Je m’en veux un peu. Dans mon premier livre, Le Marteau, je m’attardais assez violemment, et dans tout un chapitre, sur le cas Onfray.
Il représentait à mes yeux la pire caricature du nietzschéen de gauche qui allait chercher chez mon maître de quoi s’en prendre aux religions, au prétexte, très philosophique, qu’elles n’étaient pas très gentilles. Son Traité d’athéisme m’était tombé des mains tant la niaiserie morale y tenait lieu de seul argument. Mais je n’avais pas prévu. Je ne l’avais pas vu venir. J’avais sous-estimé son intelligence. Depuis, Onfray s’est amendé et se rapproche peu à peu d’une pensée en tous points traditionaliste.
La lecture, ceci dit, du Désir d’être un volcan, aurait du me mettre la puce à l’oreille. Entre le rapport d’Onfray à son père, à la terre et à De Gaulle, j’aurais du me dire que cet artisan de la philosophie, qui se croit de gauche, avait toutefois une belle marge de progression. Il aurait du me paraître étrange, en effet, qu’un homme de petite condition provinciale, quand même un peu nietzschéen, rejetant tout à la fois Paris et son marais de mondains, puisse rester longtemps avec comme seule pensée une guimauve libertaro-gauchiste. Il s’est cabré, a évolué, et même s’il ne s’en rend sans doute pas vraiment compte, ce qu’il entend encore par « être de gauche » est en réalité une sorte d’aristopopulisme que l’engeance bien-pensante classe vite jusqu’à l’extrême-droite.
Pour s’en convaincre, il faut l’entendre en ce moment faire l’éloge des vertus de son père comme le sens de l’honneur, de la parole donnée, du devoir et de l’intelligence des paroles parcimonieuses comparées à l’indécence des bavardages. Il faut l’entendre parler des petites gens qui s’organisent en coopératives pour exceller en un travail utile, juste et proche de la terre. Il faut le lire, dans son dernier livre, en appeler à une sagesse grecque et païenne du cosmos, laquelle, panthéiste et immanente, est la forme de pensée métaphysique parmi les plus anciennes du monde indo-européen. Il faut attendre, aussi, son prochain livre, dans lequel il va toucher au principe philo-historique de décadence des civilisations, adoptant, par là, la pensée traditionnelle des cycles contre la pensée de gauche, qui croit, elle, au progrès. Et puis, bien sûr, il faut le voir traiter de crétins tout ce que la politique actuelle compte de médiocres, le voir s’en prendre aux idoles modernes comme Freud et Sartre, et le voir envoyer des piques régulières aux idioles* Attali et BHL. Je passe sur les critiques contre la théorie du genre et sur le rôle dévoyé de l’école.
Tout ceci est signé. Je le répète : sans s’en rendre forcément compte, Onfray s’est rapproché de la pensée traditionaliste, dont on peut dire qu’elle est une pensée de droite, même si celle-ci est fort éloignée de la droite libérale actuelle. Peut-être d’ailleurs que la clef de cette évolution est là : qu’importe aujourd’hui ce qui s’appelle encore la gauche et la droite, le vrai problème politico-philosophique de l’époque est celui de la civilisation libérale dans laquelle nous vivons. Ne pas la trouver formidable, comme BHL, conduit nécessairement au traditionalisme, qui est sans doute son seul véritable adversaire. Comme Michéa, comme Finkielkraut et tant d’autres (très souvent les meilleurs), les penseurs originellement de gauche finissent par quitter leur camp qui, jour après jour, se complaît dans la naïveté, le cynisme et l’idiotie, quand ce ne sont pas les trois en même temps.
La Tradition, chez Onfray, ne se dira peut-être jamais comme telle, car il faut comprendre qu’un homme ne se renie pas, ne serait-ce que sémantiquement, lorsqu’il a passé un certain âge. Mais alors, en ne l’assumant jamais, la Tradition ressortira régulièrement chez lui comme des lapsus. Puisse-t-il toutefois comprendre, un jour, que sa révolte adolescente contre les injustices et la médiocrité, qu’il exprima alors naturellement par un engagement à gauche, tient en réalité toute entière, aujourd’hui et à l’âge d’homme, dans la pensée traditionaliste.
Puisque je me refuse désormais à le sous-estimer à nouveau, j’attends que ce jour arrive. Alors, cher Michel Onfray, encore un effort.