Récemment, à l’occasion des débats à propos du projet de loi sur la PMA, le ministre Agnès Buzyn a pu dire publiquement que le donneur de gamète n’était en rien un père, que le père était une fonction symbolique et qu’une grand-mère pouvait assumer cette fonction.
Tout cela s’est joué bien avant le projet actuel de PMA « pour toutes » et ça en a réalisé les conditions de possibilité. Le législateur actuel veut que le donneur de gamète (mâle pour le spermatozoïde ou femelle pour l’ovocyte) ne soit rien d’autre qu’un donneur de gamète. Le fait d’être parent devrait se jouer d’abord à un autre niveau. Un niveau symbolique. On parle de parent d’intention.
Que l’on s’en réjouisse ou que l’on s’en effraie, c’est un bouleversement. Car si on laisse de côté quelques tricheries, quelques erreurs et quelques fictions marginales, il y avait jusqu’à présent une vérité de la nature au regard de laquelle ces erreurs et ces fictions étaient précisément des erreurs et des fictions. Resteraient inexplicables sinon des millénaires de culte de la virginité et d’interdiction de l’adultère. Le mythe d’Œdipe nous apprend précisément que pour les dieux comme pour les hommes ce qui compte c’est la vérité du sang. Cette vérité l’emporte sur les rites, sur les pratiques comme l’allaitement ou le port de l’enfant dans le ventre, et sur les liens affectifs.
C’est curieusement à l’heure de la découverte du génome et des analyses génétiques que l’on s’est mis à parler de parent d’intention et de couple homosexuel. La génétique dit pourtant toute la vérité naturelle. Tout être humain est issu de deux cellules, l’une mâle et l’autre femelle. Et les chromosomes nous disent le sexe de l’un et de l’autre parent sans aucune ambiguïté possible.
Je sais bien que l’on va nous parler de l’adoption, qui existe de toute éternité. Il n’est pas rare de voir prétendre opposer l’argument de l’adoption à l’idée que la vérité de la filiation ne se fonde que sur la vérité biologique. Or, l’adoption fait précisément partie de ces institutions qui ont été complètement subverties. L’adoption traditionnelle n’existe plus du tout dans notre Droit. Elle nous est même devenue complètement incompréhensible, parce qu’elle reposait sur la distinction entre filiation naturelle et filiation légitime, une distinction qui, au nom de l’égalité entre enfants, a été elle-même abolie.
Essayons malgré tout de comprendre cette distinction du naturel et du légitime, et l’on verra que l’adoption n’a rien à voir avec la PMA. D’abord la filiation naturelle pouvait exister seule, à l’état pur, sans filiation légitime. C’était le cas des esclaves. Pour eux, en effet, la famille c’était « un papa, une maman », et parfois c’était même seulement « une maman », ou plus personne. De même pour certains enfants issus de parents libres non mariés ou incestueux. La filiation légitime signifiait quelque chose d’autre qui ne se réalisait entre un homme et une personne que dans certains cas bien précis.
Ensuite, si la filiation naturelle avec le père était parfois une condition de la filiation légitime, elle n’en était jamais la condition suffisante. Pour que la filiation soit légitime il fallait encore que l’enfant soit né du mariage du père et de la mère. Et le lien légitime n’existait qu’entre l’enfant, fils ou fille, et le père. Ce lien ne concernait pas la mère. C’est ainsi que les fratries, génération après génération, pouvaient former l’institution du clan. Toutes les personnes liées entre elles par filiation légitime étaient membres de la famille clanique. La filiation légitime était le chaînon du clan.
Enfin, la filiation naturelle n’était même pas nécessaire à la filiation légitime. Et c’est sur ce plan que l’adoption pouvait intervenir. La filiation légitime existait alors indépendamment de la filiation naturelle. Le lien qui se créait entre l’adoptant et l’adopté était un lien de filiation purement légitime. Seul l’homme membre d’un clan pouvait d’ailleurs adopter. Mais pour l’adopté ce lien adoptif ne venait pas remplacer son lien éventuellement existant au plan de la filiation naturelle. Il ne venait pas non plus en créer un lorsqu’il n’y en avait pas. L’enfant qui était né de parents inconnus pouvait être adopté, mais cela ne faisait pas de lui l’enfant de l’adoptant au plan naturel.
Les situations que génèrent les PMA et les GPA n’ont donc rien à voir avec l’adoption traditionnelle. Les « dons » de gamètes coupent le lien généalogique entre l’enfant et son parent, son père en cas de don de sperme, sa mère en cas de don d’ovocyte, et avec les deux en cas de récupération de l’embryon ou de l’enfant par un tiers. Ce sont des formes d’abandon, de non reconnaissance ou de désaveu d’enfant, et le parent d’intention est un substitut de parent. Autrefois, l’adage disait que la fiction était un mensonge qui tenait la place de la vérité. Tout se passe comme si aujourd’hui la réalité elle-même était résolument écartée pour que l’imagination devienne la vérité en titre. Une vérité qui peut être indifféremment corroborée ou non au plan naturel. On va donc plus loin que ce que voyait Feuerbach. « Et sans doute notre temps (…) préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être… Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroit la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré. »