L’analyse des formes économiques qui commencent à se coaguler en Russie depuis 2000 suggère le retour à un modèle de développement où le poids de l’État sera particulièrement important, que ce soit sous des formes directes ou indirectes.
Dans le même temps, ces formes économiques ne sont pas sans rappeler celles que l’on trouvait dans le modèle de développement russe des années 1880-1914. Ceci est particulièrement sensible dans le domaine bancaire, mais concerne aussi la très forte collusion entre de grands groupes industriels et le pouvoir politique.
Si la ressemblance entre la Russie tsariste une fois cette dernière engagée dans un projet d’industrialisation rapide et la Russie actuelle est frappante, ceci ne signifie pas que la période soviétique n’ait été qu’une parenthèse. En fait, les parentés entre les politiques des années 1880-1914 et les politiques soviétiques sont nombreuses.
La question de la permanence intertemporelle de schémas de développement ne va pas sans soulever des interrogations théoriques essentielles pour l’économie et les sciences sociales. Sommes nous en présence d’un « effet de sentier » particulièrement puissant, ou devons nous analyser cette permanence comme une apparence, les acteurs du présent ré-utilisant à d’autres fins des moules institutionnels passés.
La persistance de certaines formes institutionnelles dans des modèles de développement étalés sur près de 120 ans traduit-elle la pertinence de ces formes par rapport aux problèmes du développement ou au contraire la persistance d’habitudes passées, que l’on aura alors tendance à qualifier d’archaïsmes ? Les questions sont donc nombreuses. Certaines ont trait à la permanence de représentations, d’institutions, de pratiques comme de formes sociales. Traduisent-elles une pathologie, au sens durkheimien du terme, ou au contraire doivent-elles être pensées comme des nécessités fonctionnelles à l’émergence de formes nouvelles ?
Ce qui est sous-jacent à cette interrogation c’est la pertinence même du couple moderne/archaïsme qui n’est pas seulement un outil dont on use et abuse, mais aussi une redoutable source de jugements normatifs et d’épithètes péjoratives. Il n’est guère de débats politiques et sociaux où l’on ne cherche à coller le qualificatif d’archaïque à son adversaire. Mais ceci se fait sans que l’on se soit réellement interrogé sur la pertinence du concept.