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René Guénon : l’aporie démocratique

Parfois nous entendons des personnes critiquer certains aspects de la démocratie et nous nous disons, « si seulement ils avaient lu Guénon attentivement, ils auraient la réponse à leurs questionnements ». Certains se demandent, par exemple, pourquoi les membres du gouvernement sont si incompétents. Voici quelques éléments de réponse, tirés de La Crise du monde moderne de René Guenon.

 

Le peuple ne peut pas se gouverner lui-même, car on ne peut être à la fois gouvernant et gouverné.

Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait... il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés... il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants, fussent-ils illégitimes et sans autre droit au pouvoir que celui qu’ils se sont attribué eux-mêmes ; mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées, y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé ; nous ne savons plus qui a parlé de « fabriquer l’opinion », et cette expression est tout à fait juste, bien qu’il faille dire, d’ailleurs, que ce ne sont pas toujours les dirigeants apparents qui ont en réalité à leur disposition les moyens nécessaires pour obtenir ce résultat.

C’est cela – le fait que les dirigeants apparents ne sont pas toujours les dirigeants réels – qui explique que l’incompétence des politiciens importe peu : car ce qui importe, ce n’est pas qu’ils soient compétents, mais qu’ils agissent selon le plan qui leur a été imposé – et dont ils ne sont pas toujours conscients :

Cette dernière remarque [sur les dirigeants apparents, qui n’ont pas toujours les « moyens nécessaires » pour « fabriquer l’opinion »] donne sans doute la raison pour laquelle l’incompétence des politiciens les plus « en vue » semble n’avoir qu’une importance très relative... [car ils ne sont que des pions et, en vérité, ce ne sont pas leurs compétences qui importent, mais ceux de leurs maîtres]

Mais alors, comment expliquer qu’une idée aussi absurde, comme celle de la démocratie, se soit installée dans le peuple ? Nous allons résumer la pensée de Guenon : l’idéal démocratique n’a pu acquérir de l’importance que lorsque l’élite intellectuelle (représentée auparavant par l’aristocratie) fut remplacée, dans un premier temps, par la bourgeoisie – en France, à travers la Révolution française. C’est à ce moment que l’ordre hiérarchique (représenté par les trois ordres : clergé, noblesse et tiers état) fut renversé et que l’« avis de la majorité » (qui est nécessairement incompétente, puisque la compétence – en n’importe quelle matière – est toujours le luxe d’une poignée d’individus), c’est à ce moment (durant la Révolution) disions-nous, que l’avis de la majorité a pu devenir importante et, forcément, cette majorité étant nécessairement ignorante, tout ce qui émane d’elle est une réflexion de cette ignorance,

car la majorité, sur n’importe quel sujet qu’elle soit appelée à donner son avis, est toujours constituée par les incompétents, dont le nombre est incomparablement plus grand que celui des hommes qui sont capables de se prononcer en parfaite connaissance de cause.

Le fond même de l’« idée démocratique » porte sur la notion d’« égalité », or l’égalité suppose une négation des différences entre les hommes, et aussi, elle suppose que le plus nul puisse occuper la place du meilleur.

[…] le fond même de l’idée « démocratique » c’est qu’un individu quelconque en vaut un autre, parce qu’ils sont égaux numériquement, et bien qu’ils ne puissent jamais l’être que numériquement.

Là où l’incompétence est nécessairement la plus manifeste dans la société, c’est au niveau du gouvernement, puisque celui-ci est le reflet le plus direct de l’idéal démocratique : le gouvernement français, qui tire ses valeurs de la Révolution, ne peut être que la manifestation la plus radicale de l’incompétence, étant lui-même le produit du renversement de l’ordre traditionnel – qui voulait que les individus occupent une place en rapport avec les qualités de leur essence.

Nous ajouterons que, en réalité, s’il devait y avoir un jour une « égalisation » quelconque, celle-ci ne pourrait se faire que par le bas, puisque, étant donné les limites qui existent naturellement entre les hommes (et qui font que certains ont un potentiel intellectuel élevé alors que d’autres sont très limités), la seule manière de rendre tout le monde égal, ce serait de niveler le niveau intellectuel moyen afin que tout le monde soit médiocre. C’est ce qui explique l’existence politique d’une personne comme Sandrine Rousseau, qui ne représente qu’une parmi tant d’autres de ces individus sans compétences et dont la présence (en politique et à la télévision) ne s’explique que par une volonté (consciente ou non) de niveler le niveau intellectuel général. C’est aussi cela qui explique cette « haine du talent » dont parlait Xavier Poussard ; car comment ces gens pourraient aimer le talent quand ils n’en ont pas et quand ils sont tous, d’une manière ou d’une autre, les représentants de la « médiocratie moderne », si on peut appeler les choses ainsi.

Alors que dans la société traditionnelle l’élite intellectuelle tire le peuple par le haut, en démocratie le peuple est tiré vers le bas. C’est précisément cela qui explique la médiocrité de la classe politique. Cette médiocrité est une conséquence normale du système démocratique, qui la produit de par sa nature même.

Aaron

 

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Le Règne de la quantité et les signes des temps

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René Guénon, sur E&R