Egalité et Réconciliation
https://www.egaliteetreconciliation.fr/
 

Je libère le peuple américain

Je suis un artiste de jazz, j’ai consacré toute ma vie d’adulte à l’étude de la musique et de la culture noires américaines. Le jazz est certainement la plus importante et peut-être la seule contribution américaine significative à la culture mondiale. Et la question suivante est : où en est le jazz noir américain aujourd’hui ? Pourquoi les Noirs américains ont-ils perdu tout intérêt pour leur propre création fantastique ?

 

Une réponse est que le jazz est né de la résistance. Il a été alimenté par le défi du « rêve américain » : au lieu de chercher Mammon, la richesse et le pouvoir, nos pères fondateurs artistiques noirs ont sacrifié leur vie au nom de la beauté. Ils se sont littéralement tués à la recherche de nouvelles voix, de nouveaux sons, de nouvelles couleurs. Ils nous ont laissé un grand héritage, mais leur progéniture s’est tournée vers de nouveaux domaines artistiques tels que le hip-hop et le rap.

Pour les personnes qui ont fait du jazz une forme d’art, la musique était un esprit révolutionnaire. Pour Bird, Now’s the Time signifiait que le temps était venu de procéder à des changements sociaux. Pour John Coltrane, l’Alabama était la réponse appropriée à l’attentat de l’église baptiste, par le Ku Klux Klan, qui avait tué quatre jeunes filles afro-américaines.

 

John Coltrane joue Alabama :

 

Quand Jazz signifiait quelque chose, ce n’était pas un langage de victime. Bien au contraire, Jazz était un message de défi : tout ce que vous pouvez faire, nous, les Noirs, pouvons le faire mieux. Et c’est la vérité, personne n’a réussi à le faire mieux que Trane, Bird, Miles, Elvin, Sonny, Blakey, Duke, Ella et bien d’autres. Ces artistes n’ont pas supplié Wall Street de les financer, ils n’ont pas demandé à d’autres de se joindre à leur combat : au contraire, ils ont fait supplier le reste d’entre nous pour que leur beauté, leur art et leur esprit nous illuminent et nous libèrent. Il n’a pas fallu longtemps pour que l’élite américaine se rende compte que le jazz était le meilleur ambassadeur de l’Amérique dans le monde. Et tout cela s’est passé alors que les Noirs américains étaient soumis à l’apartheid, surtout dans le Sud. Il est raisonnable de penser que c’est la transformation du jazz en « voix de l’Amérique » qui a joué un rôle majeur dans la libération du Sud noir.

Malheureusement, le jazz a perdu son âme il y a une ou deux décennies. Il est passé de la voix de la résistance à ce qui a été progressivement réduit à une « question académique », un « système de connaissances ». Aujourd’hui, de nombreux jeunes musiciens de jazz sont « diplômés d’une école de musique ». Ils peuvent être très rapides et sophistiqués, mais ils ont très peu à dire et, dans la plupart des cas, ils préfèrent ne rien dire. Certains peuvent croire que dire quelque chose contrevient à leurs « objectifs artistiques » car cela brouille la distinction entre l’art et la politique. Je crains qu’ils ne se trompent. Pour que le jazz soit une forme d’art significative, il vaut mieux qu’il soit révolutionnaire jusqu’au bout. Le jazz est, avant tout, le son de la liberté.

Pendant un certain temps, nous avons vu le jazz contemporain se détériorer en un exercice technique dénué de sens. Le jazz, en gros, est mort sur nous. Cette disparition artistique a-t-elle anticipé l’effondrement de la civilisation américaine et de l’image que l’Amérique se fait d’elle-même en tant que « société libre » ?

Pourquoi le jazz est-il mort ? Parce que les Noirs américains ont perdu tout intérêt pour leur forme d’art originale. Pourquoi s’en sont-ils désintéressés ? En grande partie parce que leur art, comme tous les autres aspects de la culture américaine, de la finance, des médias, de l’esprit et du rêve, est devenu un « territoire occupé ».

Comme d’autres artistes de jazz et humanistes, je déteste le racisme sous toutes ses formes. Pourtant, je veux voir les gens célébrer leurs signes distinctifs, symptomatiques. Je fais partie de ceux qui veulent voir les Allemands écrire de nouveau de la philosophie et composer des symphonies. Je veux voir les gens célébrer leur propre culture unique, tant qu’ils ne le font pas aux dépens des autres. Plus que toute autre chose, je veux que les Noirs soient fiers de ce qu’ils sont. Je souhaite qu’ils nous ramènent, une fois de plus, sur le chemin de la beauté qu’ils nous ont, plus que tout autre peuple, fait découvrir à tous. J’espère que l’Amérique noire nous donnera un jeune Trane, un nouveau Bird, la prochaine Sarah Vaughan, un personnage à la Miles. Je veux voir les Noirs américains nous hypnotiser avec leurs talents, célébrer leur grandeur. Je veux qu’ils soient les ambassadeurs américains qu’ils ont été autrefois plutôt que les victimes des abus de l’Amérique. Et je me dis qu’au lieu d’envoyer des soldats américains pour libérer d’autres personnes dans des guerres néo-con criminelles, le temps est venu pour l’Amérique de se libérer elle-même.

Gilad Atzmon

 

Gilad Atzmon libère le peuple américain (1986) :

Voir aussi, sur E&R :

 
 






Alerter

34 Commentaires

AVERTISSEMENT !

Eu égard au climat délétère actuel, nous ne validerons plus aucun commentaire ne respectant pas de manière stricte la charte E&R :

- Aucun message à caractère raciste ou contrevenant à la loi
- Aucun appel à la violence ou à la haine, ni d'insultes
- Commentaire rédigé en bon français et sans fautes d'orthographe

Quoi qu'il advienne, les modérateurs n'auront en aucune manière à justifier leurs décisions.

Tous les commentaires appartiennent à leurs auteurs respectifs et ne sauraient engager la responsabilité de l'association Egalité & Réconciliation ou ses représentants.

Suivre les commentaires sur cet article

Afficher les commentaires précédents
  • #2481210
    Le 10 juin 2020 à 21:33 par Elvin’s Mambo (part1)
    Je libère le peuple américain

    Je ne suis pas d’accord avec Gilad Atzmon lorsqu’il dit qu’en le jazz est mort en se réduisant à sa recette technique formelle.

    Dire cela, c’est donner carte blanche au premier ignare qui voudrait juger sans faire l’effort de comprendre. « Que de la technique sans âme... »

    Que pense-t-il de Wynton Marsalis, considéré comme un fasciste pour avoir exclu les métissages progressistes du programme dispensé dans son école afin de sauver le jazz d’une mort certaine dans les années 80 ?

    La question d’un décalage entre la technique et la valeur artistique est pertinente mais a été savamment détournée par les producteurs de pop musique et mécènes d’art contemporain : dès que l’on maîtrise une technique ignorée du grand public, ce que l’on fait est considéré comme un exercice de technicien qui n’a aucune âme et aucune valeur artistique.

    C’est cette idée qui a détruit le jazz, indiquant au public (mais aussi aux musiciens) que pour rester dans la dynamique de l’évolution, il fallait absolument s’adapter aux codes des modes populaires successives.

    Les mouvements hippie, punk, rap, etc ont chacun joué sur une appartenance idéologique affichée par un style vestimentaire, faisant chaque fois chuter le niveau musical tout en prétendant l’élever.

    La conséquence de tout cela est qu’un auditeur lambda se sent mis de côté par des musiques plus approfondies, ne peut s’y identifier par aucun code vestimentaire ou social, ni dans une complexité qu’on ne lui a pas appris à appréhender.

    (Suite...)

     

    Répondre à ce message

  • #2481211
    Le 10 juin 2020 à 21:34 par Elvin’s Mambo (part2)
    Je libère le peuple américain

    (Suite...)
    De plus, le virtuose le fait passer pour un benêt devant sa meuf, d’où l’intérêt de plutôt amener cette dernière voire un DJ que personne ne regarde et dont la prestation s’apparente à celle d’un vulgaire projectionniste. D’où le succès des rappeurs illettrés, et des « street artistes » qui donnent (à raison) aux collégiens l’impression d’en être aussi.

    Parallèlement, les festivals de jazz et récompenses académiques ont systématiquement mis à l’honneur des fusions de plus en plus fades, à tel point que le jazz semble lui même exclu de sa propre catégorie.

    Récemment, Maes au Montreux jazz festival (!)

    Le jazz n’est pas mort, d’excellents musiciens parcourent encore le monde. C’est son public qui est mort, sous les salves de propagande abrutissante.

    Un « grand remplacement » qui, ironiquement, ne date pas d’hier (en 45 le jazz avait remplacé les valses musette, comme l’accordéon avait signé l’arrêt de mort des cornemuses et autres vielles à roue à la fin du XXIe siècle...)

    J’ai 30 ans, passionné de jazz, ce qui agace tout le monde y compris les sexagénaires, qui ont grandi avec les Beatles et vomissent tout ce qui leur est antérieur.

     

    Répondre à ce message

  • #2481255
    Le 10 juin 2020 à 22:55 par spirit
    Je libère le peuple américain

    Sur les ondes en France,c’était le jazz dans les 50’s, les caves,les concerts...le bebop comme danse...grande époque sans concurrence !!

    la pop/rock/varietoche dans les 60’s (Satchmo et son "hello Dolly" qui s’est plus vendu que toute sa production précédente )
    et déjà on programmait une émission "Pour ceux qui aiment le jazz"...la réserve aborigène musicale.. !!

    Dans les 70’s..une tentative de reconquête avec le free jazz,des métissages variées avec l’Afrique, avec le rock....pas plus de succès !! Le jazz est accessoire qu’on sollicite pour d’autres morceaux musicaux..éclectisme de façade !

    Dans les 80’s...le Jazz est élitiste,on ne l’entend que comme B.O de films nostalgiques,comédies sentimentales...subventionné et bien courtisan...plus du tout révolutionnaire !

    Le jazz plaisait aux blancs mais quand ceux ci se sont tournés vers la pop,les noirs musicos ont suivis (soul,RnB,blues,funk...) et ont largués le saxophone...loi du marché...Le rap est un bidouillage de mélodies déjà éditées sans droits d’auteurs excessifs...et y’à pas besoin de savoir chanter...un genre bien écolo d’appropriation qui plait aux producteurs...enfin,là ;c’est le texte qui prime par rapport à la musique !

    On est bien content que des grands jazzmen,fuyant le maccarthysme, soient venus se réfugier en France...la société de consommation y a mis un terme plus que l’anticommunisme primaire !

    Opinion tranchée...rapide...perso....on peut toujours la critiquer..j’en suis conscient !

     

    Répondre à ce message

  • #2481418
    Le 11 juin 2020 à 10:34 par CaVaJazzer
    Je libère le peuple américain

    Commentaires intéressants. Après, Noir, Blanc, Juif (pour Gilad), le talent n’a pas de « couleur ». Mon option est toutefois le Jazz « Noir » et « Français ».
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Mario...
    Écoutez Punch en Musique et autres albums plus « pur Jazz »...

     

    Répondre à ce message

  • #2481430
    Le 11 juin 2020 à 11:07 par Geoffrey
    Je libère le peuple américain

    c’est la Belgique qui libère le peuple US, vu que le saxophone est belge

    pas de saxo’, pas de jazz...CQFD

    on dit merci qui ?

     

    Répondre à ce message

  • #2481444
    Le 11 juin 2020 à 11:40 par Jacques
    Je libère le peuple américain

    C’est un grand résistant, en plus musicien de jazz donc bien sûr de parti pris mais il ne connait rien aux USA et se contente alors d’abuser d’images d’Epinal y compris des relents racialistes.
    Par exemple le klan est issu du parti démocrate et de la FM, il est absolument indispensable de le signaler.
    Le jazz n’est pas seulement une musique "noire", le cas de Bill Evans venant immédiatement à l’esprit (Miroslav Vitouš, John Mc Laughlin etc aussi).
    Pour bien la ressentir car à l’écoute ça ressemble à du grand n’importe quoi, il faut comme ses interprètes, connaitre les vertiges de la drogue que tous consommaient abondamment tels Charlie Parker (le ’bird’), Coltrane etc etc.
    Mais ce n’est pas une arme politique. ML King ou Malcolm X n’étaient pas jazzmen.
    En plus effectivement ses adeptes se réfugient volontiers derrière la technique qui n’est qu’un moyen, un musicien classique citera l’oeuvre et l’interprétation (pas forcément dans cet ordre) car lui sait jouer.
    Le jazz actuel a tout dit et ne peut que se répéter.

     

    Répondre à ce message

  • #2481446
    Le 11 juin 2020 à 11:41 par Fab
    Je libère le peuple américain

    Des faits que des faits, expurgés de toutes opinions. Trump premier président US depuis plus d’un siècle qui n’ fait aucune guerre. Homme diabolisé par tous les médias mainstream occidentaux. Obama, homme qui a déclenché 7 guerres, fait des milliers de morts et des millions d’orphelins. Il est prix Nobel de la paix. Aujourd’hui juste dire la vérité est devenu un acte révolutionnaire.

     

    Répondre à ce message

    • #2481982
      Le Juin 2020 à 03:49 par VaeVictis80
      Je libère le peuple américain

      "Aujourd’hui juste dire la vérité est un acte révolutionnaire"
      Ça l’a toujours été !
      C’est l’omniprésence du mensonge qui donne cette impression.

       
  • #2482046
    Le 12 juin 2020 à 08:32 par 3g654g64
    Je libère le peuple américain

    >est devenu un « territoire occupé »

    O combien vrai, regardez les line ups des grands festivals de jazz, il y a de plus en plus de blancs non-chrétiens, si vous voyez ce que je veux dire... malheureusement, ils n’ont pas tous le talent de Gilad, qui par ailleurs ne singe pas les noirs, c’est tres moyen-oriental son style de jazz.

     

    Répondre à ce message

  • #2482425
    Le 12 juin 2020 à 15:54 par Kelt
    Je libère le peuple américain

    Je lis toujours Mr Atzmon avec gourmandise, son style est bon, son point de vue frais et inclassifiable, ses analyses profondes.
    En revanche je pense que lui et les gens de plus de 60 ans font ce que j’estime être une erreur, constamment, et ceci par conditionnement generationnel.
    Les noirs des années 50-60 n’étaient pas meilleurs, mais ils avaient (comme les blancs d’ailleurs) été éduqués dans une Amérique puritaine, avec des socles moraux forts, socles moraux hérités du protestantisme blanc. Cette éducation, blanche, cette discipline, leur permettait de tirer de leurs capacités innées, musicales notamment, le meilleur d’eux mêmes.
    Une fois la discipline la rigueur et l’éducation anéanties, chassez le naturel et il revient au galop.
    Ainsi de mon point de vue c’est le corset-blanc- de l’éducation, de la rigueur et de la discipline, conjuguées au segregationisme de l’époque qui les a amenés à choisir une voie d’expression au travers de contraintes importantes.
    Une fois les contraintes abolie, la nature reprend ses droits.

     

    Répondre à ce message

  • #2483264
    Le 13 juin 2020 à 19:26 par the gate of bills
    Je libère le peuple américain

    Ca serait interessant de voir ER parler de musique "de blanc" juste histoire de lire les commentaires. Il est claire que la musique "de noir" divise et apporte toujours un lot de "scientifiques" et "experts" qui ne produisent rien et qui ont une facheuse tendance a politiser, socialiser ou racialiser un domaine qui a pour principal but de divertir et reveiller les sens des gens. C’est a croire que lorsqu’ils boient, mangent ou se soulagent(ou ecoutent meme de la nusique), ils ont pour principale "idee" de sauver ou combattre je ne sais qu’elle "race", "culture" ou "ideologie". La musique tout comme n’importe quel art est subjective, il n’y a pas besoin d’y chercher ou trouver a chaque fois une soit disante moral.

     

    Répondre à ce message

Afficher les commentaires précédents