Un journaliste israélien, Alon Ben-David, a publié un article dans le Jerusalem Post dans lequel il analyse les enjeux et les conséquences d’une possible guerre entre Israël et le Hezbollah :
C’est un phénomène qui survient à peu près chaque année aux alentours du printemps. Lorsque le soleil se met à briller, les experts israéliens en matière de sécurité commencent à spéculer sur les possibilités qu’une nouvelle guerre éclate pendant l’été. Peut-être à cause de la chaleur inhabituelle cette semaine, ces grondements qui évoquent une troisième guerre du Liban semblent avoir eu de l’avance sur le calendrier. Une des raisons pourrait être la tension grandissante à propos de l’usine de missiles de précision que le Hezbollah est en train de construire à Beyrouth. La menace peut être réelle mais les déclarations et les menaces ne suffiront pas à la contrecarrer.
Depuis la fin de l’opération Bordure protectrice, il y a trois ans, l’armée israélienne a concentré ses efforts afin d’empêcher le Hezbollah de devenir plus puissant. Les incidents militaires mineurs qui se sont déroulés entre les guerres sont devenus une source de préoccupation principale pour l’armée israélienne. D’après des rapports qui proviennent de Syrie, les attaques de l’armée de l’air israélienne sont devenues une routine, et même les Russes ne semblent pas avoir accepté ce nouveau statu quo.
L’Iran et le Hezbollah ont finalement réalisé que tous leurs convois qui transitent à travers la Syrie seront exposés aux attaques des avions de chasse israéliens. La tentative par l’Iran de construire une usine de missiles de précision en Syrie a été empêchée par Israël en septembre dernier (d’après les rapports dans les médias étrangers). Cela a eu pour effet de contraindre le Hezbollah à échapper à l’activité anti-terroriste israélienne en déplaçant cette usine sur le sol libanais.
Contrairement à ce qui se passe en Syrie, Israël opère au Liban avec une équation de dissuasion différente, dictée par le Hezbollah. Il y a quatre ans, en février 2014, l’armée de l’air israélienne avait attaqué un dépôt d’arme dans une ville libanaise près de la frontière syrienne. Le Hezbollah a déclaré qu’il ne tolérerait pas de telles attaques. Un mois plus tard, il a mis sa menace à exécution et a fait détonner une charge explosive au passage d’un convoi de l’armée israélienne près des Fermes de Chebaa. Heureusement, il n’y a pas eu de victimes.
Immédiatement après l’attaque, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a annoncé quelle serait la nouvelle équation : à chaque fois qu’Israël attaquerait le Liban, il y aurait une attaque à la frontière nord d’Israël en guise de réponse. Pour certaines raisons, Israël a accepté ces règles du jeu et s’est abstenu d’attaquer des objectifs sur le sol libanais. Le porte-parole de Nasrallah, le journaliste Ibrahim al-Amin, fait en sorte de nous rappeler, tous les deux mois dans ses articles, que cette équation est toujours valide et volatile.
Il y a plus d’un an, Israël a commencé à surveiller les préparatifs de l’Iran pour la construction d’une usine de missiles dans la région de Beyrouth. La menace est claire : les missiles qui sortent de cette usines conféreraient au Hezbollah la capacité d’attaquer des sites stratégiques en Israël et de cibler des bâtiments avec précision. L’organisation terroriste pourrait s’armer avec des centaines de nouveaux missiles chaque année. Nous pouvons supposer qu’Israël a cherché des solutions pour entraver cette construction mais l’article publié cette semaine dans les médias arabes par le porte-parole de l’armée israélienne, Ronen Manelis, indique que ces efforts ont été infructueux.
Quand Israël a la capacité d’opérer clandestinement, il ne fait pas de déclarations et de menaces publiques. La publication inhabituelle de cet article montre qu’Israël s’est défait de ses tentatives de contrecarrer furtivement la construction de l’usine, et qu’il envisage sérieusement de mener une attaque aérienne. Cela représente un dilemme très sérieux : une attaque israélienne pousserait le Hezbollah à exercer des représailles sur la frontière nord d’Israël, qui pourraient facilement provoquer une escalade menant à une troisième guerre du Liban qui n’est souhaitée ni par Israël, ni par le Hezbollah.
C’est le message que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a adressé au président russe Vladimir Poutine : la poursuite de la construction de l’usine conduira la région au bord de la guerre. Il est difficile de ne pas être impressionné par la manière avec laquelle Netanyahou a réussi à se rapprocher du président russe. Il y a quelque chose qui va au delà de la protection des intérêts mutuels – Poutine tient personnellement Netanyahou en haute estime et il a une relation spéciale avec Israël qu’il voit comme un pays ayant des liens culturels très forts avec la Russie. La capacité de Netanyahou à s’entretenir avec Poutine exactement la même semaine où il a rencontré le président américain représente un atout stratégique majeur pour Israël.
Poutine respecte les intérêts israéliens concernant la Syrie, un état qui se trouve actuellement sous l’aile de la Russie. Il ne permet pas aux Iraniens de s’approcher de trop près des hauteurs du Golan et il s’est abstenu d’intervenir lorsque l’armée de l’air israélienne y effectue des missions. Mais, avec tout le respect dû à Netanyahou, Poutine ne peut pas vraiment (et ne désire probablement pas) intervenir sur ce qui se passe au Liban. Il va transmettre le message israélien à ses partenaires à Téhéran et à Beyrouth, peut-être en disant en aparté que la Russie n’a pas intérêt à un conflit entre Israël et le Hezbollah, mais les chances pour qu’il leur ordonne d’arrêter la construction de l’usine sont assez minces.
Pendant que Netanyahou essaie de faire avancer une diplomatie discrète à Moscou, de retour à la maison, un groupe bruyant d’individus, préoccupé par la sécurité d’Israël, est déjà en train de déterminer les contours de la prochaine guerre. Le Hezbollah n’a pas besoin de ces descriptions. Ses dirigeants comprennent assez bien que leur organisation ainsi que le Liban ne seront plus les mêmes à la suite de la prochaine guerre. Elle nuirait beaucoup plus qu’auparavant aux Libanais et ramènerait le Liban à plusieurs décennies en arrière.
Le Hezbollah ne sortirait probablement pas victorieux de ce prochain cycle de violence mais il pourrait bien réussir à contraindre le peuple israélien à subir une période extrêmement difficile, comme il ne l’a pas expérimenté depuis la guerre d’Indépendance. Il pourrait infliger un coup sévère aux populations civiles et militaires d’Israël et pourrait même occuper temporairement quelques villages israéliens. Le visage de la société israélienne pourrait être modifié de façon radicale, conduisant un certain pourcentage d’Israéliens à se demander s’ils ont un avenir ici.
Les deux parties comprennent très bien le pouvoir destructeur qu’impliquerait une guerre, c’est la raison pour laquelle Israël et le Hezbollah sont, l’un comme l’autre, dissuadés d’entrer en conflit. Le Hezbollah n’est pas non plus vraiment préparé à entrer en guerre aujourd’hui – il préférerait d’abord rapatrier ses 6 000 soldats, stationnés actuellement en Syrie, vers le Liban. Mais il se pourrait que cela prenne un certain temps avant que ce soit possible. Pourtant, malgré ses capacités limitées, le Hezbollah parvient à mener une campagne dévastatrice contre Israël. C’est pourquoi je conseillerais à tous les dirigeants politiques israéliens, qui ont récemment parlé d’attaquer le Liban, de réfléchir soigneusement aux conséquences d’une telle guerre et de se demander si le prix à payer aussi élevé, en tant que société, en vaut la peine.
L’usine de missiles au Liban pourrait représenter un des dilemmes les plus difficiles auquel Netanyahou devra faire face. Si l’on observe la manière avec laquelle les premiers ministres ont abordé de telles questions, le mode d’action le plus courant était l’inaction. Cela fait partie de la nature humaine : Les gens sont plus indulgents lorsque les dirigeants échouent à prendre une décision plutôt que s’ils prennent une mauvaise décision. Tous les dirigeants préfèrent éviter de prendre une décision plutôt que de faire un pas décisif. Et le talent de Netanyahou dans ce domaine est bien supérieur à celui de ses prédécesseurs. Or, dans le cas précis, ne pas prendre de décision par rapport à l’usine iranienne de missiles pourrait avoir des conséquences incroyablement dévastatrices.
Traduction à partir de l’anglais effectuée par Alimuddin Usmani