Egalité et Réconciliation
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Courrier des lecteurs

Les salauds sont les mêmes partout…

Lettre d’un soldat allemand fait prisonnier à l’âge de 18 ans près de Langres en 1944.

Reinhart Mülhause
Frankfurt/Main
30. Januar 1999

Je vous envoie ci-joint copie de ma lettre parue dans « Figaro-Magazine ». Contrairement à ce que vous pensiez, cette version n’a pas du tout été édulcorée, les choses se sont vraiment passées comme je les ai racontées, à une seule exception près : lors d’une visite de reconnaissance faite il y a trois ans, j’ai constaté que la scène décrite ne s’est pas passée à Montigny-le-Roi mais dans un petit village à quelques kilomètres de là, probablement Avrécourt. Je vais donc enchaîner immédiatement après ce que j’avais écrit au Figaro.

Nous avons été menés, mon camarade et moi, en Jeep, jusqu’à l’entrée de Montigny ; de là, à pied jusqu’au centre-ville, à travers une population en délire, conduits ou plutôt protégés par deux FFI dont je ne peux dire que du bien. Arrivés devant la mairie, on nous a placés au pied d’un grand mur, mains levées. L’un des FFI s’est placé à environ dix mètres de nous, mitraillette levée. Il y a eu brusquement un silence total qui a duré je ne sais pas combien de minutes, puis le jeune FFI a baissé son arme et nous a fait signe d’avancer ; il nous a conduits dans une sorte de cellule de prison qui faisait partie de la mairie. Alors les hurlements et les cris de haine ont repris de plus belle dehors (je ne vous ai pas parlé des coups, des crachats, des insultes que nous avions subis pendant le trajet à pied). Dans notre cellule j’ai demandé au jeune FFI (22 ans, comme il me l’a dit, moi j’en avais 18), si nous serions fusillés demain comme la foule le criait. Il m’a répondu : « Non, nous sommes soldats comme vous et vous êtes prisonniers de guerre, je devais donner ce spectacle (cette exécution simulée) à la population pour la calmer. Ici, vous êtes en sécurité. Il n’y a qu’une seule clé de votre cellule, et moi je la garderai dans ma poche. » Il nous a apporté de l’eau et un peu de pain. Le soir, on a dû distribuer du vin à en juger d’après la nature des cris proférés pendant presque toute la nuit.

Le lendemain matin, on nous a conduits dans une sorte de cage où la commune rangeait le corbillard et quelques voitures. Là nous avons trouvé environ une douzaine d’autres soldats allemands qu’on a dû ramasser pendant la nuit. Par terre, on avait mis un peu de paille. On nous donnait aussi à manger. En contrepartie, les FFI qui étaient là en grand nombre maintenant nous ont pris nos bottes, et nous recevions des sabots en bois. (Cet amour pour la « botte allemande » m’a vraiment surpris !). Pendant les quelques jours de notre séjour à Montigny, nous faisions de petits travaux, nettoyage des rues, etc. La population se montrait beaucoup moins hostile maintenant. Au bout de quelques jours donc, on nous a transportés à Langres, au couvent des Ursulines, transformé en camp de prisonniers. D’abord enfermés à 25 dans une petite salle vide du dernier étage, nous restions trois jours sans nourriture et… sans cabinets ; comme nous avions accès à une petite mansarde, c’est là que nous faisions nos besoins. Les gardiens qui sont venus nous chercher pour nous mettre dans un autre bâtiment ont, bien sûr découvert ce qu’il y avait dans cette mansarde. Alors il y a eu une scène digne d’un « gag » de cinéma.

Les gardiens nous forcent à ramasser les excréments à mains nus, à descendre dans la cour, à marcher en bon ordre militaire en chantant des chants militaires allemands, toujours les étrons dans les mains, pendant une bonne demi-heure. Cela ne faisait pas mal, mais c’était un premier exemple des humiliations que nous devions subir par la suite. Les gardiens – peu de Français mais beaucoup de Vietnamiens – étaient très inventifs pour toutes sortes de brimades. Un exemple : nous faire ramper dans la cour, de préférence à travers les flaques d’eau sale, en se plaçant sur le dos du PG (ndrl : prisonnier de guerre), en le frappant si cela n’allait pas assez vite. La nuit, les gardiens qui étaient de faction dans la cour s’amusaient à tirer dans nos fenêtres. Chaque nuit, il y avait des blessés. Et chaque matin – nous étions plus de 700 dans ce camp – il y en avait quelques-uns qui ne se réveillaient plus. La nourriture absolument insuffisante et la diarrhée avaient bientôt épuisé nos forces. Pour cette raison nous étions contents de pouvoir sortir en petits groupes – bien gardés naturellement – pour faire toutes sortes de travaux dans la ville, toujours avec l’espoir de rencontrer une âme charitable qui nous donnait un petit bout de pain ; il faut dire que la population n’était pas hostile à notre égard, plutôt compatissante, car on savait en ville ce qui se passait dans notre camp.

Fin novembre ou début décembre, j’ai été envoyé, avec une trentaine de camarades, à Arc-en-Barrois, faire le bûcheron. Bien sûr, la plupart d’entre nous n’avaient jamais touché à une hache… On nous a logés dans la mansarde (environ 40m2) d’une grande villa. Il y avait des lits à deux étages, des paillasses, une table et un petit fourneau. Nourriture : 1 litre de soupe par jour (des pommes de terre, des carottes, beaucoup d’eau, ni sel ni matière grasse) ; avec cela 200 grammes de pain, voilà ! – Les latrines dehors (parfois il faisait -15 degrés !) ; pour nous laver, un seul robinet placé également dehors et gelé la plupart du temps. Nous étions très vite encrassés et plein de poux qui nous suçaient le peu de sang qui nous restait. Mal vêtus (treillis, chemise, sabots) pour résister au froid, affamés et apeurés ( les gardiens avaient pour habitude de nous piquer dans les fesses avec la baïonnette qu’ils avaient toujours à leurs fusils si nous ne marchions pas assez vite dans la neige qui collait à nos sabots ). Un jour, un camarade (un sous officier) qui avait reçu ce genre d’« encouragement » s’est retourné vers le gardien et lui a lancé un des rares mots de français qu’il avait appris : « salaud ». Alors ce gardien l’a sorti du groupe et l’a chassé à coup de baïonnette jusqu’à notre lieu de travail. Arrivé là, il lui a commandé d’aller chercher une grosse branche morte qui se trouvait à une vingtaine de mètres de la lisière ; or nous savions tous qu’il nous était interdit d’aller à plus de dix mètres. Le camarade a dit qu’il n’avait pas le droit d’aller aussi loin, mais le gardien a insisté : c’est un ordre ! Et quand le camarade est arrivé près de cette branche, le gardien a tranquillement levé son fusil et a tiré deux fois. Pendant que notre camarade s’écroulait, le gardien a brandi son fusil en l’air, en criant d’une voix joyeuse : « Kaputt, kaputt ! ». Nous avons fait une civière pour transporter le camarade mort au camp. Je ne sais pas où il a été enterré. Ce gardien s’appelait Vilmot (ou Villemot ? orthographe non garantie). Quelques semaines après il nous a montré fièrement une décoration, une petite médaille qu’il avait reçue… En fin de compte, Arc-en-Barrois était pire que Langres.

Sur ces entrefaites, j’étais arrivé à un tel état d’épuisement que je ne pouvais plus me tenir debout. Le médecin français qui passait une fois par semaine, a déclaré que j’étais incapable de travailler. Alors on m’a renvoyé au camp de Langres avec quelques autres aussi mal en point que moi. À Langres, le commandant (allemand) du camp m’a dit à peu près ceci : « Tu es incapable de travailler. Si tu restes au camp, tu crèveras dans les quinze jours. Si tu acceptes de travailler, je t’enverrai à la gare de Langres, travailler à la cuisine des Américains. » Bien sûr j’ai accepté de suite. Et à ce commando, j’ai eu le temps de me requinquer en quelques semaines. En avril 45, j’étais assez « retapé » pour pouvoir travailler dehors. C’est à ce moment que Roger, un cultivateur de Silvarouvres (Hte Marnes) est venu me chercher avec 5 autres camarades pour travailler dans l’agriculture dans ce petit village.

Et c’est ce Roger – il vient de décéder il y a quelques semaines – qui m’a appris non seulement tous les travaux agricoles, mais surtout une façon de penser et de raisonner à la française, une sorte d’humanité que je ne connaissais pas, ayant été élevé à l’époque hitlérienne, et qui m’a fait choisir mon métier : professeur de français.

La semaine prochaine je vais revoir la veuve de Roger. Et j’irai me recueillir sur sa tombe...

Chez Roger et Nelly, sa femme, j’ai toujours été bien traité, comme un membre de la famille, j’ai passé les mauvaises années de l’après-guerre chez eux, bien logé, bien nourri, bien estimé, et je suis resté en contact avec la famille Perrin jusqu’à ce jour.

Voilà à peu près tout sur ce que je peux vous dire de ce que j’ai vécu en tant que prisonnier de guerre en France.

Mit freundlichen GrüBen,

Reinhart Mülhause

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Sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, chez Kontre Kulture :

 






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43 Commentaires

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  • #935858
    Le 15 août 2014 à 22:50 par boduos
    Courrier des lecteurs

    La leçon à tirer de ces différents comportements,c’est que le cerveau d’une foule est toujours réduit au plus grand dénominateur commun de chaque individu,c’est à dire mathématiquement , au plus petit cerveau d’entre eux.le jeune FFI de 22 ans le savait.
    Ensuite,le dénommé vilmot ou vilemotte ou willemotte ,lui,c’était le pervers complexé avec le plus petit cerveau et qui rampait devant bobonne à la maison....on en a encore des comme ça....

     

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    • #948933
      Le Août 2014 à 17:03 par Joseph
      Courrier des lecteurs

      Ou es tu allé pêcher ça ?
      As-tu un cerveau ? Je veux dire, t’en es tu déjà servi ?
      J’allais écrire tout le bien que cette lettre, si humaine, nous faisait lorsque je suis tombé sur ton stupide post !
      "On en a encore des comme ça..." ! Tu fais sans doute partie du tas, te fais donc pas d’illusions ! Lis donc Lebon, tu seras fixé !

       
  • #935926
    Le 16 août 2014 à 00:05 par fred
    Courrier des lecteurs

    Mon grand-père qui a fait 14/18, à "sauvé" un très jeune allemand (bosch) sur avis d’un vieux prisonnier allemand qui lui a dit de le prendre à la ferme car sinon il allait surement mourir.
    Les prisonniers de guerre que mon grand-père a recruté se sont engager à ne pas chercher à déserter si celui-ci ne les renvoyait pas le soir au camp mais rester dans la ferme.
    Ce fut fait ainsi dans une forme de "paix des braves" sauf pour un qui lui dit qu’à la moindre occasion il tenterait de le faire. Du coup il fut remis aux autorités.
    Le jeune soldat retrouva la santé, fut plus tard transféré dans un autre endroit. Un jour mon grand-père reçu un carte postale d’Allemagne qui lui disait merci & qu’il était bien arrivé chez lui après qu’il se soit évade de l’autre endroit avec d’autres "anciens" prisonniers de la ferme de mon grand-père.
    Ce très jeune soldat est devenu dentiste & régulièrement à passer avec sa famille saluer mon grand-père. Il s’appelle où s’appelait Heinz Kaseulist je crois.
    Des histoires d’hommes comme cela il y en a plus qu’on n’imagine & c’est tant mieux...

     

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  • #936177
    Le 16 août 2014 à 11:27 par VS
    Courrier des lecteurs

    C’est bien connu, en temps de guerre l’homme fait n’importe quoi, cela fait ressortir le pire qui est en lui, et c’est valable partout dans le monde, il n’y a pas d’exception à la règle, la guerre rend fou et crée des traumatismes très profonds. J’ai l’exemple de mon grand-père, français de souche, prisonnier dans un camp allemand pendant au moins deux ans et qui a assisté à de véritables scènes d’horreur, à la cruauté et à la folie humaine dans toute sa laideur. Il n’y avait que la communauté fêtarde des prisonniers russes pour lui remonter le moral. Mon grand-père s’en est sorti, mais traumatisé à vie. Et dire qu’il s’était lui-même livré aux allemands pour pouvoir retrouver son grand frère, ce qu’il a réussi à faire.

     

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  • #936184
    Le 16 août 2014 à 11:37 par VS
    Courrier des lecteurs

    On préfère toujours voir la laideur et la cruauté chez les autres alors qu’elle existe aussi en nous dans un état latent... Malheureusement certains malades mentaux en jouissent carrément, ce sont souvent ceux qui sont le moins impliqué physiquement dans les guerres car ils sont ceux qui les provoquent, comme l’oligarchie des illuminés du bulbe par exemple qui se réjouissent du malheur et de la faiblesse des hommes pour édifier leur ordre mondial insensé et malsain, tout ça en se prenant pour Dieu.

     

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  • #936282
    Le 16 août 2014 à 13:55 par philippe
    Courrier des lecteurs

    Très émouvant et remarquablement narré.
    À rappeler qu’à l’après-guerre on allait chercher des prisonniers de droit commun dans les prisons pour servir de "mains" pour toutes sortes de tâches. Sans doute aussi pour jouer les gardes-chiourmes bien vicieux j’imagine.

     

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  • #936311
    Le 16 août 2014 à 14:38 par Nasdrovia
    Courrier des lecteurs

    "Les salauds sont les mêmes partout". Dans le domaine de la torture, des exécutions sommaires et autres, les Français au travers de leur histoire n’ont rien à envier. Stéphane Courtois qui a publié sous sa direction Du passé faisons table rase ou l’Histoire et mémoire du communisme en Europe qui est un panorama de l’abominable, n’a pas hésité à préfacer Vendée du génocide au mémoricide par Reynald Secher. Ce génocide franco-français occulté dans nos livres d’Histoire reste la honte de la République. Attention ! Derrière les néo-robespierristes d’aujourd’hui se cachent les futurs Himmler de demain. Donc que certains ici évitent de donner de leçons de bonne conduite.

     

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  • #936725
    Le 16 août 2014 à 22:52 par olivier
    Courrier des lecteurs

    Il vaut toujours mieux tomber dans les mains d’un paysan ; il connait la vraie valeur des choses. La terre ne ment pas.

     

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  • #937020
    Le 17 août 2014 à 10:51 par barache Faouzia
    Courrier des lecteurs

    Aujourd hui les choses seraient les mêmes car les hommes ne changent pas. Si le camps avait eu des gardiens musulmans, cela aurait été différent. Je ne parle pas des armées qui se disent islamistes et qui massacre, non je parle de vrais musulmans bons et tolérants. Certains français sont bons mais quand ils délèguent, c est affreux !

     

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  • #938724
    Le 19 août 2014 à 17:51 par Buleh Gila
    Courrier des lecteurs

    Un conseil.
    Evitez la vérole, la prison et la guerre.

     

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  • #942383
    Le 23 août 2014 à 17:06 par jean
    Courrier des lecteurs

    Une lettre touchante, j’ai eu du mal à compatir, mais la fin est tres belle.

     

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