L’introduction de Laurent Guyénot
Dans cette interview, Oliver Stone et Jim DiEugenio commentent leur documentaire JFK L’Enquête sorti en 2021, 30 ans après le blockbuster de Stone avec Kevin Costner dans le rôle de Jim Garrison. E&R a déjà relayé leur documentaire sous-titré ici. Je ne peux que le conseiller à tous ceux qui s’intéressent de près à l’assassinat de Kennedy, car il apporte des éléments nouveaux, notamment sur l’autopsie de JFK. Je retiens aussi les rétractations de certains membres de la Commission Warren, comme John Sherman Cooper, Richard Russel ou Hale Boggs (disparu mystérieusement en 1972). Je note en passant qu’il ne font pas partie des 18 sur 27 membres de la Commission ayant des liens ethniques avec Israël.
Le mérite principal de ce documentaire est de convaincre toute personne de bon sens que la théorie officielle est un mensonge, ce qui est déjà pas mal.
Ceux qui en sont déjà convaincus, en revanche, ne seront pas plus éclairés sur l’identité et le mobile des assassins. Ce documentaire contribue à occulter les parts les plus importantes de la vérité, à savoir le rôle central de Lyndon Johnson, d’une part, et celui d’Israël, d’autre part. En ce sens, il ne présente au mieux qu’un petit tiers de la vérité. Il nous emmène sur le sentier battu de la recherche sur JFK.
Tous les chercheurs qui ont contribué à ce documentaire appartiennent à une même « école », et forment un cercle fermé à toute théorie alternative. On peut affirmer que leur théorie est aujourd’hui devenue mainstream. Même si, au départ, elle n’a pas été élaborée par des agents du système, elle a été entièrement absorbée par le système, dont elle constitue maintenant un élément structurel. C’est la « théorie officielle » numéro 2, destinée aux 75 % d’Américains qu’on ne peut plus convaincre de la théorie officielle numéro 1. C’est le plan B. La théorie a pignon sur rue, dans l’édition tout comme à Hollywood. Elle constitue, typiquement, l’opposition contrôlée. On peut aussi la qualifier de limited hangout. Elle fonctionne comme une nasse pour attirer les sceptiques de la thèse officielle.
Cela ne signifie pas que tous les chercheurs de cette école, comme DiEugenio (Stone ne compte pas parmi les « chercheurs »), ont conscience de participer à un mensonge. Ils ne mentent que par omission et avec bonne conscience. S’ils ont accepté de se mettre des œillères, c’est, j’imagine, avec l’intention honorable de ne pas se laisser distraire et ne pas nuire à leur importante quête de vérité en risquant de salir leur propre réputation. Inhibition cognitive. Qu’ils en ait une pleine conscience ou non, ces gens sont tenus par la peur d’être accusés d’antisémitisme, et servent les intérêts d’Israël. Leur guerre contre la CIA est chorégraphiée en coulisse, et ils ne sont sur le devant de la scène qu’aussi longtemps qu’ils se conforment au script.
Il y a des exceptions. Certains membres de cette école tentent timidement de sortir des sentiers battus. Jefferson Morley, par exemple, qui apparaît dans le documentaire, a publié un livre remarquable sur la proximité d’Angleton avec le Mossad, et de cette manière il a enrichi considérablement le dossier Kennedy, sans faire explicitement le lien. Peter Janney, un temps bien reçu par cette communauté pour son livre à succès Mary’s Mosaic, a décidé de soutenir mon livre (sur Amazon et auprès de ses contacts), et donc indirectement celui de Michael Collins Piper, ce qui n’a pas tardé à lui fermer des portes. Un autre exemple est Monika Wiesak, avec qui j’ai communiqué, et qui, tout en adhérant à la thèse Israël, choisit de rester discrète sur le sujet dans son magnifique livre America’s Last President, pour ne pas être éjectée trop vite.
À l’autre bout du spectre, certains chercheurs de l’école dominante sont consciemment engagés dans l’obstruction à la vérité : ils s’occupent de maintenir le consensus, d’isoler les chercheurs qui farfouillent là où il ne faut pas, et de faire comprendre à tous les limites acceptables. Ces personnes sont les plus actives, les mieux organisées, et détiennent les moyens financiers. Ce sont les gatekeepers.
Je ne me prononcerai pas sur Jim DiEugenio, mais je remarque que son site www.kennedysandking.com filtre tout ce qui concerne Johnson ou Israël.
Un exemple évident de gatekeeper est Cyril Wecht, l’un des intervenants qui apparaît le plus souvent dans le documentaire de Stone et DiEugenio (11:30, 15:10, 36:40, 44:04, 1:02:45). Wecht est le président de l’association Citizens Against Political Assassination (CAPA), qui organise chaque année autour du 22 novembre une conférence à Dallas. Il y a, dans le slogan de cette conférence, The Continuing Search for Truth, une nuance orwellienne qui rappelle l’usage du mot truth par Arlen « Magic Bullet » Specter dans le titre de son autobiographie, Passion for Truth. Il se trouve d’ailleurs que Cyril Wecht, tout en contestant vigoureusement la balle magique, a soutenu Arlen Specter pour son élection au Sénat américain en 2004 [1]. Ce n’est pas l’unique cas d’un militant pour la demi-vérité travaillant main dans la main avec un militant pour le mensonge complet. Vous avez également Mark Lane, le premier critique du rapport Warren (Rush to Judgment, 1966), travaillant pour Gerald Posner, le dernier apologiste du même rapport (Case Closed, 1993) [2].
L’interview ici présentée est intéressante parce qu’elle fait apparaître les non-dits et les contradictions de la thèse défendue par Stone et DiEugenio. J’attire votre attention sur trois passages :
• À 34 minutes 20, en lien avec la détermination de Kennedy de dénucléariser l’arsenal mondial, Stone évoque spontanément l’opposition de Kennedy au projet d’Israël de se doter de la bombe (sujet qui n’est pas abordé dans le documentaire). Malaise. Éloïse Boies s’empresse de changer de sujet : « Parlons plutôt de… ». Mais la preuve est là que Stone connaît le sujet. Le lien entre la lutte de Kennedy contre la prolifération nucléaire et son bras de fer avec Ben Gourion sur Dimona est en fait si évident, si logique, si naturel, que parler de l’un sans l’autre est, en soit, une preuve de malhonnêteté intellectuelle. C’est pourtant ce qu’avait fait James Douglass dans son best-seller JFK and the Unspeakable, sur lequel Stone et DiEugenio se sont appuyés. Stone a fait spontanément le lien dans cette interview, mais pas dans son film. C’est en soi révélateur.
• À partir de 40 minutes 30, il est question de Johnson, et là apparaît l’autre lacune béante de la théorie CIA-Pentagone. Stone et DiEugenio reprennent la thèse selon laquelle ce bon Johnson n’avait rien à voir avec l’assassinat et « a cru à l’histoire de la CIA ». On sent bien, dans certaines hésitations, qu’ils ont un peu de mal à croire Johnson aussi stupide. Ils contredisent d’ailleurs eux-mêmes leur propre thèse en rappelant que Hoover informa Johnson directement que la visite d’Oswald à Mexico était bidon.
• Troisième moment clé de l’interview : à partir de 50 minutes 27, Éloïse lance la question « Qui et pourquoi ? » avant d’hésiter en voyant une certaine gène : « Avons-nous le droit d’aborder ça ? » Réponse de Stone, péremptoire : c’est Allen Dulles ! Et aussi Curtis LeMay (trahi par son cigare). On sent du mou dans le scénario. Il faut autre chose : oui, il y a quelqu’un au-dessus de Dulles et LeMay. Suspens. « Je ne veux pas donner de nom », dit Stone, avant de lancer celui de … (roulement de tambour) : David Rockefeller ! Finalement, les réponses aux questions « qui » et « pourquoi » sont : 1/ les gens qui ont beaucoup d’argent, et 2/ pour faire encore plus d’argent en faisant la guerre. Éloïse a tout compris : It’s all about money !
Je n’ai pas besoin d’insister, pour les lecteurs d’E&R, sur la pauvreté de ce discours, qui résume la faillite de ce milieu de chercheurs. Ayant montré un certain courage il y a trente ans, ils vivent maintenant de leur fonds de commerce, qu’il protègent contre toute concurrence comme de bons bourgeois. Cooptés par le Système, ils forment, maintenant, le meilleur rempart contre la vérité.
Mais les voies de la vérité sont mystérieuses – et « la Vérité est Dieu », selon Gandhi. Des hommes courageux lui frayent un chemin. Karl Golovin a essayé de me faire inviter à la conférence du CAPA à Dallas. Wecht l’a refoulé en lui disant que mon livre était « antisémite ». Karl s’est pointé à la conférence avec une pancarte et une centaine d’exemplaires de mon livre. Il m’a envoyé cette photo du grassy knoll sur Dealey Plaza.
L’interview d’Oliver Stone et Jim DiEugenio par Éloïse Boies
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