Écrire « Le journalisme va mal » est devenu le nouveau marronnier de la presse, et ses colonnes, un mur des lamentations. Il y a paradoxalement moins de journalistes pour un volume publié supérieur, si l’on tient compte de la presse en ligne. Ce qui implique une chute de la valeur de l’information. Ce noble corps de métier n’imaginait pas qu’un jour, il serait assimilé à une industrie comme une autre, aux prises avec la concurrence sauvage (l’Internet jouant le rôle de la Chine), les compressions d’effectifs (les charrettes de Libé et du Parisien) et l’exigence de rentabilité (la publicité fuyant ce secteur de plus en plus impopulaire). Et à la pression de ses nouveaux maîtres (Pigasse, Niel, Drahi) : repreneurs à bas prix d’une presse qui sauve ainsi son existence, mais pas son indépendance (Le Monde, Libération), ces milliardaires qui montrent peu d’intérêt pour l’information, comprennent très bien les avantages de la défiscalisation et de l’influence (Bergé et la loi sur le mariage homosexuel). Contre cette dégradation déontologique, l’équipe du Monde diplomatique préconise un système public d’information, avec mutualisation des plateformes techniques d’édition et de diffusion, une idée généreuse mais qui existe théoriquement dans l’audiovisuel, on a vu le résultat. Pour l’instant, personne ne voit le bout du tunnel, et personne n’a trouvé le modèle économique synonyme de salut.
En réalité, tout le système d’information est à revoir, des pieds à la tête : les écoles produisent des étudiants conformes, programmés pour servir non pas l’Information mais une propagande qui a failli, et les médias produisent un journalisme de connivence, soumis aux lobbies dominants, sans intérêt pour le peuple français, qui n’est, lui, protégé par aucun lobby. L’exigence de vérité a été détournée ou bloquée par des intérêts intermédiaires. À l’arrivée, il n’en reste pas grand-chose, la fuite des lecteurs en témoigne. Pourtant, la génération spontanée néo-informative, ces bourgeons en ligne, aujourd’hui si décriés, sont les producteurs d’info de demain. Les purs journalistes ne sortent plus des lamentables (mal)formations privées ou publiques, ils viennent d’en bas et du Net, porteurs d’une motivation farouche, de méthodes directes et surtout, moins respectueuses des pouvoirs paralysants, ce qui leur restitue le respect, voire l’admiration du public. De la presse, les Français attendaient un contre-pouvoir ; ils ont eu un allié du pouvoir, et l’un des pires : complice dans la dénonciation et le lynchage, ainsi que rouage complaisant de combinaisons politiques.
Nous avons analysé ces dérives du journalisme actuel à travers deux cas : le journalisme auxiliaire de police (Elfassi, factotum du lobby sioniste et proche de l’Intérieur, protégé comme un « informateur »), et le journalisme auxiliaire de justice… politique (Davet & Lhomme du Monde, qui travaillent objectivement pour Hollande sous couvert de faire éclater la vérité sur Sarkozy). Mais avant tout, histoire de rester positifs, voici, à l’intention de ceux qui veulent produire de l’information pour leur semblables, et peut-être en vivre un jour, une méthode éprouvée de construction d’article, qui ne sera jamais enseignée à Sciences Po, fournisseur officiel de la Propagandastaffel.
ICAS, pour réussir ses articles
Cet article s’adresse aux journalistes en herbe (non-fumeurs, si possible). ICAS, ça ressemble à un truc américain mais c’est bien français. Ça sert non seulement à construire rapidement ses papiers, mais surtout à les faire repérer, dans l’océan d’informations et de sollicitations éditoriales qui nous entoure. Faire, c’est bien ; exister, c’est mieux. Le papier est son propre marketing ou, si l’on veut, son premier vendeur. On dira qu’il s’agit d’un savoir-faire-exister.
Ne perdons pas de temps, la vie est courte et la presse est pressée. Pour un papier bien structuré, réunir si possible ces quatre conditions :
1. I comme information
2. C comme culture
3. A comme angle
4. S comme style.
Un papier sans information, sans avancée de connaissance, n’intéressera pas. On peut bien sûr enfumer quelques lecteurs avec un CAS, mais les lecteurs exigeants finiront immanquablement par changer de crèmerie. Un bon papier nécessite donc, à la base, une information, une nouveauté, quelque chose que les autres n’ont pas, ou pas encore. La durée de vie d’une exclusivité ou d’une découverte entrant en ligne de compte dans le choix du format et du diffuseur.
Ensuite, un angle. C’est-à-dire une façon de présenter cette information, qui sorte de l’ordinaire, surtout si d’autres disposent, comme c’est aujourd’hui le cas, de la même information, ou d’une partie de cette information. L’angle permet de valoriser l’information, et d’augmenter l’intérêt du lecteur, surtout si l’info n’est pas totalement inédite. En général, l’angle pallie la faiblesse ou la fadeur de l’info.
La culture, pourquoi ? Tout simplement pour épaissir l’info, comme une sauce relève un plat en cuisine. La culture permet d’ajouter quelque chose qui n’est pas pure info d’actu, puisque par définition la culture préexiste… quelque part. Et l’intérêt, c’est qu’elle est peu partagée, surtout la culture littéraire ou historique, dans le milieu journalistique. C’est comme ça qu’on enseigne quelque chose de plus au lecteur, l’information étant parfois un alibi pour envoyer une dose de culture, par définition inédite chez ceux qui n’ont pas le temps ou l’envie de se cultiver plus. C’est un pari sur la paresse générale, ou la déculturation, comme dirait Renaud Camus. La culture permet accessoirement de plâtrer une information insuffisante ou trop légère.
Enfin, le style. Notez qu’un papier qui présente les trois premières conditions se suffit à lui-même. Mais si on y ajoute du style, alors là, on est dans l’incomparable, étymologiquement. Le style permet de mettre l’ensemble en musique, une musique à nulle autre pareille, qui fera exister le tout dans le concert ou plutôt le fatras des informations. Une petite musique reconnaissable entre toutes au milieu du bruit environnant. C’est pourquoi les journaux font appel à des « éditorialistes », qui sont en fait des stylistes. Malheureusement, ils n’ont souvent rien à dire… que la propagande habituelle du titre qui les paye. C’est alors une louche de moraline, qui devient vite pesante, quand ça ronronne. Le style ne doit jamais exister seul. Sauf en littérature pure, mais nous sommes dans le journalisme.
Réunir ces quatre pattes est évidemment idéal, mais un article peut tenir sur trois, voire deux jambes.
Une info brute sans culture, c’est-à-dire sans gras, sans angle et sans style, peut suffire aux gens pressés. C’est alors le média (ici le smartphone) qui détermine le format de l’information. On peut aussi évacuer la culture, qui épaissit, voire boursoufle l’information initiale, pour obtenir quelque chose de très journalistique. Il y a mathématiquement 15 combinaisons, par exemple IA, soit information et angle, mais sans culture ni style. Ou CAS, culture, angle et style, mais sans info. Notez qu’une bonne louche de culture peut valoir information, surtout si elle émane d’un spécialiste. Les papiers historiques sont basés sur un apport culturel pointu et des articulations nouvelles : Mao a lancé le Grand bond en avant non parce qu’il rêvait d’un communisme rural mais parce qu’il était dépouillé de son pouvoir par Liu Shaoqui et Zhou Enlaï. Angle nouveau, et en conséquence, nouvel arrangement des informations que tout le monde (ou presque) connaît. Une combinaison d’éléments connus qui vaut information nouvelle. Il suffit alors, pour la presse, de connecter cette nouvelle lecture à l’actualité. On trouve toujours un lien, ou alors on publie ces « lectures novatrices » en été.
De manière moins mathématique mais plus imagée, on peut oser le parallèle entre article et corps : l’information c’est l’os, ou le squelette, la culture la viande, ce qui entoure l’os et lui donne chair, la peau est le style, qui recouvre le tout et lui donne apparence humaine, en tout cas unie, et enfin, l’angle, qu serait la position du corps, à nulle autre pareille. Là, on compose un corps à partir de quatre facteurs variables, générant des combinaisons infinies, les styles, infos, cultures et angles étant théoriquement sans limite. La contrainte majeure, finale, le couperet, étant bien sûr la captation de l’intérêt du lecteur.
On ne va pas développer ici les 15 possibilités. Chaque étudiant journaliste pourra facilement trouver autour de lui les applications pratiques de ce logiciel simple mais efficace.
Voici quelques applications. I tout seul, c’est un « article » du quotidien 20 Minutes ou du site Melty, le pire du journalisme. La dépêche recopiée par des stagiaires qui pratiquent l’exact inverse du métier. Sans compter les fautes et la bienpensance.
À un niveau légèrement supérieur, les contenus des journaux du groupe Robert Lafont, clonés de concurrents directs, sont tous pompés sur Internet, source numéro un, et qui porte globalement rarement plainte. Il s’agit de titres parasites, qui existent tous à côté d’un « vrai » titre, appartenant à un groupe concurrent. Rien n’étant ajouté par rapport à l’information initiale, picorée à droite à gauche, tout est simplement réécrit par des plumes plus ou moins talentueuses, généralement moins. On peut donc dire qu’il s’agit de C, sans I, ni A, si S. Une espèce de sous-culture de la réécriture.
Chez Voici (du groupe Prisma) grande époque, les années 90, avant les deals avec les stars, les fausses amourettes et la naissance de Closer, avant le recopiage éhonté des hebdos people anglo-saxons, on était dans du ICS, l’angle en journalisme people étant là pour boucher les trous : on appelle ça une « théma », à la manière d’Arte. Par exemple, « Les frères et sœurs des people », ou « Ceux qui ont trafiqué leur CV ». Là, on est dans IA, avec parfois un peu de style, dans lequel on inclut l’humour ou l’ironie. Dans ses années de gloire, Voici rémunérait des plumes littéraires de qualité pour rédiger ses titres et sous-titres (on appelle ça l’éditing).
Le Monde fait du ICS, l’angle étant l’apanage de la presse magazine, qui dispose de moins d’info brute (pas de reporters ni de correspondants). Le style a longtemps été pompeux et lourd, afin de marquer la différence avec la plèbe journalistique, du type Le Parisien, et toute la PQR (presse quotidienne régionale). Cependant, devant le choc de la liberté d’expression insufflée par Internet, on sent une tendance à l’allègement du style Le Monde. On est moins hautain, moins méprisant.
Libération, de son côté, dans ses bonnes années (80’s), était plutôt dans du CAS, l’info n’étant pas vraiment au niveau, mais le traitement magazine (importance de la photo et de la mise en page) faisait la différence, surtout dans le domaine social. Un manque d’info lourde contrebalancé par le brelan angle-style-culture.
Un exemple concret mais imaginaire
Je reçois l’information, de la part d’un informateur, que Nicolas Sarkozy a volé un scooter. Bien sûr, je la vérifie : ce témoin direct ou indirect certifie que Nicolas a été pris dans un contrôle de police, avec un scooter volé à un Arabe. C’est un exemple théorique, n’y voyez rien de mal, ni aucun sous-entendu. Armé de cette info, qui ne va pas rester exclusive longtemps, je suis devant un dilemme : soit je l’étoffe pour la presse, soit je la balance sur le Net, afin de griller les journaux, qui réagissent en 24 heures, et même plus vite, si on approche de leur bouclage, qui a lieu en général vers 20-21 heures le soir. Pour l’édition du lendemain, imprimée vers 3 ou 4 heures du matin et prête à l’envoi dans les kiosques ou chez les particuliers, abonnés en portage. Le choix du diffuseur dépendra de mes contacts, de la confiance que j’ai dans les journalistes en place qui vont relayer, et dans la pige qui sera proposée.
Je peux juste balancer « Nicolas Sarkozy est un voleur », ou « Sarko a volé un scoot’ », sans développer plus que ça, en rédigeant la dépêche, que j’envoie à l’AFP : « Cet après-midi, près du pont de l’Alma, l’ex-Président de la république a été arrêté sur un scooter volé à un individu d’origine maghrébine. » Point. Si je suis plus exigeant, et si j’ai le temps, je peux mettre un peu de chair, et épaissir le papier en allant sur place, interroger des gens, faire causer un flic, décrire la rue, etc. Je peux même axer sur le scooter en question, appeler la marque, les faire parler du modèle incriminé. Ce qui donne immédiatement une idée d’angle : « Le scooter que le Président choisit », ou « Le scooter des stars », et angler sur la publicité incroyable et gratuite, un peu comme la marque « Kärcher » pendant la période des émeutes, quand Sarkozy était ministre de l’Intérieur. Pour parachever le tout, le style ironique sera parfait. On présentera cette personnalité politique irréprochable comme une vulgaire racaille, et dans la « culture » on rappellera tous ses petits manquements à la morale.
Je peux aussi décider de ne rien publier, parce que je vote UMP, ou parce que je trouve que le travail de Sarkozy en direction des musulmans de France mérite au moins un scooter. Dernière solution : imaginer un montage du Président contre Sarkozy qui était en train de revenir, histoire de gêner son retour, un peu comme DSK avant son crash au Sofitel.
Jouer avec ICAS
Pas la peine de faire des années d’études de journalisme avec des profs de gauche intoxiqués et donc intoxicants, ICAS est la structure de tout papier. On pourrait aller plus loin en décortiquant les articulations, le rythme, le suspense ou comment distiller sa révélation, le savoir-raconter ou l’art de la narration (car les articles sont des histoires vraies pour les grands), le dosage peur/humour, mais l’essentiel est là. Une fois qu’on a toutes les données en main, on fait comme on le sent. Au bout de quelques dizaines de papier, ça vient tout seul. Cette structure est donc naturelle, comme le langage. On apprend à balader le lecteur dans un imaginaire réel ou pseudo-réel. Un article n’est jamais la vérité mais une façon de voir les choses. ICAS est l’outil qui permet de faire jouer les éléments entre eux, d’en faire varier les teneurs, en fonction des besoins et des contraintes, du public et des diffuseurs.
Application avec un article sur Elfassi (IC)
Elfassi, tout le monde le connaît comme paparazzi, mais il semble avoir une autre fonction. Une fonction réelle, que nous pressentons quand on voit sa propension à enfoncer les dissidents au sionisme. C’est notre intuition de départ. Avant d’appliquer le logiciel ICAS, il s’agit de récupérer un maximum d’informations sur le bonhomme : infos officielles (son site, les documentaires qui parlent de lui), infos d’informateurs (photographes people, journalistes), tout ça afin de ne pas tomber dans une wiki simplification. Armés de ces données, qui seront notre I, nous allons établir un portrait. Dans un portrait, pas besoin d’angle (préconçu), de style (qui alourdirait), en revanche, on s’appuiera sur la culture du milieu. On ne cherche pas à raconter une histoire, les informations étant trop discontinues pour cela, juste à trouver une cohérence dans une évolution professionnelle. C’est la culture qui bouchera les trous, dans la mesure du possible.
Toujours on retrouve l’info visible, souvent idéale, et l’info cachée, plus explicative. Une fois qu’on a pénétré le personnage, la version officielle permet de déterminer son degré de vérité.
[Fin de la première partie]