Ave,
Je vous écris d’Italie où, en désamour total avec la France, j’ai émigré à l’âge de 18 ans. Je veux vous faire part du récit de mon enfance française, qui me semble illustrer de nombreux points de réflexion portés par E&R, auquel j’adhère à distance et qui a largement participé à ma réconciliation avec mon pays.
Née en 80 à St-Denis d’une mère bobo et d’un comédien raté issu de l’émigration algérienne, j’ai eu très tôt des problèmes identitaires. On m’interdît tout lien avec mes origines Kabyles (mon père changea même de nom avant ma naissance) mais l’alternative offerte ne fut toutefois pas celle de la culture Française authentique, mais bien cette sous-culture gauchiste, athéiste et antiraciste, qui me culpabilisait en tant que petite Française privilégiée et qui glorifiait les racailles et tout ce qui était anti-français, notamment à travers le rap.
Nourrie par ces grands mensonges de l’autodétermination et de l’ascenseur social, je fus bientôt investie d’un double devoir de revanche ; raciale de par mon père, féministe de par ma mère. On me mit au régime et on me fit participer à des films, pubs et génériques qui payèrent quelques loyers. Suite à leur divorce en 90, mon père quitta son emploi, ma mère reçut beaucoup d’aides sociales, tous deux tombèrent en dépression et les rôles parents-enfants s’invertirent, faisant de l’État Français mon seul protecteur.
Ma mère se remit en couple quelques mois plus tard avec un syndicaliste soixante-huitard odieux, père de deux fils issus de deux précédentes unions et avec lequel nous déménageâmes dans un petit village Breton, aux alentours de mes 12 ans.
Parler de notre vie de famille ou inviter à la maison des indigènes, considérés beaufs, bigots et sans intérêt, fut proscrit et mes origines arabes devinrent tabou. Sous prétexte d’une éducation laxiste, on ne s’occupa plus de moi, m’invitant à être démerdarde, à faire de l’autostop et m’autorisant à fumer et à boire à la maison, ce qui facilita l’émergence de certaines tendances alcooliques, dont je mis longtemps à me défaire. Je reçus de surcroît une éducation sexuelle approfondie grâce à l’omniprésence de récits, blagues et autres évocations pornographiques. On me présenta les pratiques sexuelles les plus débridées comme saines et on me donna la pilule.
Mon premier rapport fut un viol à l’âge de 13 ans, perpétré par un jeune adulte de mon entourage, qui me plongea dans un long silence coupable et me fit douter, durant toute mon adolescence, de mon hétérosexualité. Mon père, débiteur de nombreuses pensions alimentaires et incapable de retrouver un emploi, fut exclu de notre vie. Il ne réussit jamais à relever la tête et se suicida quelques années plus tard. Je rentrai à l’internat à 14 ans, on m’invita à m’émanciper financièrement et je commençai à travailler dans la restauration les week-ends et vacances. Plus tard, le remariage de ma mère, revendiqué comme fiscal, me fit perdre toutes mes aides sociales et avec elles, mes raisons de rester en France. Je partis pour Rome, où j’avais des contacts.
Ce fut une renaissance ! Ce qui me plut d’emblée de l’Italie était ce que la France avait perdu : ses racines chrétiennes ou plus essentiellement le rapport au Sacré. La transcendance illumine les relations horizontales, du Divin à l’homme, dans sa relation à la terre (et à la nature), et du Père de famille à ses enfants, à travers les liens du sang et du nom.
Les Italiens sont très liés à leur terre, l’enracinement est très fort et la mobilité est vécue comme un sacrifice. Ils respectent l’autorité du père et des anciens qui, en retour, incarnent le sens des responsabilités et l’instinct de protection. La place qu’occupe la mère, qui offre un soutien sans réserves à ses enfants, reste toutefois la relation sacrée par excellence, celle de la transmission de la vie. Les rapports hommes-femmes et les liens familiaux définis et intenses, constituent un contrepoids considérable aux difficiles conditions socio-économiques actuelles. Enfin, un sens moral partagé (également par les athées, les musulmans et autres étrangers) contraste encore avec l’hypersexualisation ambiante, la profanation de l’enfance, l’éloge de l’argent roi et la réification de l’humain.
J’ai grandi dans le discours libéral-libertaire et je sais aujourd’hui qu’il ne s’agit que de mensonges hypocrites, qui camouflent l’individualisme éhonté d’une génération capricieuse, complice de l’avènement de la société globale de consommation. On prônait la solidarité en se sentant supérieurs à la populace. On prônait l’antiracisme en cachant le sang arabe. On revendiquait les droits des travailleurs en livrant ses propres enfants à la violence du marché. On prônait un amour libre qui n’avait pas grand-chose à voir avec l’amour et qui détruisait l’organisation humaine la plus instinctive, fiable et fonctionnelle à la fois : la Famille. Bref, on m’offrait une liberté qui ressemblait beaucoup à l’abandon et à la solitude.
Je remercie donc ici E&R, qui m’a permis de comprendre qui était vraiment l’ennemi, mettant ainsi en relief les vrais luttes à combattre. Vous avez tout mon soutien, je salue votre honneur et vous souhaite bien du courage.
M.
Ps : Je vous confirme que d’importantes invasions arabo-berbères eurent lieu dans le sud de l’Italie (comme en témoigne, entre autres, l’émirat de Bari du IXème siècle), ce qui explique les traits maghrébins de la population de Conversano (petite ville des Pouilles qui se trouve à une heure de chez moi), tout comme ceux du fameux schizophrène homonyme.