Il n’est pas très difficile de s’en rendre compte. Les plus actifs dans la réflexion, actuellement, en France, les plus coordonnés, les plus soudés, ce sont les Gilets jaunes. Ils ont l’expérience d’une lutte d’une année, sur les ronds-points et dans les centres-villes. Ils ont eu des blessés et des morts. Des groupes se sont constitués, des réseaux de gens qui se connaissent dans la vie réelle. La grande réussite du mouvement est là. Certes, ça s’était essoufflé. Et alors arrive le confinement. Partis de Facebook pour la vie réelle, voilà qu’ils refont un crochet par Internet. Mais ils vont revenir au réel.
Il y a trop de souffrance. Et à l’avenir se profile une grave crise économique et sociale. On ne peut pas arrêter l’activité de l’ensemble d’un pays sans que ça ait un coût. (Je rappelle que c’est toute la France qui est confinée, ce n’est pas comme en Chine une seule ville) Et sur le coronavirus il y a eu trop d’erreurs, trop de mensonges de la part du pouvoir. Il y a encore aujourd’hui trop de scandales. Les masques, le gel, la chloroquine, les médicaments, les tests, les retraités qu’on enferme dans des maisons − malades et gens en bonne santé, on les enferme ensemble. J’en passe. C’est une véritable catastrophe.
Les Gilets jaunes font partie de l’espoir, à condition que ne se renouvèlent pas certaines erreurs du passé. J’en vois toute une série. Elles proviennent fondamentalement de la pensée de droite, du libéralisme, même si elles sont dans des têtes de gauche. Un pseudo-gauchisme, qui n’a pas compris que le capitalisme c’est de faire passer la production avant la reproduction de la vie concrète, et qu’un véritable révolutionnaire, c’est d’abord quelqu’un qui défend les peuples contre une classe déracinée qui peut les exploiter jusqu’à l’extermination. Un localisme naïf, qui cultive avec son potager la haine de l’État. Une forme de gentillesse démocratique, aussi, c’est la question de la constitution, dont je vais parler ici.
Étienne Chouard a fait énormément de mal au peuple français. Il n’a pas voulu le faire volontairement, bien sûr, et il n’est en rien personnellement responsable. Tout le monde voit bien que c’est un brave gars. Mais avec ses idées d’atelier constituant, de tirage au sort, de référendum d’initiative populaire, etc., il a désorienté des milliers et des milliers de personnes. Il les a enfermées dans des revendications puériles. En réalité, on pouvait difficilement faire plus naïf. Ses idées ont castré la révolution. Il n’est donc pas étonnant que les médias l’aient tant et tant promu durant la lutte des Gilets jaunes.
La question de l’écriture d’une constitution
Écrire une constitution, par exemple, voilà une idée typiquement bourgeoise. C’est une idée de commerçant, de banquier, de notaire. Ce sont bien eux qui vous font sans arrêt remplir et signer de la paperasse pour vous enchaîner. Contrat de travail où il est bien indiqué que vous devez obéir, contrat d’assurance où il est écrit que vous devez payer (mais sans être indemnisé dans la plupart des cas), emprunt, location, vente, mariage etc. L’écrit, ce sont vos chaînes.
On va me dire qu’il s’agit d’enchaîner les dirigeants. La blague ! S’il en est, une fois au pouvoir, qu’il est impossible d’enchaîner, ce sont bien les dirigeants. Croire qu’il suffit de s’arc-bouter sur un papier pour garder ou prendre le pouvoir n’est pas une idée sérieuse. Le pouvoir se tient, ou il se perd. Croire que vous allez donner mandat, même impératif, à un tiers, pour qu’il tienne l’État à votre place, c’est une hérésie. Le pouvoir constituant doit rester là, toujours présent. Si c’est le peuple qui a le pouvoir, c’est le pouvoir constituant du peuple. Si ce sont quelques banquiers ou un clan d’aristocrates ou de voyous, ils seront là, eux aussi, pour veiller à leurs intérêts. La souveraineté ne se délègue pas.
Si un écrit peut être opposé à un gouvernant, cela signifie tout simplement que ce n’est pas lui le véritable gouvernant, mais que c’est celui qui peut lui opposer sa lecture de la constitution. Et ce dernier n’est pas soumis au texte qu’il invoque. Un véritable souverain, lorsque sa liberté politique et sa domination sont en jeu, se moque des constitutions écrites. Il les interprète, il les suspend, il les amende et il les viole à sa guise.
Quoi qu’il fasse, en France un gouvernement aura toujours la loi de son côté. De plus en plus de lois ordinaires lui donnent des pouvoirs que l’on aurait jugés jadis exorbitants et arbitraires. Sans même avoir besoin de recourir à l’article 16 de la Constitution, l’état d’urgence lui donne absolument tous les pouvoirs. Et si cela ne suffit pas, il substitue les autorités militaires aux autorités civiles (des officiers remplacent les préfets), et c’est l’état de siège. Au pire, devant des circonstances exceptionnelles un simple particulier peut exercer le pouvoir.
Les constitutions écrites ont toujours été des instruments d’aliénation de peuples esclaves. Un peuple constituant, un peuple qui se constitue en unité politique n’a pas besoin de mettre noir sur blanc le cadre qui fixe son pouvoir. Pourquoi aller demander à des fumeurs de haschich de s’y connaître en matière de mystères d’État ? C’est d’autant plus risible lorsque ce peuple n’a absolument aucun pouvoir réel. En attendant, ça fait mal au cœur de voir des centaines et des centaines de pauvres demi-illettrés qui se fatiguent à rédiger des constitutions. Avec des articles. Et qui se chamaillent, c’est le mot, pour des virgules ! Vraiment, quelle aubaine pour le pouvoir des banques que ce Chouard !
Simple et efficace
Si ce que l’on veut c’est une organisation, elle existe déjà. Depuis des millénaires. Un peuple libre, des citoyens responsables, une assemblée plus ou moins universelle et une chambre chargée de contrôler et de conseiller le chef de l’administration. Toutes les institutions sont organisées sur le même modèle. Ajoutez un brin d’articulation entre le particulier et l’universel, et vous aurez le modèle romain. L’État, en France, est un des plus réussis qui soient.
Les « constitutions » antiques sont issues de ligues de guerriers libres, encore organisés en clans, soudés dans des tribus, avec à leur tête des patriarches. Tirer au sort entre cent ou cinq cents seigneurs n’a rien à voir avec le fait d’envoyer dans une chambre des députés de pauvres désœuvrés qui, une fois sur deux, s’avèreront être des détraqués. Nous sommes à l’ère des masses. On ne fera pas machine arrière.
Aujourd’hui, avec ou sans suffrage universel, seul celui qui a l’appui du peuple a une chance d’accéder au pouvoir et d’obtenir ainsi à la fois la reconnaissance des puissances étrangères et l’obéissance des chefs de l’administration. Et seul celui qui tient les médias peut manipuler et tromper les masses. Sans l’appui des masses, personne ne peut rien faire. Aujourd’hui, en France, la masse du peuple est « Charlie », elle réclame toujours plus de dictature. Voyez comme elle applaudit aux fenêtres. Mais si on trompe facilement un peuple abruti par le travail et par l’argent (et par la drogue), en revanche lorsqu’il n’y a plus ni l’un ni l’autre cela devient plus difficile. Les crises sont les seuls moments favorables au changement.
Devant une révolution il ne s’agit pas de perdre son temps à faire des plans de constructions. C’est le négatif qui est au travail. Un révolutionnaire n’écrit donc pas de constitution. Il les brûle. Je suis désolé de devoir énoncer l’évidence. Le seul acte constituant qui soit, c’est la désignation de l’ennemi. Les seuls écrits qui vaillent dans de telles circonstances, ce sont plutôt les listes de proscription ; en général, c’est comme ça qu’un peuple se libère du joug.
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