prochain" » (Lévitique 19, 16).
Maïmonide ne fait que prolonger le Talmud qui ordonne, au sujet des goyim avec lesquels les juifs ne sont pas en guerre : « Quant aux goyim, il ne faut ni les retirer d’un puits ni les pousser dedans » (Traité ‘Avodah Zarah, p. 26b). Talmud qui n’est lui-même que l’extrapolation de la Torah et de la Bible hébraïque.
Selon le Talmud, la présence des goyim sur la Terre Sainte ne peut être tolérée que tant que les juifs sont en exil et que les goyim sont plus puissants qu’eux, mais :
« Quand les juifs sont plus puissants que les goyim, il nous est interdit d’admettre un idolâtre parmi nous ; même un résident temporaire ou un marchand itinérant ne sera pas autorisé à passer par notre pays, à moins qu’il n’accepte les sept préceptes noachiques, car il est écrit : ‘‘ils n’habiteront plus ton pays (Exode 23, 33)’’, c’est-à-dire même pas provisoirement. S’il accepte ces sept préceptes, il devient un résident étranger (ger toshav), mais il est interdit d’accorder ce statut de résident étranger, sauf aux époques où l’on observe le Jubilé (c’est-à-dire quand le Temple existe et qu’on offre les sacrifices). Mais durant les temps où l’on ne célèbre pas les jubilés, il est interdit d’accepter quiconque ne s’est pas pleinement converti au judaïsme (ger tzedeq) »
La récente loi sur l’État-nation n’est en somme que la continuité de la politique poursuivie par les sionistes depuis la création du foyer national juif, laquelle est l’application de la loi juive inscrite dans la Torah, le Talmud, le Mishneh Torah de Maïmonide et les commentaires rabbiniques qui s’en sont suivis.
L’État d’Israël, c’est le judaïsme en action.
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