Dans son édition du 14 novembre 2018, l’hebdomadaire Rivarol diffusait deux articles de Me Viguier à propos de l’Histoire, de l’historien, de la mémoire et du révisionnisme. Voici le second.
Nous avons vu dans le précédent article que la question n’est pas tant de savoir si le révisionnisme historique est libre ou non. Le débat est tranché : l’historien n’est jamais libre. La véritable question qui surgit alors est celle-ci, que nous avons promis de traiter : en quel sens l’historien est-il contraint ? Doit-il se souvenir des horreurs de la guerre ou doit-il les oublier ?
Lorsque je parle du droit de la guerre et de l’effort millénaire des nations occidentales pour donner des bornes à la guerre, souvent je m’entends répondre : « Et les guerres de religion en Europe ? Alors ! » En effet, de terribles confits ont ravagé les pays d’Europe de l’Ouest durant les XVIe et XVIIe siècles. Que ce soit en France au XVIe siècle, en Grande-Bretagne durant les révolutions ou pendant la guerre de Trente Ans en Allemagne, il est vrai que l’on n’épargnait pas les combattants faits prisonniers ou qui se rendaient, ou qui étaient blessés ou malades ; mieux, on pillait et on volait les propriétés privées, on violait les filles et les femmes, en un mot on tuait du civil, et si possible à petit feu, dans des tortures atroces. Et surtout, de tout cela on accusait le camp ennemi, exclusivement, à l’occasion en mentant. Les guerres de religion étaient des guerres justes, qui avaient une fin qui autorisait tout. Car pour beaucoup la fin justifie les moyens.
Mais précisément, ces guerres sont d’excellents exemples pour défendre la conception occidentale du droit, et pour montrer que l’actuel droit international onusien est une tyrannie sans nom. C’est que de ces confits interminables on finit par sortir. Et l’on en sortit par des traités ou des conventions de paix. Il est facile de conclure la paix avec un ennemi que l’on a combattu dans le respect des lois et coutumes de la guerre. Lorsque l’ennemi a déclaré une guerre en bonne et due forme, lorsque les hostilités se sont déroulées sur un champ de bataille délimité, entre militaires, les choses peuvent facilement se terminer. Il est beaucoup plus difficile de sortir d’une guerre d’extermination. C’est pourtant ce que firent les nations européennes. Et elles le firent par des clauses d’amnistie qui accompagnèrent tous leurs traités de paix.
Pour la France, l’édit de pacification du 19 mars 1562, dit édit d’Amboise, comportait en son article 14 la clause suivante :
« Que toutes injures et offenses que l’iniquité du temps, et les occasions qui en sont survenues, ont peu faire naistre entre nosdits sujets, et toutes autre choses passées et causées de ces présens tumultes, demeurent estaincte , comme mortes, ensevelies et non advenuës, défendant très-estroitement, sur peine de la vie, à tous nosdits sujets, de quelque estat et qualité qu’ils soyent, qu’ils n’ayent à s’attaquer, injurier ne provoquer l’un l’autre par reproche, de ce qui est passé, disputer, quereller ne contester ensemble du faict de la religion, offenser n’outrager de faict ne de parole : mais se contenir et vivre paisiblement ensemble, comme frères, amis et concitoyens : sur peine à ceux qui y contreviendront, et qu seront cause et motifs de l’injure et offense qui adviendroit, d’estre sur le champ, et sans autre forme de procez, punis selon la rigueur de nostre présente ordonnance. »
Tous les traités suivants reprennent cette clause, jusqu’à l’édit de Nantes qui, en son article Ier, ordonne « que la mémoire de toutes choses passées de part et d’autre […] demeurera éteinte et assoupie, comme de chose non advenue », avec en son article II une disposition pénale explicite :
« Défendons à tous nos sujets, de quelque état et qualité qu’ils soient, d’en renouveler la mémoire […] sur peine aux contrevenants d’être punis comme infracteurs de paix et perturbateurs du repos public. »
Les traités de Westphalie terminent de la même façon la guerre de Trente Ans par la promesse d’un éternel oubli. Il s’agit d’une tradition très ancienne. Elle se trouve chez Homère (Odyssée, chant XXIV, au vers 480), dans la bouche du dieu des dieux, Zeus-Jupiter : « Nous voulons effacer de la mémoire du peuple le meurtre des fils et des frères. »
Cet aspect du droit de la guerre est plus important que les règles qui régissent le déroulement du confit lui-même. Lorsque prime la possibilité de la paix, le déroulement de la guerre s’en trouve par cela même limité. Au contraire, un confit qui ne pourrait se régler que par un compte exact des blessures et des morts ne connaîtrait pas de fin, parce qu’entre nations il n’y a pas de juge suprême qui puisse trancher le différend né des prétentions respectives des belligérants.
Et c’est bien dans un enfer que l’Europe s’est engouffrée depuis le milieu du premier confit mondial. Le traité de Versailles n’avait plus du traité que le nom. Il comportait accusation des chefs militaires allemands, et déjà incrimination du chef de l’État pour crime contre l’humanité (articles 227 à 230). La Seconde Guerre mondiale s’est déroulée selon cette logique infernale. À la fin il n’y eut pas de traité de paix, mais un acte d’accusation, un procès à grand spectacle et une série de condamnations. Et ce n’est pas terminé. Au lieu de commander l’oubli, le droit international actuel ordonne, sous peine de poursuites, de cultiver la mémoire des horreurs qu’il accuse le perdant d’avoir commises. Il s’agit de nourrir dans le cœur des hommes la flamme de la vengeance. C’est une culture de haine. Tel est le sens caché de ces lois Pleven ou Gayssot, qui prétendent lutter contre la haine. L’historien est investi d’une mission sacrée : souffler sur les braises pour entretenir le foyer de la guerre civile mondiale.
Dès lors on peut se demander qui est le plus coupable devant le tribunal de l’histoire, de celui qui, comme Robert Faurisson, est condamné par des magistrats et de lois qui visent à entretenir la haine et la guerre, ou de celui qui violerait d’autres lois, des lois qui visent au contraire à maintenir un tant soit peu de paix entre les hommes ici-bas.