Le 14 juin 2022, Ursula von der Leyen déclara que « L’Europe a les valeurs du Talmud ». C’était à l’université Ben Gourion, en Israël.
Von der Leyen : « L'Europe,
ce sont les valeurs du Talmud »L’aveu est frontal, fini les racines grecques ou chrétiennes : place au Talmud comme boussole morale du continent. pic.twitter.com/ILsoF6SpXc
— Camille Moscow (@camille_moscow) April 8, 2025
Quiconque s’est intéressé avec un peu de sérieux au Talmud verra qu’il n’y a rien de commun entre l’Europe et le Talmud, et que, par conséquent, on ne peut honnêtement dire que « l’Europe a les valeurs du Talmud » puisque, pour ne citer qu’un exemple, le Talmud interdit l’homosexualité (« Celui qui commet la sodomie avec un homme ou une bête et une femme qui commet [un acte de] bestialité sont lapidés », Sanhedrin 7:4). Or l’Europe moderne tend plutôt à encourager l’homosexualité.
Non seulement l’Europe moderne n’a rien de « talmudique » mais, lorsqu’on s’intéresse à la mentalité des Européens, qui semblent imperméables à l’idée même de loi religieuse (que ce soit le droit canonique catholique, la charia ou la halakha juive), on peut affirmé que celle-ci (i.e. la mentalité européenne) est profondément anti-juive.
Mais est-ce pour autant que les propos de von der Leyen ne sont pas significatifs ? Si les propos de von der Leyen représentaient un phénomène unique, nous serions tentés de nous en désintéresser ; or on retrouve des propos similaires dans la bouche des certaines personnalités médiatisées. Par exemple, l’ex-directeur de Charlie Hebdo, Philippe Val, avait déclaré que « l’Europe est le produit de la pensée antique et de la pensée juive » et que « L’Europe sans les Juifs n’est plus l’Europe » [1] ; et Michel Onfray, qui disait la chose suivante :
« Il y a des leçons à prendre de cette civilisation juive, c’est une civilisation qui s’aime, qui s’apprécie, et qui estime ne pas avoir à faire de génuflexions devant toutes les autres civilisations, ni présenter ses excuses pour pouvoir exister. » [2]
Ce que ces déclarations ont en commun, ce n’est pas seulement leur apologie du judaïsme, mais surtout l’omission du plus évident : le catholicisme. Car l’héritage le plus évident, et même, le seul héritage qui compte vraiment, c’est celui-ci : l’héritage catholique. Or lorsqu’on parle du catholicisme en général, on ne l’envisage que comme un produit (plus ou moins heureux) du judaïsme et de la mentalité grecque (c’est ce que fait Philippe Val) ou comme un genre d’épiphénomène, ce qui est bien risible lorsqu’on sait que, dans les faits, c’est le catholicisme qui a conditionné (et qui continue encore de conditionner) l’idée que se font les gens des Grecs et des juifs.
S’il y eut un héritage « helléno-chrétien » comme nous le disons ici sur E&R, c’est à cause du catholicisme. C’est saint Thomas d’Aquin qui établit la jonction entre les œuvres d’Aristote et le catholicisme du Moyen Âge (dans le cadre de la scolastique), après la redécouverte, en Europe, des œuvres d’Aristote – grâce notamment aux musulmans. Par conséquent, tout ce qu’il nous reste de la Grèce antique nous est venu par l’intermédiaire du catholicisme. Il est notable sur ce point que rien dans notre environnement ne semble indiquer, avec une quelconque évidence, un héritage grec (comme les cathédrales ou les églises), car tout pointe vers la chrétienté : celle elle qui a absorbé en elle la tradition grecque.
Celui qui a commenté avec le plus de pénétration les œuvres d’Aristote, c’est saint Thomas d’Aquin. C’est pourquoi, encore aujourd’hui dans les université à travers le monde, on lit ses commentaires pour comprendre Aristote. Mais, étrangement, beaucoup de gens ne savent pas cela. Et quoique nous ayons un certain égard pour Laurent Guyénot, lui aussi commet cette erreur lorsqu’il distingue trop nettement la tradition grecque de la tradition catholique pour former une sorte de dichotomie (du type : catholicisme = foi et Grèce antique = rationalité), sans jamais voir à quel point l’œuvre d’Aristote imprègne le corpus catholique (à travers la scolastique) ; il suffit de voir la définition de la « transsubstantiation », où l’on retrouve l’idée de Forme et de Matière qui vient d’Aristote. (Il commet aussi une autre erreur lorsqu’il assimile la Gnose à un courant hellénique, alors qu’elle ne vient pas d’Europe, Simon le Mage étant de Samarie et Basilide venant d’Égypte, pour ne citer que ces deux-là.)
Si nous signalons ce qui précède (sur le rôle du catholicisme), c’est parce que, en réalité, lorsqu’on parle d’héritage grec, hébraïque ou même « philosophique », c’est toujours pour omettre le catholique ou, sinon, pour en diminuer la portée. Même ceux qui se prétendent « philosophe » ne prennent cette position que pour justifier ce qui n’est, très souvent, qu’un athéisme plus ou moins déguisé, voire un rationalisme qui n’est pas forcément moins anti-religieux par ailleurs.
Mais alors, comment expliquer qu’un individu comme Michel Onfray, avec l’esprit libertin qu’on lui connait, ait pu dire qu’« il y a des leçons à prendre de cette civilisation juive » ?
Il est évident qu’il y a, dans les propos des uns et des autres, la recherche d’intérêts : on pense que si on fait plaisir à « la communauté », on bénéficiera d’avantages : peut-être qu’on sera invité plus fréquemment sur tel ou tel plateau-télé, ou peut-être qu’on aura quelque facilitation pour sa carrière politique. Oui, mais il y a aussi quelque chose de plus profond là-dedans, et c’est ce sur quoi nous devons maintenant nous arrêter.
Posons-nous la question suivante : en quoi l’Europe moderne peut-elle être considérée comme juive ? Certainement pas d’un point de vue religieux. Mais alors, en quoi ?
C’est en s’intéressant à Israël qu’on peut répondre à cette question. En Israël, ce n’est pas seulement la religion qui réunit les juifs, car il y a des juifs athées. Et on ne peut dire que c’est la « race » car les juifs peuvent être blanc, noir, asiatique, français, russe, etc. Cela est d’ailleurs un grand avantage pour eux, car en évitant de s’identifier à une couleur de peau, ça leur évite d’être traités de « racistes » ; car lorsqu’on s’intéresse aux propos de certains juifs, il n’est que trop aisé de voir qu’il existe, chez certains d’entre eux, une attitude parfois suprémaciste. Mais comme ils ne s’identifient pas à une « race » au sens ordinaire du terme (Blancs, Noirs, Jaunes, Rouges), ils échappent à cette appellation de « racistes ».
En Israël il y a donc des gens de toutes les couleurs, avec toutes sortes d’origines, et même, avec toutes sortes de cultures (en plus de la Torah). C’est ici, dans ce brassage ou, disons, ce « métissage assumé », qu’on retrouve quelque chose de l’Occident moderne. Israël est véritablement le prototype de ce qu’il se passe actuellement en Occident ; car c’est ce même « métissage assumé » qu’on tente d’imposer dans tous les pays occidentaux, et pas seulement en Europe. Et lorsqu’on s’intéresse à ceux qui, en Occident, encouragent le métissage, on retrouve certains noms, qui reviennent constamment, comme George Soros (avec sa Société ouverte) et Jacques Attali (qui disait que les pays n’ont toujours été que des « hôtels »).
Il convient maintenant de « démystifier » les propos de von der Leyen, car, en réalité, il y a quelque chose de bien réel derrière les propos, à condition de voir le fond et non la forme. Non l’Europe n’a pas de « valeurs talmudiques », mais l’Europe à bel et bien des « valeurs mondialistes » ; et si on fait référence parfois à des éléments juifs (en parlant d’héritage juif ou « valeurs talmudiques »), c’est tout simplement comme un moyen (plus on moins crypté) pour éviter de dire trop ouvertement « qui » dirige quoi, et « qui » met en avant ce modèle (« mondialiste ») de société en Occident.