L’hebdomadaire Le Point organise selon ses critères un débat subversif, avec les deux hommes en forme du moment, les poids lourds de la vulgarisation Onfray et Zemmour, match arbitré par un Giesbert tout guilleret, qui semble un peu pété en sortant de table. Islam, libéralisme, Europe, Mai 68, valeurs… tous les sujets chauds sont abordés, en toute liberté. Enfin, presque.
- Prochaine couv du Point : « Les bicots », ou « « Les crouilles » ?
Le sujet préféré de FOG, c’est l’Islam, les Arabes, les musulmans. D’ailleurs, son journal vient de sortir une couv vendeuse sur « les Arabes », avec le mot « tragédie » dedans. Après avoir présenté les derniers opus des deux bretteurs (Cosmos pour Onfray, « une tentative d’explication du monde », rien que ça, avec deux tomes à venir, et Le Suicide français pour Zemmour, le blockbuster de l’année), FOG lance le débat sur les Arabes et les musulmans, mais sans Arabes ni musulmans. C’est plus sûr : on est à Nice, et cette ville de riches retraités n’aime pas trop que sa quiétude soit brisée par des lance-roquettes ou des kalachs.
FOG allume la première mèche :
« Cette société française est de plus en plus contaminée par une sorte de peur. »
On pourrait rappeler que les newsmagazines, pour ne pas couler (il y en au moins deux de trop parmi Le Point, L’Express, L’Obs et Marianne), se tirent la bourre avec des unes de plus en plus putassières, quitte à calmer le jeu en pages intérieures. En invoquant une société française bloquée par la peur, une peur qu’entretiennent les médias dominants, FOG est soit un tordu, soit un âne. Mais pour lui, « Le Point a eu l’idée de faire une une sur les Arabes… donc c’est une une civilisationnelle ». Passons ce point de détail de la Troisième Guerre mondiale, et entrons dans le vif du sujet : la tragédie musulmane.
Les musulmans
- Les musulmans, qui égorgent tout le monde, exhibent leurs slogans : « Lisez Le Point » et « Votez Netanyahu »
La caution sérieuse du Point, c’est Henry Laurens, spécialiste du Collège de France. Accroche raciste en couv, rattrapage culturel en pages intérieures.
Onfray recentre le débat :
« On peut dire que un certain islam pose problème, c’est pas exactement la même chose que dire les Arabes posent problème. »
Comprendre, derrière le chichi : que ce soit les Arabes ou les musulmans, ça pose problème. FOG, le roi des faux-culs, intervient en jouant – très mal – les outragés :
« L’idée que les Arabes pourraient poser problème aux Français mais c’est une idée absurde ! »
Onfray :
« Mais c’était le sous-titre. »
Zemmour :
« C’est pas une idée absurde. »
On discute alors de la réalité de deux islams : le bon (républicain) et le mauvais (pris à la lettre) pour Onfray, alors que Zemmour pense qu’il n’y a qu’un islam, et il cite la règle de l’abrogation des sourates (Mansukh), qui fait primer la dernière version remaniée. Sous-entendu : c’est la puissance des besoins ou déterminismes politiques (des pays musulmans et arabes) qui fait l’interprétation coranique du jour. Et pour Zemmour, « les plus guerrières sont les dernières ». Le débat tombe alors dans qui est musulman et qui ne l’est pas ou plus, est-on encore musulman si on boit de l’alcool (un truc qui devrait parler à FOG)… Onfray résume la nébulosité du concept de musulman français en lâchant une énormité, car il aime scandaliser :
« On n’est même pas sûrs que le pape soit catholique. »
Et pour corroborer l’idée des deux islams, il cite les deux… Jésus, le gentil et le méchant :
« C’était le Jésus qu’Hitler aimait beaucoup, il y a dans Mein Kampf, [ouh, fait la salle] je suis désolé, qui a lu Mein Kampf ? Moi je l’ai lu !
FOG : Quel courage !
– Il y a dans Mein Kampf un éloge de Jésus qui chasse les marchands du Temple ! […] D’autres diront mon Jésus à moi c’est celui qui pardonne les péchés, c’est celui qui n’agresse pas. »
Zemmour revient un peu sur terre, avec les islamistes :
« Pour moi ils ne sont pas terroristes, simplement ils appliquent strictement la charia, c’est-à-dire que les frères Kouachi ont appliqué une exécution par un tribunal islamique, et Daech… J’ai coutume de dire que l’Arabie saoudite est un Daech qui a réussi. »
Onfray conclut la partie sur l’islam par une sentence républicaine :
« Il faut que quelqu’un qui soit républicain soit capable de dire que c’est l’islam qui obéit à la République et pas la République à l’islam [tonnerre d’applaudissements] ! »
On n’a pas appris grand-chose, mais on dira que les méchants Arabes (heureusement, certains sont gentils avec nous), c’était la mise en bouche. Maintenant, passons à l’économie, et à son inspiration libérale qui irrite tant le peuple.
Le libéralisme
- Cette petite famille grecque teste le libéralisme avec succès
Zemmour :
« Si le communisme ça marche pas, c’est qu’il faut plus de communisme ; si l’Europe ça marche pas, c’est qu’il faut plus d’Europe ! »
FOG :
« Moi je suis le seul libéral sur ce plateau. Michel Onfray a une réputation d’antilibéral, Éric Zemmour aussi… Y a une telle anarchie chez Proudhon qu’on n’est pas loin du libéralisme. »
Dans ce débat pour ou contre le libéralisme, tout le monde dit être un contre, tout en fustigeant le communisme. Même si FOG considère qu’on vit sous « un régime de communisme mou ». Le problème français viendrait du fait qu’on n’est ni en libéralisme, ni en socialisme, mais dans un truc bâtard entre les deux, qui fait que rien ne marche. On invoque le rôle majeur de l’État, qui d’un côté n’arrive pas à limiter les dégâts du libéralisme, et de l’autre ne sait pas soutenir les entreprises. Onfray imagine, en citant Proudhon, que « l’État peut garantir l’anarchie », entendons par là concilier l’individualisme contemporain et la solidité collective, même s’il admet que « nous sommes toujours dans une logique de guerre civile ».
Zemmour fait remarquer, après une embardée sur Bonaparte, le pote du frère de Robespierre, qu’ « à l’époque du général de Gaulle il y avait 33 % de prélèvements obligatoires, aujourd’hui je crois que même les Etats-Unis sont au-dessus ». Il cite le polytechnicien Guillaume Sarlat, auteur de l’ouvrage En finir avec le libéralisme à la française, et il part dans sa démonstration :
« Nous sommes trop libéraux et trop sociaux… On a un capitalisme sans capitaux… On a inventé un capitalisme d’État… ça permet à l’État de protéger les entreprises… Dans les années 80 on a privatisé… sous l’influence de l’Europe… Et donc on a lâché nos entreprises… avec l’épisode… des noyaux durs… Aujourd’hui on a des grandes entreprises françaises qui n’ont pas d’argent… et qui se font bouffer par les grandes entreprises… Et deuxièmement trop de social… 57 % de prélèvements obligatoires c’est une folie... Et c’est financé par l’endettement… Nos grandes entreprises délocalisent à mort… créent de la richesse uniquement à l’étranger… »
En gros, on n’est pas les Allemands, nos PME sont trop faibles et pas assez soutenues, le gros tube des années 2010. La Lambada des économistes frustes. Le social bouffe les forces vives de l’État et donc de la Nation. Affaiblissant la France dans le concert des nations… européennes. Pourtant, des économistes sérieux disent que l’allègement de la sphère publique (les gens) n’a pas renforcé la sphère privée (entreprises).
L’Europe
On commençait à s’emmerder un peu lorsque Onfray en sort une bien velue sur Tonton :
« Au moment où il a fallu voter pour Maastricht, ça a été un des coups de génie pervers de Mitterrand de laisser croire que c’était oui à l’Europe, donc oui au progrès, oui à la paix, ça voulait dire non à la guerre, oui à l’amitié entre les peuples, disparition du chômage, plein emploi… On nous a dit c’est ça l’Europe, et si c’est pas ça c’est la haine de l’Europe… C’est la guerre, c’est la xénophobie, c’est le racisme… On peut même imaginer que les Français avaient voté contre et que le cynisme de Mitterrand aurait rendu possible une erreur de calcul, comme ça s’est fait aux États-Unis avec George Bush… À 20 heures on devait donner les résultats et on pouvait pas les donner… Et Mitterrand arrive, patelin, à 20 heures 20, en disant c’est court, mais nous avons gagné, je vous remercie. Qui est allé refaire les calculs ? Hypothèse… »
On savait déjà que Giscard avait trafiqué les votes venus d’Outremer en 1974, et la France des possédants avait eu chaud au derche, mais là, le coup de Maastricht, c’est du lourd. Rétrospectivement, tout est possible, dans ce système trafiqué des pieds à la tête. Après ça, allons donner des leçons aux élections africaines… Onfray poursuit sur le rêve européen :
« Y a eu depuis exactement le contraire, augmentation du chômage, augmentation du racisme… On aurait dû dire que ça ne marchait pas. »
- Zemmour pique l’Europe
Zemmour place sa petite banderille :
« Le général de Gaulle détestait Jean Monnet, il estimait que c’était un agent de la CIA, il était pas loin de la vérité…
FOG : C’est pas la réalité, c’est la fantaisie.
– Non c’est pas la fantaisie, il était lié depuis la Première Guerre mondiale aux services américains. Et ce sont les services américains qui ont financé tous les mouvements pro-européens dans les années 46-47.
– Et Sheila était un homme !
Onfray : Ah enfin la vérité ! »
On rigole bien sur le plateau, le débat est sympathique, personne ne veut la mort de l’adversaire. Hitler contre Staline, c’était autre chose. Zemmour assène :
« L‘Europe fédérale a échoué… Et l’Europe des États a échoué… On a l’entre-deux qui est le pire… Le droit européen est un scandale, le droit européen nous a privés de toute souveraineté, le vrai scandale c’est le droit européen, ce n’est même pas le marché ! […] Notre conception du droit européen elle est germanique. »
Là, on retombe dans les pages du Suicide français, où Zemmour dévoile par quel moyen l’Europe a dévitalisé les États qui la composent. Onfray balance une petite image sur l’État, qui serait comme un couteau, qui peut servir à éplucher une pomme… ou égorger son voisin.
Mai 68
Onfray attaque, pragmatique :
« La mauvaise chose c’est que la destruction de valeurs qui avaient fait leur temps, n’a pas été remplacée par des valeurs nouvelles, c’est-à-dire que ce moment de négativité qu’a été mai 68 aurait dû être suivi par un moment de positivité qui n’a pas eu lieu. Donc je dis oui à ce moment de négativité parce qu’on ne peut pas dire non au réel… C’est un mouvement de civilisation... L’erreur des intellectuels, des philosophes… ceux dont on dit qu’ils sont la french theory outre-Atlantique, c’est-à-dire les Deleuze, les Foucault, les Guattari, les Derrida etc., ont déliré, ont déliré. Et intellectuellement ça produit encore des effets chez Najat Vallaud-Belkacem par exemple [rires, applaudissements] !
Toute la théorie du genre, la théorie pédagogiste, ce genre de choses procède de l’arrivée au pouvoir d’une partie de cette génération qui a été formée par la french theory… C’est très beau sur les campus quand on nous explique que le masculin/féminin, les hormones, la biologie, la nature, tout ça n’existe pas, nous sommes des concepts, nous sommes des êtres de papier dans un temps de la disparition de l’individu et de la mort de l’homme… Sauf que quand ça produit des effets sur la réalité et que dans mon école, l’école de mon village, de 500 habitants, on nous fait le coup de la théorie du genre avec des gamins qui sont déjà perdus et qu’on les perd sur leur identité sexuelle, on se dit y avait effectivement un travail de positivité, un travail de valeurs de substitution qui n’a pas été fait, auquel cas mai 68 a fait un travail intéressant de nettoyage pour que l’Histoire puisse avancer, mais l’Histoire n’a pas avancé parce qu’elle s’est mise à bégayer et à faire des choses terribles. »
« On a eu des intellectuels qui ont défendu la pédophilie ! » (Onfray)
Réveil des minorités, naissance de l’individu-roi, meurtre du père… Zemmour acquiesce sur les valeurs non-remplacées :
« Un mouvement qui détruit les structures traditionnelles, la famille, la nation, la patrie, l’Église… En fait c’est le deuxième épisode de 1789… C’est la suite et fin ! »
Selon lui, tant que les structures traditionnelles résistaient face à l’individu qui cherchait à s’émanciper de cet ensemble, il y avait une dialectique positive. Mai 68 mettra cette dynamique à terre :
« Et c’est ça notre catastrophe… L’individu émancipé est tout seul. »
C’est l’histoire de l’Homme qui se débarrasse de Dieu, et qui réalise son erreur. Il devient fou car il n’a plus de structure pour le contenir, d’où la consommation, le féminisme débridés… Onfray :
« L’individu se retrouve dans un moment de nihilisme généralisé dont nous ne sommes pas sortis. »
Comprendre que nous sommes à la croisée des chemins : faut-il choisir le retour aux « vieilles » valeurs, qui ont été balayées par l’Histoire (mais pas partout) et les hommes (mais pas tous), ou chercher de nouvelles valeurs ? Oui mais lesquelles ? Le robinet d’eau tiède socialiste, avec son égalitarisme crétin et son minoritarisme délirant, son abolition des frontières sexuelles et nationales, dont on voit les conséquences incontrôlables ? Ni Onfray ni Zemmour ne sont capables de trancher. L’Histoire tranchera. Il est probable que la pression de la nécessité revitalisera certaines valeurs oubliées et en activera d’inattendues. D’ici là, résistons à la dégradation programmée, par la société (médias, politique), et par les hommes. Car l’élite n’est pas responsable de tout.
Les valeurs
- Triptyque remplacé par Travail précaire, Famille monoparentale, Patrie sans frontières
Zemmour s’arc-boute sur les valeurs en péril, tandis qu’Onfray table sur un positivisme vague. Le premier prédisant une espèce d’apocalypse due au conflit inévitable entre systèmes religio-culturels dominants, l’autre restant dans l’incantation, ce qui lui vaudra une soufflante : Onfray :
« Je persiste à croire que les valeurs sont encore à construire. »
Zemmour :
« Mais les valeurs elles se construisent pas ! Elles sont le produit de siècles de civilisation ! Elles ne se construisent pas comme ça ! »
FOG met un terme au débat au moment où il commence à s’approfondir : c’est la limite de l’homme de presse, qui ne voit pas plus loin que le bout de la semaine, en avant ou en arrière. Onfray lâche son revers nietzschéen, histoire de bien achever l’auditoire :
« Les civilisations sont mourantes, elles sont mortelles… Et je pense que notre civilisation est mourante... Le judéo-christianisme a eu lieu… Et là nous sommes en queue de comète, nous avons fait notre temps… Le bateau coule mais il y a la possibilité d’être dans un salut personnel… et de dire le nihilisme ne passera pas par moi. »
- Ruines de l’Empire inca
Zemmour :
« Je suis absolument d’accord avec Michel mais pas pour les mêmes raisons… Je suis moi aussi un esprit tragique… Mais je sais que l’histoire est tragique… Maintenant contrairement à Michel, je ne pense pas que ce soit notre civilisation judéo-chrétienne qui meurt… Elle est morte depuis longtemps, elle a été tuée depuis le XVIIe siècle par justement l’avènement du cartésianisme, de l’individualisme, de la Raison, qui s’est émancipée de Dieu. […] Ce besoin de spiritualité va aussi s’accompagner d’affrontements terribles entre religions et je pense que c’est là que nous allons. »
En se posant comme « tragiques », Onfray et Zemmour évitent de penser ces valeurs qui cimenteraient à nouveau les Français, même si le problème est plus global et concerne tout l’Occident. Onfray :
« Le roman de Michel Houellebecq est très intéressant parce que il montre comment les choses se font en glissant, doucement, pas forcément avec la violence, mais simplement avec le, ce dans quoi les Français ont aussi pas mal excellé : la collaboration [applaudissements]. »
Aux chiottes la repentance !
Et vas-y donc, bonjour le masochisme éternel. Un philosophe bon sur le constat mais cloué dans une impasse peut toujours invoquer la fin du monde civilisé dans une grandiloquence théâtrale, il a aujourd’hui un devoir non pas de mémoire, mais d’imagination : trouver le chemin vers un monde nouveau. Déprimer les gens, à qui toute aspiration à la souveraineté, toute perspective de dépassement et toute transcendance ont été ôtées, pour finir par sombrer dans le matérialisme de bas étage, est la preuve de l’incapacité à produire des outils de résistance au système. Le salut personnel prôné par Onfray, c’est l’appel au chacun pour soi, à la lâcheté, à la fuite devant l’Ennemi libéral !
- L’islamisme des sables fait peur
Constat forcément incomplet que celui qui ne prend pas en compte la globalité d’une problématique : on aurait aimé que le thème du pouvoir prosioniste soit abordé, au lieu de nous servir l’étouffant couscous islamiste truffé de merguez explosives à toutes les sauces. Islamisme qui, rappelons-le pour les lecteurs du Point, est tout sauf un pouvoir en France, même pas le début de la queue de lézard d’un contrepouvoir. Et ce ne sont pas trois attentats plus ou moins spontanés qui vont changer ça, au contraire. La puissance du sionisme étant devenue en 10 ans un thème inabordable, non pour des raisons de limite intellectuelle, mais à cause des mesures de rétorsion, nos intellectuels miroir (gauche/droite) pourront débattre des heures ou des jours, seules des solutions provisoires et superficielles pourront émerger.
- S’il vous plaît, on peut avoir un peu la parole ?
Si le problème sioniste (on n’a pas dit « juif ») n’est pas le problème central en France (on peut considérer par exemple comme autrement essentiel le rapport du citoyen à l’État), il ne peut pas être mis à la porte d’une réflexion politique globale. Il faut que le problème sioniste s’assoie à nouveau à la table des négociations, pour que le débat prenne une autre tournure qu’un éclairage, fût-il savoureux, établi par des penseurs cultivés. De la part de ces conceptualistes, on attend une lucidité qui ne s’arrête pas au désespoir, passage obligé des esprits perçants, mais passage seulement. L’utopie n’est pas au bout du chemin, mais la prise de parole, telle que nous la concevons, si elle veut être efficace, doit être libre. La France ne trouvera pas de solutions tant qu’une minorité de privilégiés confisquera le micro à une majorité de sans-voix. Et c’est reparti, comme en 89 !