La question de la laïcité revient avec force dans le débat politique actuel à l’occasion des polémiques sur le « burkini ». J’en veux comme preuve le fait que sur le carnet RussEurope il y a eu, du 15 au 18 août, correspondant à la publications de notes sur le « burkini » et la laïcité, plus de 76 000 connexions, soit en 4 jours le tiers de la moyenne mensuelle.
Pourtant, la notion de laïcité est elle-même mal comprise et en découlent confusions et erreurs, qui ne font qu’obscurcir le débat. Les interventions intempestives d’une partie de la « gauche », tenant un discours du genre « libéral-libertaire », ne font que rajouter à la confusion. Il faut rappeler un certain nombre de principes, qui avaient été élaborés dans un ouvrage que j’ai publié au début de cette année [1], pour permettre une discussion au fond.
La laïcité principe d’organisation politique
Ce qui fonde la laïcité, c’est la nécessité de dégager l’espace public de thèmes sur lesquels aucune discussion raisonnable c’est-à-dire fondée sur la raison ne peut avoir lieu. La laïcité est donc un principe d’organisation de l’espace politique, et par extension de l’espace public. C’est l’une des leçons chèrement apprise par la France (et une partie de l’Europe) lors des guerres de religion du XVIe siècle. La laïcité ne se comprend que pour qui conçoit le « peuple » comme une assemblée politique et non ethnique ou religieuse, et elle apparaît comme le pendant de la souveraineté. En effet, la souveraineté, en faisant entrer la question du pouvoir dans le monde profane, impose en réalité le principe de laïcité. Tel est l’enseignement d’auteurs comme Bodin, Hobbes et Spinoza.
Ce qui permet la laïcité, c’est la distinction entre sphère publique et sphère privée. Tant que cette distinction n’existe pas, on ne saurait parler de laïcité. De ce point de vue la laïcité est le contraire du totalitarisme qui, lui, prétend asseoir une vision totale en niant la distinction entre ces deux sphères. La laïcité et la démocratie partagent donc les mêmes préalables. Mais la distinction entre ces sphères est mouvante, historiquement déterminée. Cela impose de reformuler constamment les matérialisations de ce principe.
Certaines de ces matérialisations sont contenues dans la loi. On parle beaucoup et trop de la loi de 1905. Mais cette loi n’est pas à proprement parler une loi de laïcité ; elle n’est qu’une loi de séparation de l’église et de l’État, de plus édictée dans un contexte particulier, qui vise à une forme de pacification de la question religieuse. De ce point de vue, les rappels, à la loi de 1905 sont inopérants car ils identifient et cantonnent la laïcité à des règles juridiques particulières alors que la laïcité est un principe politique qui peut, selon les sociétés et les époques, prendre des formes juridiques différentes.
Un principe n’est pas une valeur
Une autre confusion vient de l’assimilation de la laïcité avec une valeur individuelle, comme l’est la tolérance. Or, la question de la tolérance ne fixe que les limites qu’un individu s’impose à lui-même, mais non des principes.
Un principe politique organise un espace et se matérialise en règles spécifiques. Certaines de ses règles peuvent être des règles de liberté (la liberté de culte par exemple) mais d’autres sont des interdictions. Un des problèmes majeurs que rencontre aujourd’hui le principe de laïcité vient justement de l’incapacité de nombreuses personnes à se représenter la société autrement qu’à travers le rapport qu’elles ont directement avec cette dite société. D’où, bien évidemment, l’idéologie « libéral-libertaire », qui ne fait que donner forme à l’individualisme le plus crasse. Or, dans le même temps que les sociétés capitalistes modernes « produisent » l’individualisme (au sens vulgaire du terme) de la manière la plus brutale, elles imposent – à travers la réalité de la densité sociale [2] – la nécessité de penser la société à travers une vision holiste.
Il convient alors de ne pas la transformer en une nouvelle religion, comme l’a tenté, après d’autres, Vincent Peillon [3]. Ces termes recouvrent la tentative de sacraliser un certain nombre de principes. Ils oublient que la laïcité est un principe politique et non une position philosophique [4], même si il y a une philosophie qui peut s’inspirer de ce principe.
Sur le principe, la reconnaissance des deux sphères de la vie des individus et l’appartenance de la religion à la sphère privée, par contre il n’y a pas à transiger. C’est bien dans une exclusion de la place publique des revendications religieuses et identitaires que pourra se construire la paix civile.
De la séparation entre sphère publique et sphère privée
Cette séparation, pourtant, ne saurait être stricte. D’une part en raison de la contribution de nos valeurs individuelles à notre vie en société, et d’autre part en raison des habitudes, coutumes, et comportements, qui constituent de ce point de vue le soubassement historique de TOUTE société, mais aussi les bases de leurs différences. Cela explique – en partie – la spécificité « française » du débat, mais aussi la sensibilité légitime de la société française à la question du « burkini ».
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