Pour réfléchir sur l’affaire Charlie, il faut une perspective historique. La comparaison s’impose avec l’affaire Merah. Les similitudes sont trop troublantes pour être dues au hasard ; le profil des suspects, les deux épisodes mal connectés de la tragédie, le siège qui maintient la population en haleine toute une nuit, l’exécution invraisemblable des suspects... Mais la similitude la plus frappante est la récupération par Israël : dans l’affaire Merah, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé est convoqué à Jérusalem deux jours après la tuerie de Toulouse, tandis qu’après la mort des otages juifs dans l’épicerie Hyper Casher, c’est le chef du même gouvernement étranger qui prend la tête de la manifestation nationale française. Autre similitude : les quatre victimes juives « reposeront dans le même cimetière où avaient été enterrées les victimes juives de Mohammed Merah [1] ». Voici, pour rappel, un article écrit en 2012, dans les semaines suivant l’affaire Merah, faisant le point sur ces anomalies et avançant une hypothèse plausible.
« Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le traumatisme de Montauban et de Toulouse a été profond dans notre pays, un peu – je ne veux pas comparer les horreurs – un peu comme le traumatisme qui a suivi aux États-Unis et à New York l’affaire de septembre 2001… le 11 Septembre. »
le 23 mars 2012 sur Europe 1 [2].
« Écoutez la philosophie politique de Machiavel et vous entendrez la musique juive. »
Jewish World Review, 7 juin 1999 [3].
Reprenons les faits un à un et tentons de comprendre ce qui s’est vraiment passé. Le premier acte commence par le meurtre du soldat Imad Ibn Ziaten à Toulouse le 11 mars, puis la fusillade qui a tué deux autres militaires du 17e régiment du génie parachutiste (RGP), Abel Chennouf et Mohamed Legouad, et grièvement blessé un troisième, jeudi 15 mars, devant leur caserne de Montauban (Tarn-et-Garonne). Plusieurs témoins ont décrit la scène. Ainsi, La Dépêche du Midi publie le témoignage de Monique, une infirmière en psychiatrie qui accompagnait un patient au distributeur bancaire et au tabac :
« Les trois jeunes militaires arrivaient devant le distributeur. (...) Quand j’ai entendu les premières déflagrations, j’ai cru qu’ils s’amusaient. Très vite, j’ai vu cet homme avec un casque noir qui leur tirait dessus. Il a tiré à plusieurs reprises sur un premier militaire, puis sur un second. Le troisième, qui retirait de l’argent, a tenté de se sauver. Mais il est tombé lui aussi, quasiment devant mes yeux. Le tireur ne visait que les militaires. Et leurs têtes. J’étais à côté, il aurait pu aussi me tuer. Il est reparti vers son scooter et s’est enfui vers le centre-ville. C’est quelqu’un de jeune, je pense, de trapu. Il a tiré une quinzaine de coups de feu au moins [4]. »
Martine, une autre femme, qui fut entendue par la police mais préfère rester anonyme au micro de RTL puis de TF1, dit avoir été bousculée par le tueur, qu’elle décrit comme « assez corpulent » :
« Il s’est retourné et, dans le mouvement, la visière de son casque s’est relevée de quelques centimètres. J’ai alors aperçu un tatouage ou une cicatrice au niveau de sa joue gauche. J’ai aussi entrevu ses yeux à travers la visière. Il avait un regard froid, d’une lucidité effrayante. Un regard que l’on n’oublie pas [5]. »
Elle réaffirmera ces éléments à plusieurs reprises, précisant, au sujet du tatouage :
« Il a un tatouage sur le visage, ça j’en suis sûre [6]. »
Les trois victimes étant originaires du Maghreb (comme celle du 11 mars), le crime a tout l’air d’un crime raciste (et non pas religieux, car l’un d’eux était catholique). Les soupçons s’orientent aussitôt vers un groupe de néonazis qui sévissent dans le 17e régiment, comme l’avaient révélé en 2008 La Dépêche du Midi et Le Canard enchaîné : le sergent Jamel Benserhir avait alors porté plainte pour discrimination raciale contre trois militaires, que les journaux montrèrent en photo faisant le salut hitlérien en tenant le drapeau du IIIe Reich. L’armée chercha à étouffer l’affaire, avant de sanctionner (légèrement) les trois militaires. La première piste après la tuerie de Montauban est donc celle d’une vengeance de ce groupe néonazi. Les trois militaires sanctionnés sont interrogés mais mis hors de cause. Cependant, la piste néonazie reste privilégiée, d’autant que les tatouages (en forme de toile d’araignée notamment) sont un trait distinctif de cette « culture ». La piste est subitement abandonnée lorsque survient la tuerie de l’école juive, immédiatement mise en relation avec celle de la caserne.
C’est le deuxième acte. Lundi 19 mars, vers 8 heures du matin, devant l’école confessionnelle juive Ozar Hatorah dans le quartier résidentiel de la Roseraie, peu avant l’ouverture de l’école, un homme en scooter a ouvert le feu, tuant un adulte et trois enfants et blessant cinq autres personnes. Les victimes sont Jonathan Sandler, 30 ans, professeur de religion juive, ses deux fils Arieh (5 ans) et Gabriel (4 ans), ainsi que la petite Myriam Monsonego (7 ans), fille du rabbin Yaacov Monsonego. Le quartier tout entier est aussitôt bouclé et de nombreux policiers y sont déployés. Un jeune Lyonnais interne à l’établissement Ozar Hatorah, a témoigné :
« J’ai vu le tueur, il avait les yeux verts. Cela peut être n’importe qui. Était-ce un néo-nazi ou quelqu’un d’autre ? [7] »
À part ce témoignage, le public est entièrement dépendant du récit émanant des sources policières, comme celui du procureur affirmant devant les caméras, depuis le lieu du crime, que le tueur « a tiré sur tout ce qu’il y avait en face de lui, enfants et adultes, et des enfants ont été poursuivis à l’intérieur de l’école [8]. » Un témoignage a néanmoins été recueilli par BFMTV : celui de Nicole Yardeni, présidente régionale du CRIF. Il est passé inaperçu des téléspectateurs qui ont entendu son témoignage qu’en réalité, elle n’a pas été témoin de la scène, mais prétend simplement avoir visionné les images filmées par les caméras de surveillance, images jamais rendues publiques, même partiellement. Mais a-t-elle vraiment visionné ces images ? À la question bête : « De quel couleur était la moto ? », elle trébuche : « Blanche, on m’a dit [9]. »
Mais le plus troublant est ceci : sous prétexte que la coutume juive exige d’enterrer les morts sous 24 heures, il semblerait que les dépouilles ont été rapatriées à Jérusalem sans autopsie, en violation des procédures les plus élémentaires d’enquête criminelle. La présidente du CRIF de Midi-Pyrénées, Nicole Yardeni, confirme que les autorités « ont été très à l’écoute » de ses demandes pour que soient évités les actes d’autopsie non nécessaires [10]. De quoi augmenter les soupçons. Les quatre victimes sont de nationalité israélienne et appartiennent à deux familles du réseau Ozar Hatorah, organisme ultra-sioniste fondé en 1945 et aujourd’hui proche du Likoud.
S’agit-il d’une opération orchestrée par les services secrets israéliens ? Sont-ils capables d’exploiter un fait divers encore non résolu, pour le transformer de crime raciste anti-Maghrébin en crime antisémite ? Rappelons que le Mossad est le service secret le plus actif de la planète. Il peut compter, de par le monde, sur des dizaines de milliers d’agents entraînés, d’informateurs « noirs » (c’est-à-dire arabes) infiltrés, et surtout de sayanim, assistants ponctuels dans la Diaspora, prêts à donner un coup de main en commettant des actes illégaux dans leurs pays de résidence (Jacob Cohen, auteur du Printemps des Sayanim, estime qu’ils sont trois mille environ en France).
L’énergie déployée par le Mossad et d’autres organismes loyaux au Likoud israélien est considérable. Un rapport de la US Army School for Advanced Military Studies (cité par le Washington Times la veille du 11 Septembre) décrit le Mossad comme :
« Joker (wildcard). Impitoyable et rusé (ruthless and cunning) ; ayant la capacité de s’en prendre aux forces américaines en faisant croire à un acte commis par les Palestiniens/Arabes [11]. »
Le Mossad est riche d’une longue expertise dans le domaine des attentats sous fausse bannière, dont le premier démasqué fut l’Opération Susannah en 1954, lorsque le Mossad perpétra en Égypte des attentats à la bombe mis sur le compte d’extrémistes musulmans dans le but de nuire aux relations entre la Grande-Bretagne et l’Égypte et retenir les Britanniques au Canal de Suez. Parfois, le même résultat peut s’obtenir en se contentant d’organiser un attentat raté. En 1986, une jeune irlandaise du nom d’Anne-Marie Murphy fut arrêtée à Londres, en embarquant sur un vol d’El Al à destination de Jérusalem, avec un kilo et demi de Semtex programmés pour exploser en plein vol. Anne-Marie avait été bernée par son fiancé, un Palestinien du nom d’al Hindawi qui, aussitôt Anne-Marie arrêtée, demanda l’asile politique à l’ambassade de Syrie. Il lui fut refusé, mais la Syrie fut accusée de la tentative d’attentat et la Grande-Bretagne rompit ses liens diplomatiques avec Damas. En réalité, c’était l’objectif même de cette opération, entièrement planifiée par le Mossad : il apparut rapidement qu’Hindawi avait été lui-même manipulé par un agent du Mossad au nom de code Abou. La vérité ne fut jamais rendue publique, bien que connue en haut lieu, comme le confia un jour Jacques Chirac au rédacteur du Washington Times [12].
Enfin le Mossad sait aussi, à l’occasion, récupérer à l’avantage d’Israël des faits divers qu’il n’a pas provoqués : par exemple, quand le vol TWA 800 s’écrasa au large de Long Island le 17 juillet 1996, entraînant la mort de 230 personnes, le Mossad lança une vigoureuse campagne de désinformation pour suggérer qu’il s’agissait d’un attentat ourdi par l’Iran ou l’Irak. Cent articles se firent l’écho de cette fiction [13].
La tuerie de Toulouse pourrait donc n’être que le nième faux acte antisémite auquel se livrent ceux qui, pour la cause d’Israël, se donnent pour mission d’entretenir la victimisation des Juifs dans un pays où les véritables actes antisémites sont trop rares à leur goût. Souvenons-nous de la fausse agression antisémite du RER D le 9 juillet 2004 [14] ; où de l’incendie d’un centre social juif à Paris le 21 août 2004, allumé en réalité par un employé juif du centre, Raphaël Ben Moha [15]. Le scénario est toujours le même : la meute médiatique hurle à l’antisémitisme et les politiciens se bousculent pour crier leur indignation ; puis, lorsque l’enquête révèle le coup monté, un rapide démenti, présentant le coupable comme un dérangé, passera inaperçu. Celui qui, comme Raymond Barre après le faux incendie antisémite cité plus haut, se risquera à s’indigner de la manipulation (« Le lobby juif est capable de monter des opérations qui sont indignes ») le paiera cher. Pensons encore au rabbin Gabriel Farhi qui, en janvier 2003, s’est mutilé pour faire croire à une agression antisémite, ou à Alex Moïse, membre du Likoud et secrétaire général de la Fédération sioniste en France, qui en janvier 2004 s’envoie lui-même des messages antisémites sur son portable [16].
Cependant, le contexte national des élections présidentielles fait également peser des soupçons sur les services secrets français, du moins aux yeux de ceux qui se souviennent des doutes entourant l’affaire de la prise d’otages de Neuilly en 1993, où Sarkozy avait risqué sa vie pour sauver les enfants, devant les caméras [17]. À l’abri des caméras, par contre, le forcené, qui se faisait appeler Human Bomb, avait été finalement endormi puis, alors que tous les enfants étaient libérés, il fut abattu de trois balles à bout portant, sous le prétexte qu’il avait bougé le bras dans son sommeil. Super-Sarko avait décollé dans les sondages. En mars 2012, le candidat sortant est en difficulté : « La seule chance pour Sarkozy de remporter cette élection réside dans un événement exogène à la campagne, un événement international, exceptionnel ou traumatisant », déclarait le directeur de L’Express peu avant les tueries de Toulouse [18].
À la fin de la pièce, Sarkozy sera effectivement remonté dans les sondages. Comme on sait que les services secrets sont dirigés par des très proches de Sarkozy, Bernard Squarcini (lire L’Espion du Président [19]) pour le Renseignement Intérieur (DCRI) et Erard Corbin de Mangoux pour la Sécurité Extérieure (DGSE) (une nomination qui dérogeait avec la règle coutumière et suscita des inquiétudes), on les imagine bien donnant un coup de pouce à leur patron.
En 2008, Sarkozy a fait une purge au sein des services secrets français, sous le couvert de regrouper les Renseignements généraux (RG) et le Département de la surveillance du territoire (DST) pour former la Direction générale de la sécurité intérieur (DCRI). Squarcini a intensifié la surveillance des musulmans en France, ainsi que la coopération avec les services secrets israéliens, selon le journaliste Wayne Madsen [20].
Le soupçon d’un joint-venture Mossad-DCRI s’est trouvé renforcé après l’identification du suspect Mohamed Merah et la diffusion de son profil « salafiste », puis le siège de son appartement et son élimination dans la nuit du mardi au mercredi 21 mars. Après en avoir rêvé toute la nuit, les Français apprirent, en se levant le mercredi matin, que Merah avait été abattu par trente balles dans le corps, dont deux dans le dos et une dans la tête, après un assaut au cours duquel 300 cartouches avaient été tirées [21]. Et puis, des fuites permirent d’apercevoir quelques ficelles trop grosses qui traînaient autour du cadavre. On apprit d’une part que Merah était surveillé depuis longtemps par la DCRI. Bernard Squarcini dira au journal Le Monde que, pendant le siège de son appartement, « il a souhaité parler avec le policier de la direction régionale du renseignement intérieur (DRRI) de Toulouse qui l’avait rencontré en 2011 » et lui a déclaré, sur un ton qui démontre une certaine familiarité :
« De toute façon, je devais t’appeler pour te dire que j’avais des tuyaux à te donner, mais en fait j’allais te fumer. »
Yves Bonnet, ancien patron de la DST, en conclut que Merah était un indic de la DCRI [22]. On apprit d’autre part le mardi 27 mars 2012, par le journal italien Il Folio, que Mohamed Merah voyageait avec la couverture des services secrets français sous la responsabilité directe d’Erard Corbin de Mangoux de la DGSE (qui dément). En contrepartie, le jeune homme devait rapporter des informations aux responsables du contre-espionnage français. Mais voilà qu’en plus, selon des sources de sécurité israélienne (et l’information est confirmée par Squarcini), Merah se serait rendu en Israël, en septembre 2010, soit avant ses voyages dans les pays arabes, par un point de contrôle à la frontière jordanienne, avec un visa touristique de trois mois, ce qui, d’une part, relève de l’impossible pour un jeune algérien musulman et ce qui, d’autre part, aurait dû lui interdire ensuite l’accès en Syrie et au Liban, sauf à posséder plusieurs passeports [23]. La piste du Mossad croise à nouveau celle des services secrets français.
L’hypothèse qui se fait progressivement jour, grâce au travail collectif de nombreux internautes, est donc celle d’un joint-venture entre les services secrets français et le Mossad. Un complot de cette nature est plus efficace à deux : si l’un des deux pays se trouve mis en cause, l’autre viendra à son secours (du moins, dans un des deux cas envisageables). Pour sauvegarder le « déni plausible », règle d’or des opérations secrètes de ce type, les responsabilités des deux services sont séparées et interviennent en deux phases distinctes.
Voici donc le déroulement des faits, selon la reconstitution que je tiens pour la plus plausible. Dans le contexte de ses préparatifs de déclenchement d’une guerre contre l’Iran, le gouvernement israélien cherche à s’assurer du soutien des membres de l’OTAN. Pour les États-Unis, Israël peut compter sur le puissant lobby pro-Israélien, en particulier l’AIPAC. Cela a suffi jusqu’ici, depuis le coup de pouce du 11 Septembre. John Mearsheimer et Stephen Walt ont écrit dans leur livre retentissant, Le Lobby pro-Israël et la politique étrangère américaine :
« Nous pensons que les activités du lobby sont la principale raison pour laquelle les États-Unis poursuivent au Moyen-Orient une politique dénuée de cohérence, stratégique ou morale. »
Mais Israël cherche aussi un moyen de s’assurer du soutien du gouvernement français, et peut-être, dans le contexte des élections présidentielles, monnayer son aide en faveur de Nicolas Sarkozy, le président le plus atlantiste et pro-Israël que la France ait jamais connu – celui qui, trahissant cinquante ans d’indépendance, a réintégré la France dans l’OTAN.
Avec la tuerie de Montauban, le Mossad saisit l’occasion d’une « opération psychologique », une manipulation de l’opinion publique française et mondiale visant à victimiser Israël et faire oublier ses massacres à Gaza ; très probablement, c’est le domaine du Lohamah Psichologit, département de guerre psychologique du Mossad, qui s’en charge. L’idée est de créer un second faux crime, clairement antisémite, en le liant au vrai crime de Montauban. Le lien permettra de conditionner l’opinion publique à suspendre ses doutes : le premier crime étant à l’évidence réel, on ne s’interrogera pas sur la réalité du second, pourvu qu’il soit attribué au même tueur. Le pari est risqué, car le crime de Montauban n’a rien d’antisémite. Mais cela présente l’avantage d’envoyer au public un message implicite : ceux qui protestent contre la guerre en Afghanistan, donc en Iran, sont des tueurs d’enfants juifs. Le Mossad active donc ses agents et un petit réseau de sayanim et réalise la fausse tuerie de l’école juive. Entre-temps, le Mossad a passé un marché avec une faction des services secrets français, probablement au plus haut niveau. La collaboration est fréquente : souvenons-nous de l’assassinat de Ben Barka à Paris en 1965. Mais dans ce monde, chacun joue au plus malin : il n’est pas impossible que le Mossad ait fait chanter la France avec des preuves de l’implication de la DCRI dans la première tuerie de Montauban, qui tombait à pic pour culpabiliser et aspirer les électeurs du Front national [24].
Ce n’est qu’une hypothèse. Il reste évidemment de nombreuses zones d’ombre que seule une investigation approfondie pourrait éclaircir. Qu’en est-il, par exemple, du jeune interne au collège Ozar Hatorah, Aaron « Bryan » Bijaoui, âgé de 15 ans et demi, qui a été transporté à l’hôpital après avoir reçu une balle le 19 mars ? Qu’en est-il des divers mails reçus par la même école juive, dont un disant que les assassinats n’étaient pas finis, et signé, de manière peu islamiste, « le justicier français et des vrais français » ?
Une chose est sûre : qu’il y ait eu ou nom tuerie à l’école de Toulouse, Mohamed Merah n’y est pour rien. Il a été choisi par les services secrets comme pseudo-coupable, sans doute parce qu’il était connu à la fois du Mossad et de la DCRI. Merah est le patsy (« lampiste », « pigeon »), si l’on définit ce terme comme une personne influençable qu’on envoie au bon moment au bon endroit pour être capturée, reconnue coupable et exécutée par bavure, et ainsi couvrir ceux qui le manipulent. Le patsy archétypal est bien sûr Lee Harvey Oswald, arrêté quelques heures après l’assassinat de John Kennedy, puis abattu deux jours plus tard. Oswald était un jeune agent de la CIA, qui lui tailla une « légende » de militant communiste pro-Castro en lui faisant miroiter une carrière d’espion, pour, au bout du compte, l’épingler comme bouc émissaire.
Autre exemple de patsy : Ismaïl Sowan, un jeune Palestinien recruté par le Mossad pour infiltrer l’OLP. Le 4 août 1987, il fut arrêté et l’on trouva chez lui à Londres deux valises bourrées d’armes et d’explosifs ; le Mossad les y avait déposées avant de dénoncer Sowan comme terroriste à Scotland Yard, dans une manœuvre pour regagner la confiance des Britanniques [25]. Le patsy sert à détourner l’attention des vrais coupables vers l’ennemi (réel ou imaginaire) qu’on souhaite stigmatiser. Dans le cas qui nous intéresse, l’ennemi est l’islamisme radical, assimilé au terrorisme, et lexicalement relooké pour l’occasion en « salafisme » (clin d’œil menaçant au nouvel État égyptien). Le choix du patsy s’est porté sur un jeune délinquant recruté lors d’une incarcération. Peu religieux, aimant l’argent et l’aventure, Merah s’était laissé convaincre de participer à une opération d’infiltration des réseaux islamistes. On l’avait envoyé en Afghanistan, au Pakistan, en Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, et Irak. La plupart de ces voyages, en fait, sont probablement fictifs. Ils constituent la « légende » de Merah, c’est-à-dire sa biographie fictive de salafiste. Pour les besoins de la DCRI, il suffit que les tampons de douane figurent sur un passeport à son nom.
Le choix de Merah s’avérera assez malheureux, mais sans doute les services secrets n’avaient-ils rien de mieux sous la main. Ce n’est pas seulement que les ficelles de la manipulation, c’est-à-dire les liens de Merah avec la DGST, la DCRI et le Mossad, ait été repérables. C’est aussi que son physique ne correspond pas au signalement donné par « Martine », ni à celui donné par l’enfant de l’école juive qui aurait vu les yeux verts du tueur. Ces témoignages innocentent Merah. Par ailleurs, la légende salafiste a du mal à coller au Merah que décrivent ses proches. Tandis que la presse, fascinée par le personnage inventé, se précipite pour interviewer toute personne ayant connu Merah, on se rend compte qu’il n’a pas le profil d’un intégriste. Sa famille est réduite au silence (hormis son père), mais aucun de ses collègues, entraîneur, avocat, geôlier, ne peuvent l’imaginer islamiste. Il aimait les voitures, le foot, les jeux vidéo, les films et les boîtes de nuit [26]. Les gens de son quartier le décrivent comme « gentil, calme, respectueux et généreux [27] ». L’avocat qui le suit depuis ses premières délinquances juvéniles dit « je n’ai jamais connu Merah religieux [28] ». Alors qu’on nous dit qu’il aurait été endoctriné en prison, son gardien de prison de 2008 ne se souvient pas l’avoir vu préoccupé par la religion. Enfin, comme le fait remarquer Jean Cohadon dans un article publié sur le site de La Dépêche du Midi le 9 avril, l’emploi du temps reconstitué du tueur supposé défie l’entendement :
« Que penser d’un garçon de 23 ans capable d’abattre trois militaires le jeudi 15 mars, puis d’aller s’offrir une paire de basket à la mode avant de sortir “en boîte” avec ses copains le samedi soir ? Ou d’exécuter d’une balle dans la tête trois enfants le lundi matin et de passer son après-midi à rigoler et à jouer au football avec… les enfants d’une “relation” aux Izards ? [29] »
À côté de tous ces témoignages, l’histoire racontée par « une femme » à un reporter du Télégramme de Brest ne peut être prise au sérieux : Merah aurait séquestré son fils pour lui montrer des vidéos d’al-Qaïda insoutenables, avec égorgements et tout : « Il y avait un IMMENSE Coran dans son salon et des GRANDS sabres accrochés au mur… [30] » Enfin, la surveillance de l’accès internet de Merah montre « qu’il ne navigue pas sur les sites islamistes ». Curieusement, c’est la DCRI qui en 2011 a demandé l’interruption des écoutes téléphoniques et surveillance internet [31].
Qu’à cela ne tienne ! La clé du succès d’un attentat sous fausse bannière est la rapidité avec laquelle on va réussir à imposer la version officielle, c’est-à-dire la culpabilité du patsy. L’important est de couper court à toute théorie alternative, qui pourra alors être démentie comme une rumeur sans fondement. L’information officielle doit anéantir les efforts de l’opinion publique pour donner elle-même sens à l’événement, formuler des doutes, débattre. Si, pendant et après le choc des événements, le gouvernement parle avec assurance, autorité et unanimité, il convaincra les naïfs et intimidera les sceptiques. Des études montrent que les informations reçues dans une période de choc émotionnel, donc de vulnérabilité rationnelle, sont intégrées à la mémoire du traumatisme, de sorte que la distinction entre les faits et leurs explications est abolie. Le jour même de l’assassinat de Kennedy, la presse a fait circuler, non seulement la nouvelle de l’arrestation du coupable certain, mais aussi sa légende détaillée de communiste pro-Castro. Le crime de Dallas pouvait alors être présenté comme un acte de guerre de la part de Cuba, et alimenter la Guerre Froide. Pareillement, en moins de 24 heures après la seconde tuerie de Toulouse, les services secrets avaient la biographie complète de Mohamed Merah, ses photos, ses vidéos, son parcours « salafiste », ses aspirations religieuses. En direct du « siège » de l’appartement de Merah dans la soirée du mardi 20 mars, le ministre de l’Intérieur Claude Guéant se chargera de nous résumer cette belle « légende », telle que Merah l’aurait lui-même confirmée au « négociateur », avec qui il avait noué « un rapport de confiance » :
« Il a beaucoup parlé. Il est revenu sur son itinéraire. Il a expliqué la façon dont il avait reçu des instructions d’al-Qaïda pendant son séjour au Pakistan. Il a été formé là-bas. Il lui avait même été proposé de provoquer un attentat suicide, qu’il a refusé. Mais il a accepté une mission générale pour commettre un attentat en France [32]. »
La seconde règle d’un bon attentat sous fausse bannière, c’est d’éliminer promptement le patsy. Dès qu’il comprend le rôle qu’on lui fait jouer, le patsy comprend aussi qu’il n’a rien à perdre à clamer tout ce qu’il sait. Un bon patsy est donc un patsy mort. Lee Harvey Oswald, arrêté dans l’heure suivant l’assassinat de Kennedy, devait être abattu sur-le-champ, dans la confusion, mais il y eut un raté et il ne fut abattu que deux jours plus tard, au commissariat par Jack Ruby, un patron de boîte de nuit lié à la CIA et à la mafia. Ce répit lui donna l’occasion de clamer son innocence devant les caméras : « I’m just a patsy. » Cette chance ne fut pas donnée à Merah. Le 20 mars au soir, après que son contact se soit assuré qu’il était bien à son domicile, sa résidence est assiégée par le RAID (Recherche Assistance Intervention Dissuasion). Selon un habitant de l’immeuble resté anonyme, Merah est assez rapidement abattu, mais le RAID gesticule pendant une trentaine d’heures pour faire durer le suspens, devant les caméras et sous la vigilance de Claude Guéant qui a fait le déplacement. Il faut cependant penser à faire taire aussi sa famille, qui ne peut être dupe et en sait certainement trop. On appréhende donc au plus vite sa mère, ainsi que son frère Abdelkader et sa belle-sœur, et l’on trouve les mots pour les convaincre. Du moins la mère et la belle-sœur, qui sont remises en liberté, tandis que le frère est mis en examen pour « complicité », et placé en isolement à la maison d’arrêt de Fresnes (Val-de-Marne). « Il ne peut croiser aucun autre détenu dans la prison et est constamment accompagné par deux surveillants pour aller dans la cour de promenade », confie une source pénitentiaire [33].
Le siège de l’appartement de Merah était du grand spectacle, une grande réussite d’hypnose collective, que n’auraient pas renié les concepteurs du projet MK-Ultra à la CIA. Les journaux télévisés racontaient avec lyrisme, devant un audimat gonflé à bloc, le terrible assaut, véritable « déchaînement de violence [34] », lorsque Merah « jaillit de sa baignoire comme un diable ». Le ministre Guéant se chargea lui-même du storytelling, avec l’émotion qu’on lui connaît :
« Le tueur est sorti de la salle de bain, en tirant avec une extrême violence. (…) Les fonctionnaires du Raid ont tenté, bien entendu, de se protéger, et ont riposté. Et puis, à la fin, Mohamed Merah a sauté par la fenêtre avec une arme à la main, en continuant à tirer. Il a été retrouvé mort au sol. »
Plus lyrique encore est le témoignage du commandant du RAID, Amaury de Hauteclocque, qui livre en exclusivité les dernières paroles du tueur :
« Je suis un moudjahidine, je veux mourir les armes à la main, vous allez m’abattre et je suis très fier, très honoré de lutter contre le RAID, je vais essayer d’(en) tuer le plus possible [35]. »
Ces récits épiques laissent certains perplexes. On finit par s’interroger tout haut, comme le fondateur du GIGN, Christian Prouteau : Pourquoi n’a-t-on pas utilisé de gaz pour neutraliser Merah vivant [36] ? Ces doutes sont alimentés par quelques journalistes mal contrôlés. Ainsi, un reporter de la radio britannique Sky News, dépêché sur place, s’est permis de faire part de son incrédulité devant le spectacle, et de son malaise en constatant que, durant les phases décisives, c’était le ministre de l’Intérieur qui semblait donner les ordres. Alors qu’on annonçait que Merah avait blessé trois hommes du RAID, le reporter n’en voyait que deux, l’un évacué en boitant, l’autre « dans un état de choc », sans aucune trace de sang (la vidéo a été depuis supprimée) [37].
Il faut donc calmer les doutes des Français, ceux qui ont du mal à croire sur parole monsieur Guéant et sont gênés par la discipline générale des médias français. C’était prévu : on a fabriqué à cet effet des « preuves » que Merah a revendiqué son crime. Ebba Kalondo, rédactrice en chef de France 24 a reçu vers 1 heure, dans la nuit de mardi à mercredi, un appel téléphonique d’un jeune homme affirmant être Mohamed Merah. S’en sont suivies dix minutes de conversation au cours desquelles Merah a revendiqué son crime et son affiliation à al-Qaïda. Et ce n’est pas tout : Merah aurait filmé ses tueries avec une mini-caméra sanglée sur lui. Assiégé dans son appartement, il aurait confirmé l’existence de cette caméra et « indiqué aux forces de l’ordre comment la trouver. Les enquêteurs ont alors mis la main sur "le sac qu’il avait confié à quelqu’un contenant une caméra Go Pro dont il s’était effectivement sanglé et qui lui avait permis de filmer l’intégralité des trois tueries dont il s’était rendu coupable", a confirmé jeudi le procureur de Paris, François Molins [38]. » Mohamed aurait envoyé le fichier de sa vidéo sur une clé USB à la rédaction parisienne de la chaîne Al Jazeera. La police judiciaire dit avoir visionné la vidéo, qu’elle qualifie comme « un travail très très propre. Ce n’est pas un pauvre film tout flou. Le montage est pro avec des chants entre les événements [39]. »
Malheureusement, là encore, quelqu’un a mal fait son boulot, laissant des preuves que les revendications sont bidons. L’appel téléphonique n’a pas pu être donné par Merah. Il était émis d’une cabine téléphonique à plus d’un kilomètre du domicile où Merah se trouvait sous étroite surveillance, deux heures avant le premier assaut du RAID. Pour donner cet appel, il aurait fallu que Merah quitte son appartement au nez et à la barbe des fonctionnaires qui le surveillaient, marche un kilomètre, puis revienne sagement chez lui, toujours sans se faire remarquer. L’hypothèse, nous dit-on, est « "sérieusement" envisagée au sein de la police [40] ».
Quant à la clé USB, les premières vérifications effectuées par les enquêteurs de la PJ montrent que ni Mohamed Merah ni son frère n’ont pu l’envoyer à Al Jazeera, car le tampon de la poste porte la date du mercredi : l’un était cerné par les hommes du RAID, l’autre en garde à vue. Pris dans leurs contradictions, les services de police s’avisent subitement qu’il y avait peut-être « un troisième homme [41] ». De toute manière, bien entendu, le public ne verra jamais cette vidéo, même si les autorités font mine pendant une semaine de s’inquiéter qu’elles puissent circuler sur Internet.
Et de toute manière, les doutes resteront des doutes. Le président Sarkozy, les ministres de l’Intérieur et de la Défense, Claude Guéant et Gérard Longuet, ont refusé vendredi l’audition par le Sénat des directeurs des services de renseignement après les tueries de Montauban et de Toulouse, qui ont fait sept morts.
Que ressortira-t-il de tout ça ? Sarkozy sera peut-être réélu grâce au double drame de Toulouse. Et son second mandat sera sécuritaire. Il a déjà annoncé, en profitant de l’émotion, vouloir créer un nouveau délit pénal et placer les internautes sous surveillance :
« Toute personne qui consultera de manière habituelle des sites internet qui font l’apologie du terrorisme, ou véhiculant des appels à la haine ou à la violence, sera puni pénalement. »
À la question : « Comment un tel individu meurtrier n’a-t-il pas été neutralisé par les services de renseignement ? », Alain Juppé a répondu : « On n’a pas le droit, dans un pays comme le nôtre, de surveiller en permanence et sans décision de justice quelqu’un qui n’a pas commis de délit [42]. » Le message implicite est clair : « Il faut maintenant que ce droit existe. » Tout comme le USA Patriot Act liberticide fut promulgué au lendemain du 11 septembre 2001, les nouveaux textes antiterroristes seront présentés par Sarkozy au conseil des ministres dès le 11 avril (au cas où il ne soit pas réélu).
Si Sarkozy est réélu, Netanyahou, pour qui travaille directement le Mossad, aura lui aussi atteint son objectif, qui est le soutien affiché de la France dans ses projets belliqueux. Rendez-vous compte : la nouvelle du meurtre de trois enfants a déclenché en urgence une rencontre diplomatique au plus niveau. Du jamais vu ! Le jour même, le 21 mars, s’étant déplacé pour les funérailles des victimes de l’école juive, le ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, est allé en personne rencontrer Shimon Peres au palais présidentiel à Jérusalem pour l’assurer de son soutien dans la guerre contre le terrorisme et l’antisémitisme (les deux étant implicitement habilement confondus dans cette mise en scène). Puis, le lendemain, il rencontre le premier ministre Benyamin Netanyahou pour l’assurer de son soutien [43]. Dans le contexte de la tentative actuelle d’Israël de déclencher une guerre contre l’Iran, voilà une rencontre plus que symbolique. Le plus grave est que la communauté juive française, majoritairement hostile au régime de Netanyahou, a été prise en otage dans cette guerre secrète menée par le sionisme, grâce à l’hommage public de Sarkozy, Guéant et Juppé, portant tous la kippa, le dernier évoquant « une tragédie nationale, une catastrophe qui a frappé la France. (…) Quand un juif est visé en France, c’est toute la France qui est touchée. L’agression de juifs en France est l’affaire des 65 millions de Français. Votre deuil, vos douleurs, sont les nôtres (…). L’antisémitisme est pour nous insupportable. La France ne cédera pas au terrorisme. »
Notons au passage la subtile équation qui fait de « terrorisme » et « antisémitisme » deux termes interchangeables.
Avril 2012