Arthur Sapaudia pour E&R : Laurent Guyénot, six ans après votre livre JFK-11 Septembre, vous venez de sortir un nouvel ouvrage aux éditions Kontre Kulture, intitulé Qui a maudit les Kennedy ?. D’où vous vient cette fascination pour les Kennedy ?
Laurent Guyénot : Cette histoire ne veut pas me lâcher. Quand je crois en avoir fait le tour, elle me rattrape ; je découvre toujours de nouvelles pistes et de nouvelles dimensions.
Il est facile d’être blasé sur l’histoire des Kennedy, mais si l’on y réfléchit un peu, elle reste extraordinaire à bien des égards. Considérons par exemple que l’assassinat du président Kennedy est le premier assassinat de l’histoire humaine à avoir été filmé. Grâce au film d’Abraham Zapruder, l’élimination de JFK par une balle dans la tête est sans aucun doute l’événement historique le plus visionné dans le monde. Cela lui confère un caractère intemporel, inoubliable, ineffaçable. Et c’est aussi une signature, un message qui sent la Bible hébraïque : « Regardez ce que nous faisons à votre roi, devant vos yeux, et vous ne pouvez rien contre nous ! » Il y a beaucoup à dire sur le film de Zapruder. On s’est trop peu étonné, par exemple, que la caméra ne trahit aucune secousse, même lorsque les balles se mettent à siffler depuis le Grassy Knoll, quelques mètres derrière Zapruder. Quel sang froid !
On ne pouvait le deviner à l’époque, mais la mort de Kennedy marque un tournant majeur et radical dans l’histoire des États-Unis et du monde. Autant Kennedy incarnait ce que l’Amérique pouvait donner de meilleur, autant son assassin et successeur, Lyndon Johnson, a été en tant que président l’incarnation du pire.
En raison de son poids symbolique, la personnalité du chef d’une nation a un effet profond, puissant et durable sur la psyché collective. Le chef, c’est la tête. Johnson est le président qui a entraîné les Américains dans la monstrueuse Guerre du Vietnam. Sous Johnson, une grande partie de la jeunesse américaine a sombré dans la drogue – et l’on sait que l’héroïne est venue directement du Vietnam, avec l’aide de la CIA.
L’Amérique souffre d’un stress post-traumatique depuis le 22 novembre 1963, et le mensonge officiel qui perdure sur ce crime est comme un terrible secret de famille qui continue de ronger l’esprit des générations suivantes.
Ce qui donne à l’assassinat de John Kennedy une dimension incomparable, c’est aussi le fait qu’il soit suivi, cinq ans plus tard, sous la présidence de Johnson, de l’assassinat de son frère Bobby. Cet assassinat est lui-même entouré d’un mystère abyssal, diabolique si l’on songe à la nature terrifiante des expériences de type MK-Ultra que laisse deviner l’amnésie de Sirhan.
Le titre de votre livre fait référence à la malédiction des Kennedy. Comment comprenez-vous cette notion ?
L’idée d’une malédiction des Kennedy est un enfumage. Mais j’ai voulu lui faire révéler ce qu’elle cherche à occulter. La malédiction des Kennedy évoque une sorte de super-pouvoir qu’aime à s’attribuer la communauté du peuple élu. L’idée que le Bon Dieu puisse maudire quiconque est étrangère à la pensée chrétienne traditionnelle, mais elle est courante dans l’Ancien Testament, et c’est pourquoi elle est très révélatrice de la haine profonde des Kennedy dans certains milieux juifs.
La connotation magique de la malédiction invite aussi à méditer sur la dimension métaphysique de l’histoire des Kennedy. Si l’on a l’esprit porté à ce genre de considérations, on peut voir dans ces événements tragiques le reflet d’un combat entre des forces spirituelles se disputant le destin de l’humanité.
Je suis en tout cas frappé par la puissance mythique de cette histoire : elle a une grande capacité d’éveiller les esprits, et je suis convaincu qu’un jour, la vérité sur les Kennedy deviendra l’un des mythes fondateurs d’une nouvelle civilisation. C’est un peu ce qui me motive : il ne faut pas que cette vérité meure.
Par ce livre, je lutte en fait contre la malédiction des Kennedy, parce que cette malédiction cherche à assassiner la mémoire des Kennedy, après avoir assassiné leur personne. Il y a une véritable industrie de la médisance contre les Kennedy.
Les médisants s’en prennent tout particulièrement au père de John et Robert, Joseph Patrick Kennedy, dit Joe. Le thème de la « malédiction des Kennedy » est toujours implicitement lié à celui des péchés supposés du père. Et c’est un fait qu’on ne peut comprendre les fils Kennedy sans comprendre le père. C’est un thème central de mon livre.
Peu de gens le savent aujourd’hui, mais Joe Kennedy était une personnalité publique de premier plan, pressentie même comme candidat présidentiel en 1940. À partir de 1938, en tant qu’ambassadeur américain à Londres, il s’est dépensé sans compter pour éviter la guerre en Europe, d’abord, puis l’intervention des États-Unis, ensuite. On peut dire qu’il a échoué, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé jusqu’au bout. Lorsqu’il est retourné aux États-Unis fin octobre 1940, il envisageait sérieusement de dévoiler publiquement les manigances secrètes de Roosevelt avec Churchill et de « donner vingt-cinq millions d’électeurs catholiques à Wendell Willkie [le candidat républicain] », comme il l’écrivit à son amie Clare Booth Luce. Roosevelt, très inquiet, l’enjoignit à ne faire aucune déclaration avant de s’être entretenu avec lui à la Maison-Blanche. Rien n’a filtré de la teneur de leur entrevue, mais le lendemain, Kennedy déclarait publiquement son soutien à Roosevelt, tout en affirmant sa conviction que les États-Unis ne devaient pas entrer dans la guerre. Beaucoup ont supposé que Kennedy avait obtenu en échange de son soutien une faveur pour son fils aîné (qui mourra peu après dans la guerre), mais rien n’étaye cette hypothèse. Ce que Kennedy exigea de Roosevelt en échange de son soutien, ce fut une promesse formelle et publique aux Américains que « vos garçons ne seront pas envoyés dans des guerres à l’étranger », ce que fit Roosevelt avec Kennedy à ses côtés, une semaine avant les élections. On peut donc voir le conflit entre Roosevelt et Joe Kennedy comme la personnification du dilemme civilisationnel où se trouvaient les États-Unis dans cette période.
Roosevelt parviendra à faire entrer son pays dans la guerre par le Pacifique, et laissera en héritage un monde largement gouverné par ce qu’Eisenhower appellera le complexe militaro-industriel, qui s’efforce depuis de maintenir le monde dans une guerre permanente (tout comme aujourd’hui le complexe pharmaco-industriel, sur le même modèle, cherche à plonger le monde dans un état de pandémie permanente).
D’une certaine manière, les Kennedy sont les éternels losers de l’histoire. C’est ce qui leur donne une dimension christique. Je sais qu’attacher ce terme aux Kennedy peut choquer les chrétiens. Mais je l’emploie parce que je considère que le schéma mythologique du Christ est l’un des plus puissant qui ait jamais inspiré une civilisation. La dimension christique des Kennedy vient du fait qu’ils ont été assassinés par les mêmes forces diaboliques qui ont conspiré contre le Christ, et aussi du fait que, d’une certaine manière, la mort les a transfigurés.
Les Kennedy, en fait, ne cessent de ressusciter. Il était déjà presque miraculeux que, bien que se retrouvant du mauvais côté de l’histoire, Joe Kennedy ait réussi à passer le flambeau à ses fils. J’insiste dans mon livre sur la filiation idéologique entre Joe Kennedy et son fils John. La présidence de JFK est dominée par son effort pour mettre en application le dégoût qu’inspirait à son père la guerre moderne. Les Kennedy sont, de père en fils, des artisans de paix.
Et selon mon analyse, l’assassinat de John visait directement son père. C’est ce que suggère de façon subliminale le thème cryptique de la malédiction des Kennedy, et c’est aussi ce que symbolise très clairement « l’homme au parapluie » posté à l’endroit précis où John fut abattu.
Selon vous, John et Robert ont-ils laissé des descendants dignes d’eux ?
Je le crois, oui. Il y a d’abord John Junior, le fils de John, auquel je consacre un chapitre. De même que l’histoire de JFK se rattache en amont par son père au tournant de la Seconde Guerre mondiale, elle se prolonge par son fils, au seuil du XXIe siècle. Il apparaît très probable que John Junior a été assassiné. Il s’apprêtait, en 1999, à entrer en politique, et son potentiel de sympathie était immense. Il était hanté par la quête de la vérité sur la mort de son père. On peut donc légitimement supposer qu’il a été éliminé pour les mêmes raisons que son oncle : sa volonté de rouvrir l’enquête sur le crime du siècle. On ne peut s’empêcher également de penser que, s’il avait vécu, il aurait pu devenir un leader charismatique et influent du mouvement pour la vérité sur le 11 Septembre, car il avait lancé un magazine très remarqué pour ses dossiers complotistes.
Tout récemment, c’est le fils de Bobby, Robert Junior, qui fait honneur au nom de son père et de son oncle, par son combat contre l’ignoble tyrannie vaccinale. Le livre qu’il vient de publier, que j’ai commenté récemment sur E&R [1], est bouleversant à la fois par sa profondeur historique et par le courage de ses positions, et il rencontre un immense succès, alors qu’il est boycotté par la presse mainstream.
Il est certain que Robert Kennedy Junior est en quelque sorte porté par son nom de famille, tout comme l’était son cousin John Kennedy Junior. Les mots ont un pouvoir symbolique, et il y a de la magie dans le nom des Kennedy. Au-delà des limites de leurs personnalités, certains Kennedy prennent leur nom très au sérieux, comme une responsabilité historique qu’ils n’ont pas demandée mais qu’ils doivent assumer de leur mieux. Leur nom leur confère, dans la perception populaire, une sorte d’aura ou d’onction surnaturelle. N’oublions pas que les Kennedy sont la seule famille américaine à laquelle on applique communément le titre de royauté.
Est-ce que vous n’idéalisez pas un peu trop les Kennedy ?
J’idéalise parce que je suis un idéaliste, au sens philosophique (platonicien) du terme : je crois que la Pensée prime sur la Matière, et je crois que les Idées mènent le monde. De ce point de vue, les Kennedy sont importants non pas tant pour ce qu’ils sont à titre individuel, mais pour ce qu’ils incarnent de façon archétypale.
Cela dit, je crois, sur la base de tout ce que j’ai lu sur lui, et après avoir fait le tri entre les ragots malveillants et les témoignages authentiques, que John Kennedy était, bien avant de devenir président, un personnage hors du commun, une grande âme, forgée par la proximité de la mort à plusieurs reprises, et grandie encore par ses responsabilités. Devenu président par piété filiale plus que par ambition personnelle, il a été, à mon avis, pendant ses mille jours à la Maison-Blanche, le plus grand président des États-Unis. Et il restera le plus aimé. Hanté par la menace d’une nouvelle guerre mondiale, il écrivit sur un bout de papier, retrouvé par sa secrétaire :
« Je crois qu’il y a un Dieu, et je vois une tempête venir : s’il a une rôle pour moi, je crois que je suis prêt. »
Au-delà des individus, c’est aussi le clan Kennedy qui me fascine, en tant qu’objet anthropologique. Il y a quelque chose d’assez unique dans cette famille nombreuse d’ascendance irlandaise et catholique. Quelque chose que je vois comme un modèle.
L’ambition de Joe Kennedy n’a jamais été personnelle, elle a toujours été familiale, et même transgénérationnelle, dynastique. On désigne souvent Joe comme « le patriarche » et ce terme s’applique parfaitement, si l’on oublie la connotation austère qu’il a prise aujourd’hui. La famille Kennedy était patriarcale, au meilleur sens du terme, et l’on voit la qualité d’homme que cela a donné. Ma conviction est que le patriarcat bien compris est la structure organique de base d’une civilisation saine et vigoureuse. C’est aussi à ce titre que les Kennedy sont, à mes yeux, un exemple digne d’attention.