La chronologie juive fait partie d’un récit particulièrement unilatéral et anti-historique qui débute inévitablement au moment où la souffrance juive est détectée, tout en ignorant les circonstances antérieures qui ont pu mener à cette souffrance. Dans l’histoire juive, les membres du peuple élu ne sont jamais les agresseurs et ne portent aucune responsabilité concernant leur propre situation. C’est même le contraire, ils sont toujours victimes de « l’irrationalité » des goyim et de leur « haine impitoyable des juifs ».
Hier, le Premier ministre Benjamin Netanyahou a fourni un aperçu remarquable de la nature trompeuse de la chronologie juive.
Dans son discours qui a suivi l’incident dans lequel un F-16 israélien a été abattu au dessus de la Syrie, Netanyahou s’est focalisé sur l’agression iranienne, alléguant que l’Iran avait fait voler un drone en territoire israélien. Naturellement, votre serviteur n’est pas convaincu par l’existence de ce drone et, s’il existait vraiment, qu’il fut opéré par les Iraniens. Cependant, le Premier ministre israélien a clairement omis de souligner dans son récit que c’était lui, son gouvernement faucon et les lobbies juifs qui lui servent de relai à travers le monde (AIPAC, CRIF, CFI, LFI, etc.) qui travaillent à une action militaire et à des sanctions contre la République islamique depuis au moins dix ans.
Combien de fois avons-nous entendu des politiciens israéliens promettre d’attaquer l’Iran ? En 2012, The Time of Israël avait rapporté que le Premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre de la Défense Ehud Barak avaient ordonné à leurs responsables de la sécurité en 2010 de préparer l’armée à une attaque contre les installations nucléaires iraniennes, en quelques heures si nécessaire. Le quotidien avait précisé que leur demande avait été repoussée par ces mêmes responsables de la sécurité. Néanmoins, la chronologie présentée hier par Bibi a fait table rase de la décennie de belligérance à l’égard de l’Iran. La chronologie de Bibi du conflit a débuté 48 heures auparavant, lorsqu’il a prétendu que le drone iranien avait franchi la frontière israélienne.
Cette forme unique de délire et/ou de détachement fourbe de la réalité n’a pas été inventée par les sionistes ou par les Israéliens. Elle est profondément ancrée dans la culture juive, dans l’idéologie juive et même dans l’Ancien Testament. L’Holocauste, par exemple, est enseigné comme « la persécution systématique, bureaucratique, parrainée par l’État, et le meurtre de 6 millions de juifs par le régime nazi et par ses collaborateurs » (Musée américain de l’Holocauste). C’est un récit vidé de tout contexte historique. La chronologie de l’Holocauste est une construction judéo-centrique qui commence avec la détection de la souffrance juive (1933). Pour que l’Holocauste devienne un véritable chapitre historique, il faudra se demander : « Quelles sont les circonstances qui ont conduit à la forte montée des sentiments anti-juifs en Europe et au delà ? » [1]
Une fois encore, si nous examinons l’histoire juive des pogroms de l’Europe de l’Est au XIXe siècle, ou l’Inquisition espagnole, nous découvrons une chronologie qui est déterminée par un rejet similaire de l’historicité.Comme dans l’histoire juive de l’Holocauste ou dans l’intervention de Bibi hier, ces chronologies débutent au moment où la souffrance juive est détectée et omettent les circonstances qui ont pu conduire à de tels développements. Nous avons affaire à des récits dépourvus de leur élément le plus vital et de leur raison d’être. Nous assistons à une lutte perpétuelle pour réduire à néant l’introspection.
Tout ceci pourrait expliquer la peur juive de l’antisémitisme. L’angoisse juive n’est pas représentée nécessairement par la peur du « goyim haineux et sans pitié » mais plus probablement par la peur de l’introspection – se regarder dans un miroir – prendre la responsabilité pour ses propres actions une bonne fois pour toutes.
La chronologie juive, sous forme de détachement auto-induit, est aussi vieille que les juifs. Examinons la manière avec laquelle Pharaon est présenté dans l’Exode biblique :
« Un nouveau roi vint au pouvoir en Égypte ; il ne connaissait pas Joseph. Il dit à ses sujets : Voyez, le peuple des Israélites est plus nombreux et plus puissant que nous. Il est temps d’aviser à son sujet, pour qu’il cesse de se multiplier. Sinon, en cas de guerre, il risque de se ranger aux côtés de nos ennemis et de combattre contre nous pour quitter ensuite le pays. » (Exode 1 : 8-10)
Alors que le roi Pharaon manifeste clairement des sentiments anti-juifs, il y a un manque notable de tout contexte qui rendrait ce récit vraiment significatif. Dans quel sens les juifs étaient-ils plus « puissants » ? Pourquoi étaient-ils suspectés de trahison, gardaient-ils une double citoyenneté ? Est-ce qu’ils dominaient la cité ou sa culture ? Ou peut-être ont-ils dominé l’industrie cinématographique égyptienne à ses débuts ? La Bible garde cette information confidentielle.
Je suggère éventuellement que la chronologie juive est un mécanisme sophistiqué de masquage qui est mis en place pour empêcher les juifs de faire une introspection, de voir la réalité telle qu’elle est, de voir l’autre comme un être humain égal avec des besoins égaux.
La pensée judaïque s’est parfois considérée elle-même comme un mécanisme castrateur. Les prophètes bibliques avaient, par exemple, des éclairs d’introspection. Ils ont introduit une chronologie, une raison, un logos, ou devrions nous dire plutôt une logique, mais, dans ce domaine, ils ont été vaincus maintes et maintes fois. On peut dire la même chose de Jésus, Spinoza et Marx.
Cela rend étonnant le fait que le sionisme, à ses débuts, était en réalité une tentative désespérée de la part des juifs de s’attaquer au déni juif de l’historicité.
L’ouvrage L’Antisémitisme, son histoire et ses causes de Bernard Lazare représente une étude profonde du sionisme et du rôle des juifs et de leur culture dans leur propre souffrance. Lazare n’était pas le seul à faire une enquête. Ber Borochov, Max Nordau and même Herzl ont tenté de comprendre la question juive à travers un contexte historique adéquat. Leur diagnostic de la culture de la diaspora juive était habile, cependant, leur remède a plutôt été un désastre comme l’a démontré l’horrible politique d’Israël depuis sept décennies.
Alors que le sionisme des débuts était en grande partie anti-juif, le sionisme fut bientôt pris en otage par la judéité – ce sentiment de délire judéo-centrique qui rejette l’altérité et qui nie l’historicité. Le discours du Premier ministre Netanyahou est révélateur de cette incapacité unique à faire une introspection. La chronologie de Netanyahou commence avec une prétendue agression iranienne en « oubliant » qu’Israël balance des bombes sur la Syrie depuis des années et menace d’intervenir en Iran depuis au moins dix ans. Netanyahou est-il en plein délire ? Fait-il preuve de duplicité ? Ce n’est pas à moi de juger, et en fait je m’en fiche. Ma tâche est d’analyser le message, pas d’analyser le messager.
Si le sionisme était né pour enseigner aux juifs de quelle manière ils pourraient réfléchir sur eux-mêmes, ils pourraient devenir des gens comme les autres. Netanyahou, Israël et les sionistes contemporains sont la preuve que le projet sioniste était futile. Alors que l’État juif s’entoure toujours plus avec des murs, que les lobbies sionistes et les Zio-cons poussent Israël à s’engager dans plus de conflits globaux, il devient évident que les sionistes ne sont pas des gens comme les autres – des gens qui ne peuvent pas réfléchir sur eux-mêmes ou porter la responsabilité pour leurs propres actions.