Cette année, probablement au mois de mai, les trois pamphlets antisémites de Céline vont être réédités par Gallimard (L’Express a publié, au moins de décembre 2017, un article très informé de Jérôme Dupuis sur le sujet).
Bagatelles pour un massacre, L’École des cadavres et Les Beaux draps avaient été initialement publiés en 1937, en 1938 et en 1941.
Céline avait toujours refusé qu’ils fassent l’objet d’une nouvelle publication mais sa veuve, Lucette Destouches, âgée de 105 ans, a autorisé leur réédition, sous l’égide de son ami et meilleur connaisseur de l’œuvre de Céline, François Gibault.
Pas seulement sans doute pour des raisons financières même si sa veuve a besoin d’une assistance médicalisée 24 heures sur 24.
Depuis l’annonce de Gallimard, une polémique a éclaté et indignations ou approbations de s’opposer. Décidément Céline ne laissera jamais personne indifférent (Le Monde).
Je ne tiens pas pour rien les points de vue de Serge Klarsfeld ou d’Alexis Corbière hostiles à la réédition de ces écrits polémiques mais je ne partage pas leur avis.
Je serais tenté d’énoncer quelques banalités factuelles ou littéraires.
Céline est un immense écrivain, le génie d’un langage inventé, renouvelé et on peut le créditer de plusieurs chefs-d’oeuvre dont notamment Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit.
Ces écrits sulfureux peuvent être trouvés sur Internet, certes sans aval officiel.
En 2012, au Québec, ils ont été publiés et il s’agissait d’un énorme volume comprenant un appareil critique si remarquable que Gallimard se propose de le reprendre.
La réédition française, outre les trois pamphlets, offrira à la lecture À l’agité du bocal (sur Jean-Paul Sartre), Hommage à Zola et le superbe Mea Culpa (à la suite de son voyage en URSS).
En 2015, Les Décombres de Lucien Rebatet avait été réédité, avec des commentaires d’historiens, et la controverse s’était vite éteinte pour un livre dont l’antisémitisme n’était pas moins éclatant que celui qui inspirait Céline.
En 2031 les trois pamphlets de Céline seraient tombés dans le domaine public et devancer cette échéance de quelque 13 ans n’a rien de proprement scandaleux.
J’ai bien conscience que cette argumentation n’est pas suffisante à elle seule pour emporter la conviction. Elle a un caractère trop négatif comme s’il convenait seulement de s’accommoder d’une réédition au lieu de positivement la souhaiter.
Déjà, instinctivement, j’éprouve comme une répugnance à l’idée d’une interdiction qui s’attacherait à la partie, même odieuse, d’une œuvre écrite par un grand auteur faisant la démonstration de son talent non seulement dans le noble mais aussi dans l’insupportable. Le génie ne se divise pas et laisse ses traces ici et là.
Si on décidait de supprimer de la littérature universelle, par exemple du prodigieux Shakespeare, les passages contestables (Le Marchand de Venise) au nom d’une morale et d’une bienséance d’aujourd’hui inadaptées au siècle de leur écriture, des chefs-d’œuvre seraient amputés, dénaturés. On n’aurait pas l’idée absurde de les censurer et il n’est pas davantage acceptable, pour d’autres, de les maintenir dans un ostracisme officiel.
Céline est partout, tout entier dans l’indigne comme dans l’unique.
Serait-ce que la réédition de ces pamphlets risquerait d’aggraver l’antisémitisme de certains à cause du concours d’une délirante perversion ? On sait bien que non, heureusement. On ne peut que réprimer les actes motivés par l’antisémitisme, les délits ou les crimes directement commis sous l’emprise de ce dernier mais pour les tréfonds de chacun, l’antisémite ne sera pas rendu plus antisémite par Céline pas plus qu’il ne sera converti à l’humanisme par de seules injonctions morales.
Lire l’article entier sur philippebilger.com
La réaction de la pleureuse de la France (in)soumise :
Rééditer les textes antisémites de Céline en titrant "Écrits polémiques" est une tartufferie supplémentaire au projet de Gallimard. Renoncez à ce projet, laissez ces textes où ils sont. Ne les diffusez pas + largement ! Sinon demain "La France juive" de Drumont et tout le reste ?
— Alexis Corbière (@alexiscorbiere) 4 janvier 2018