Le discours prononcé lundi 28 septembre à l’Assemblée générale de l’ONU par le président Vladimir Poutine a été au centre des débats. Ce discours a même éclipsé celui du président Obama, et a été suivi, le fait est suffisamment rare pour être signalé, par une tempête d’applaudissement venant des délégations de ce que l’on appelait encore, il y a trente ans, le « tiers monde ».
Un discours de combat ?
Ce discours a été significatif même si, dans son contenu, peu de choses nouvelles ont été dites. De ce point de vue, il n’a pas la dimension programmatique du discours de Munich en février 2007. Il faut ajouter que le cadre de l’ONU ne s’y prêtait guère. Dans un discours minuté, il faut aller à l’essentiel et l’on ne peut développer tous les aspects de sa pensée, en particulier en ce qui concerne le droit international [1]. Ce discours n’a pas la même densité que celui que Vladimir Poutine a prononcé lors de la conférence du Club Valdaï en octobre 2014 [2]. Dans ce discours, Poutine avait posé la question de l’hégémonie. Il n’était plus question d’une organisation multipolaire du monde, bien que cela reste un objectif de long terme pour la Russie, mais de ce qu’il appelait alors le « leadership économique ». Or, cette question n’est autre en réalité que la question de l’hégémonie. Cette question pose immédiatement le problème de guerre et de paix. La dramatisation des enjeux correspondait à la nouvelle période qui s’est ouverte avec l’intervention des puissances occidentales en Libye.
Mais, ce discours est important parce qu’il confirme ce que l’on savait depuis des années mais qui devient aujourd’hui évident : les puissances que l’on qualifie d’« occidentales », même si ce terme est très imparfait et fait implicitement référence à la « guerre froide », n’ont plus la maîtrise des affaires internationales. La réception qui lui a été faite à l’Assemblée générale des Nations unies le prouve. Nous sommes bien entrés dans le monde issu de la chute du Mur de Berlin et de la fin de l’URSS, ce XXIème siècle issu de l’avortement de la tentative des États-Unis d’asseoir leur hégémonie [3]. Mais ce monde n’est pas celui de l’hyperpuissance américaine. Il est devenu un monde multipolaire, et il le doit en particulier à l’action constante de la Russie, et de son président, depuis le début des années 2000. L’alliance Russo-Chinoise n’est que l’une des manifestations de ce nouvel état du monde.
De ce point de vue, le discours de Vladimir Poutine est un discours de combat.
Poutine où le compromis fondateur
Ce discours commence par un rappel des raisons de la constitution et des principes d’organisation qui régissent les Nations unies. Il rappelle ainsi les conditions qui ont présidées à la constitution de l’ONU, c’est-à-dire la « Grande Alliance » de la lutte contre le nazisme : « Le 70e anniversaire de l’ONU est l’occasion d’évoquer le passé et de réfléchir à l’avenir. En 1945, les pays ont uni leurs efforts pour penser à l’après-guerre, et c’est dans notre pays, à Yalta, que se sont réunis les chefs de la coalition antihitlérienne [4]. » Mais il ajoute immédiatement un point particulièrement important. Les pays membres de l’ONU peuvent ne pas tomber d’accord sur tous les sujets. Des divergences, traduisant des intérêts nationaux différents, peuvent les opposer. C’est pour cela que « le droit de veto a toujours été appliqué par tous les membres du Conseil de Sécurité. C’est normal. Au moment de la création de l’ONU, on ne comptait pas sur l’unanimité mais sur la recherche de compromis ». En mettant en avant la nécessaire recherche de compromis, Vladimir Poutine ne fait qu’étendre à la politique internationale un principe que nous avons hérité de Guizot [5]. Les compromis sont les fondements des institutions, et le processus d’institutionnalisation du monde n’est autre que le processus d’extension de la civilisation.