Le dernier parti réellement trotskiste, au sens où sa référence reste toujours le Programme de transition rédigé par Léon Trotsky en 1938, et qui se définit d’abord par son appartenance à la IVe Internationale, re-proclamée par eux en 1993, est au bord de la scission.
L’affaire paraît sérieuse. Leur site Internet est laissé en friche depuis des mois, et les éditos de Daniel Gluckstein (ci-contre, dirigeant qui a succédé à Pierre Boussel, dit Lambert) ont disparu depuis le 1er juillet de l’hebdomadaire Informations ouvrières (IO).
En Vérité cette crise est à l’origine celle du CCI, c’est à dire le Courant communiste internationaliste, section française de la IVe Internationale, courant qui vertèbre le POI, lui fournissant moult cadres et l’essentiel de son corpus doctrinaire.
Depuis l’annonce de cette disputatio scolastique trotskiste on a pu lire des tombereaux d’injures de la part de l’« extrême gauche ». La haine à l’encontre du trotskisme dit lambertiste est vivace à la gauche de la gauche.
(La rédaction E&Ro-stalinienne n’est pas en reste à cet égard.
Tout de même, un peu de suite esthétique dans les schémas mentaux, à défaut de cohérence intellectuelle, aurait dû laisser apercevoir une plus grande similitude de type entre eux et nous, qu’entre eux et les NPA.
On avait même pu voir, au tout début de la création d’E&R, quelques ex-lambertistes nous rejoindre, pas pour longtemps il est vrai. Mais l’idée de passer du NPA à chez nous est une impossibilité ontologique. On peut changer d’opinions, mais pas changer d’être.)
Le NPA ne se réclame absolument plus du trotskisme, il y a belle lurette que le portrait du « Vieux » a été remisé au rayon des antiquités avec les autres dead white European males, et que la doctrine a été jetée aux orties. Cependant que le CCI du POI en fait toujours son credo.
En outre le NPA a soutenu l’intervention en Libye, les groupes islamistes radicaux contre Assad en Syrie, le coup d’État nazi en Ukraine, comme hier il soutenait l’UCK mafieuse du Kosovo. Contrairement à une idée reçue il ne milite pas pour la rupture avec l’Union européenne, mais pour sa « réorientation sociale ».
Au POI c’est le contraire
Un petit peu d’histoire trotskiste
On pense habituellement que l’histoire du mouvement trotskiste est impossible à suivre, tellement les scissions et les scissions de scissions forment un réseau inextricable de chapelles et de sectes plus souterraines les unes que les autres.
Comme au IIe siècle après NS Jésus-Christ la multiplication des sectes dites gnostiques rendait, dit-on, la compréhension du gnosticisme impossible.
Mais en vérité, pour sortir de ce labyrinthe vers un peu clarté, il suffit de saisir le fil conducteur, celui qui part de Trotsky et de fondation de la IVe Internationale.
Trotsky avait pronostiqué qu’au sortir de la Deuxième Boucherie, la vague révolutionnaire renverserait la dictature stalinienne. Or, au contraire, cette dernière sortira renforcée de l’après-guerre.
Ainsi, au début des années 50, les dirigeants Michel Pablo, Livio Maïtan et Ernest Mandel vont initier une ligne liquidatrice qui reconnaissait un rôle progressiste au stalinisme, car ce dernier « construit le socialisme à sa manière », une manière plus lente et plus bureaucratique, mais sûre, « pendant des siècles de transition ».
Bluffés par les riantes « réalisations » du socialisme policier derrière le Rideau de Fer, cette tendance prônait la dissolution des petites sections trotskistes et l’entrisme dans les Partis communistes, afin de pousser ces derniers à aller le plus à gauche possible. Une politique de roquet.
En 1951 le congrès mondial de la IVe Internationale avalise cette révision déchirante du programme, et transforme l’Internationale en un Secrétariat unifié (SU), sorte de club de rencontre pour trotskistes stalinisés qui se retrouveraient à date fixe pour causer de l’état d’avancement du Camp socialiste, transitoirement bureaucratisé, vers des lendemains qui chantent.
En théorie, le SU remplaçait la lutte des classes par la lutte des camps : le camp socialiste contre le camp capitaliste. Un trotskisme de Guerre froide.
Cette tendance obtint la majorité, sauf dans la section française, le Parti communiste internationaliste, dirigé par Pierre Lambert.
D’où l’appellation contrôlée de pablisme pour les uns, et de lambertisme pour les autres.
La puissante (relativement aux effectifs du trotskisme), section américaine, le Socialist Worker Party [SWP], sous l’impulsion de James Cannon, fidèle entre les fidèles et ami de Trotsky, entrera aussi en guerre ouverte contre Pablo.
- James P. Cannon
James Cannon diffusera une Lettre aux trotskistes du monde entier pour dénoncer le pablisme, et réaffirmera la validité de la doctrine traditionnelle, à savoir le caractère intrinsèquement contre-révolutionnaire du stalinisme, et la nécessité de bâtir des partis révolutionnaires en dehors des PC officiels.
Sur cette base intangible, la majorité de la section française (PCI) et le SWP américain, constituèrent ensemble en 1953 le comité pour la reconstruction de la IVe Internationale (CORQI).
Et ce n’est qu’en 1968, sous l’impulsion de la révolte de la jeunesse contre la guerre du Vietnam et de la révolte anti-bureaucratique à Prague, que le courant pabliste français quittera le PCF, pour fonder la JCR, la jeunesse communiste révolutionnaire, qui deviendra avec la candidature d’Alain Krivine, la Ligue communiste.
Quant au courant lambertiste, il démarre, nous l’avons vu, du Parti communiste internationaliste en 1950 pour aboutir à l’actuel CCI du POI, en passant par l’AJS, l’OCI, le Parti des travailleurs.
Donc, on peut être légitimement fondé à dire que le trotskisme véritable c’est le lambertisme, quelles que soient par ailleurs ses spécificités, et son style très particulier.
Si l’on compare, comme cela a été fait le mouvement communiste à l’histoire du christianisme, et les vicissitudes de la doctrine, si le stalinisme correspond à l’Eglise Officielle, les lambertistes sont en quelque sorte des traditionalistes, et les pablistes des ultra-modernistes.
Quant à la secte Lutte ouvrière, dans cette analogie avec la doctrine catholique, ils seraient les Témoins de Jéhovah du trotskisme.
Les renégats caustiques
Petite parenthèse à propos du Mélenchon, du Jospin et du Cambadélis.
Si l’on en croit la rumeur ils seraient toujours des lambertistes impénitents et agissants dans les institutions.
Au lieu qu’en réalité ces gens-là, du moins les deux derniers, furent des taupes mitterrandiennes dans le lambertisme, des renégats qui préférèrent rejoindre le PS, avec ses perspectives de carrière plus roses, et ses militantes tout aussi roses et plus alléchantes.
Dire Jospin ou Cambadélis trotskistes, c’est complètement crétin. Un parricide aussi porte le nom de son père, mais ce dernier n’est pas responsable de son assassinat.
Qui ne voit, d’ailleurs, que cette manière de voir les choses n’est pas à la gloire des lambertistes, qui passent leur temps à se faire arnaquer.
Et plutôt que de se représenter feu Lambert en train de tirer toutes les ficelles en coulisse, on ferait mieux de réaliser à quel point c’est lui qui s’est fait rouler par un Mitterrand bien plus retors que lui.
Il reste que l’on peut s’interroger sur la raison obscure pour laquelle Cambadélis, ce fils de diamantaire, ce bourgeois a toujours été favorisé par Lambert ?
Mystère et Boussel Lambert. Mystère des généalogies.
Il est vrai que Lénine lui même a favorisé la montée en puissance de Staline, le fossoyeur de son œuvre. Ce doit être dans les gènes du bolchevisme.
Thierry Meyssan :
« En 1989, l’ancien chef du Renseignement états-unien en Europe, Irwing Brown, révélait aux journalistes Roger Faligot et Rémi Kauffer avoir recruté Jean-Christophe Cambadélis lorsqu’il militait chez les trotskistes lambertistes. 25 ans plus tard, M. Cambadélis est devenu Premier secrétaire du Parti socialiste français. »
Les deux factions en présence
Pour en revenir à l’actualité qui nous occupe ici, savoir la fracture du POI, on notera qu’elle a des similitudes avec la crise historique des années 50 en ceci que c’est finalement toujours la querelle des anciens et des modernes.
Ce qui se passe au POI est une normalisation, une liquidation de sa vieille garde, « de la majorité des dirigeants [qui] sont de vieux permanents, une quarantaine en tout, par ailleurs essentiellement des hommes bien virilistes [SIC] » comme l’exprime Nina Pradier du féministe NPA pour s’en féliciter.
Daniel Gluckstein a été suspendu pour crime de lèse-monolithisme parce qu’il a créé une tendance non statutairement prévue hors congrès, bien que signée par plus de 600 membres du CCI, et parmi les plus chevronnés.
La tendance s’ intitule « Revenir à une politique de construction de parti ». Tout le programme est dans le titre. S’il faut revenir à une politique de construction du parti c’est donc qu’elle avait été abandonnée.
Et dans le POI cette tendance a été approuvée par les deux autres secrétaires nationaux, Jean Markun (dirigeant de la CGT) et Gérard Schivardi, maire de Mailhac et ancien candidat à la présidentielle de 2007.
Pour les contrer, Marc Gauquelin, un autre dirigeant historique du Courant communiste internationaliste et rédacteur d’IO, lors du bureau national du POI du 4 juillet a mis sur pied une structure ad hoc : le « secrétariat permanent », qui remplace pour le moment l’ex-direction nationale Gluckstein-Markun-Shivardi.
Où va le POI ? Inéluctablement vers la scission.
Notre thèse étant :
1. Que cette crise provient de la pression du milieu sur les militants du POI
2. Que cette pression est la conséquence de la ligne du Front unique et d’ouverture au Parti de gauche.
3. Et plus fondamentalement du basculement de la situation politique après les tueries de Charlie Hebdo.
affaire à suivre