Corey Feldman était l’enfant star des Goonies (1985), ce grand succès hollywoodien des années 90. Depuis les années 30, Hollywood produit des enfants stars à la chaîne : le Moloch du divertissement mondial a besoin de ces figures d’ange qui plaisent à toutes les générations, car elles sont naturellement émouvantes. Ces acteurs en herbe plaisent aussi à un autre genre de public : les amateurs d’enfants de l’industrie du cinéma. Il n’y a pas que les producteurs à être alléchés par la chair fraîche, il y a aussi les agents, les acteurs, en gros tout ce qui a du pouvoir et de l’influence sur la carrière des futures vedettes.
Ainsi, le petit Corey (né en 1971) est-il devenu une star en même temps que son intimité était détruite, à 12 ans et à jamais. Même sévices pour son copain et co-acteur Corey Haim qui lui ne fera que descendre, dans la drogue, l’alcool et finalement la mort à 38 ans en 2010.
- Les deux Corey, Haim à gauche, Feldman à droite
« Il est temps de ré-ouvrir l’enquête, j’ai dénoncé les faits avant la prescription, alors maintenant, ma plainte est admissible, non ? » (Corey Feldman sur Twitter)
Pourtant, la chose se savait : en 1993, alors âgé de 22 ans, Feldman fait une déposition dans un commissariat californien, lors d’une enquête fédérale sur des victimes éventuelles de Michael Jackson. Ce dernier sera blanchi, si l’on peut dire, mais Corey en profitera pour balancer tout le réseau des pédophiles d’Hollywood. Malheureusement, cette déposition restera lettre morte.
« Suite aux récentes requêtes sur l’entretien entre le bureau du sheriff et M. Feldman en 1993, le bureau du sheriff du comté de Santa Barbara a procédé à une recherche approfondie dans les dossiers liés à l’enquête sur Michael Jackson. Dans un conteneur comprenant les dossiers originaux de cette enquête, ont été retrouvées des copies d’enregistrements audio. Parmi elles, figurent l’entretien de M. Feldman. L’enregistrement a été transféré à la police de Los Angeles. » (Première du 8 décembre 2017)
On sait depuis l’affaire du footballeur américain OJ Simpson que la police peut freiner une enquête, surtout lorsqu’elle touche à une personnalité influente et populaire. Les stars d’Hollywood sont non seulement protégées par leur réputation, leur richesse et leur influence, mais leurs liens avec la haute police, la politique et parfois, la mafia. Mafia et police fournissant d’excellents enquêteurs ou détectives privés sur la piste de témoins génants ou récalcitrants. C’est la méthode qu’a employée le producteur mythique des années 80-90, Don Simpson, le roi des blockbusters lorsqu’il était associé à Jerry Bruckheimer.
Don Simpson, qui n’était pas pédophile, juste amateur de filles, de putes et de secrétaires, n’aurait pu survivre médiatiquement une journée dans l’Amérique de 2017 qui fait la chasse aux « Weinstein » : Don était le roi des soirées déjantées à base de bimbos, d’alcool et de cames diverses. Ensuite, quand il y avait un « accident » – et il y en avait – son homme de main allait nettoyer « the mess » (le bordel). Si la victime d’ébats violents refusait la proposition financière du Don, elle se voyait pressée par des révélations sur sa propre vie, voire secouée physiquement. Ainsi l’impunité des gros pontes d’Hollywood était-elle assurée par ses liens avec la police et la presse.
Fragment du portrait d’Anthony Pellicano par L’Express :
Pourtant, Anthony, un ancien recouvreur de dettes devenu le plus célèbre « détective privé-consultant en sécurité » de Los Angeles – le protecteur de Liz Taylor et de Michael Jackson, et l’amant de Farrah Fawcett, une ancienne cliente – pouvait facturer 100 000 dollars ses services à ses « amis » du show-biz et surtout aux grandes firmes d’avocats de la place, trop heureuses de prendre, grâce à lui, l’avantage dans des procès pour divorce ou de convaincre leurs adversaires d’accepter des règlements à l’amiable. De quoi financer, à 62 ans, un train de vie de nabab de série B, le confort de ses neuf enfants nés de cinq mariages et les menus frais de sa dernière compagne, une strip-teaseuse épousée à Las Vegas quelques jours avant son incarcération, en 2002.
Un Pellicano qui avait participé aux analyses sonores des tirs après l’assassinat de JFK pour la commission Warren... Que le monde pourri est petit !
Pellicano incarne cette liaison plus très secrète entre le renseignement, la mafia, la haute police et le showbiz. On comprend pourquoi la fortune de Michael Jackson, protégé par Pellicano, a fondu lorsque les parents des enfants hébergés dans sa villa et à Neverland ont demandé des « comptes »...
On revient sur Corey Feldman, qui a révélé le nom du premier violeur de son ami Corey Haim : Charlie Sheen. Mais il y en a eu d’autres, et après les révélations des pince-fesses de tous les Weinstein d’Hollywood, on attend désormais le name-dropping des violeurs d’enfants. Un sujet qui éclabousse la classe dirigeante de cette industrie du divertisement, dont l’arrière-cuisine est bien salingue.
Du côté français, il semble que le soufflé weinsteinien soit retombé, pourtant les comportements sont les mêmes : chez nous, c’est la pré-adolescente qui fait fantasmer les réalisateurs. Certains artistes présentent cette fixation comme un hommage à la pureté féminine, certains en profitant hors plateau. C’est ainsi qu’une petite escouade de futures actrices connues, dès l’âge de 13 ans, ont été « formées » par des réalisateurs célèbres. Elles ont ensuite fait carrière, multipliant les rôles à caractère érotique. On rappelle que Charlotte Gainsbourg a été prise en mains par Claude Miller avant ses deux films sur la pré-adolescence. Avec la bénédiction de ses parents.
Charlotte raconte la période Effrontée en 1985 :
« Une fois que je l’ai rencontré sur L’Effrontée on s’est pas perdu de vue jusqu’au tournage de La petite voleuse, c’était naturel, enfin… Donc voilà j’avais été embarquée par Annie [l’épouse et productrice de Claude Miller]… J’ai très vite été adoptée par cette femme, et j’avais l’impression, j’y allais tout le temps, j’y allais tous les week-ends enfin, et plus que Claude, c’était son milieu sa famille même, ses parents, j’avais rencontrés qui me, qui m’ouvraient la porte, c’était tellement différent de chez moi, il m’a fait toute mon éducation cinématographique, il me l’a faite. Euh, donc ben en fait j’avais les mêmes goûts que lui, pasque dans tout ça il m’a guidée, mais je sais pas comment il me dirigeait je sais plus. En plus j’avais un vrai plaisir de jeu parce que je le vois ! »
- Viol ou première fois dans L’Effrontée, de Claude Miller (1985)
Cette confession est tirée du documentaire Claude Miller, cinéaste de l’intime, diffusé sur Canal Plus. Charlotte poursuit son témoignage à double sens :
« J’ai l’impression qu’il avait une vraie part d’enfance qui l’a jamais quitté quoi... Toute sa sensibilité d’enfant il me l’a fait passer, en tout cas, je l’ai comprise. Des petites touches de, de comment lui m’a comprise aussi. Il m’a, il m’a connue mieux que personne à un moment donné (silence). Puis sans prendre de gants... J’acceptais tout, tout ce qu’il disait ça avait l’air vrai. »
- Jean-Claude Brialy et Charlotte Gainsbourg
Dans un documentaire de l’INA, France Roche interviewe Claude Miller :
Roche : « Pour trouver vos 3 petites filles, vous avez dû passer votre temps à faire la sortie des écoles et vous faire traiter de satyre non ? »
Miller : « Pas du tout pas du tout non non, ben Charlotte Gainsbourg je l’ai trouvée grâce à Élie Chouraqui en voyant le film Parole et musique, j’avais écrit la moitié de mon scénario quand j’ai vu ce film, et pour moi c’était être évident que ça allait être elle, il fallait que ça soit elle ou que le film n’existe pas si vous voulez, ma seule angoisse c’était que les parents ne soient pas d’accord, enfin de ce côté-là ça s’est très bien passé. »
Aujourd’hui, c’est l’actrice Julie Delpy, « exilée » aux États-Unis, qui révèle un pan de cette histoire culturelle française nauséeuse. Dans le mensuel Vanity Fair de juillet 2014, elle raconte :
« La vérité, c’est qu’en France, à l’époque où j’ai débuté, dans les années 1980, une fille de 12 ans avec un metteur en scène de 50, c’était une chose normale. Moi, je pense que c’est de la pédophilie, mais on le tolère sous couvert de : “Oh, je suis un artiste – elle est ma muse, je peux bien la baiser. Elle a 12 ans, c’est ma muse.” Moi je ne trouvais pas ça normal, alors je l’ai dit haut et fort en France et on ne m’a pas ratée : j’ai été obligée de m’exiler en quelque sorte, et je me suis installée aux États-Unis pour recommencer à zéro. »
Il y a évidemment une différence entre le réalisateur fasciné par l’adolescence et le pédocriminel déguisé en artiste ! Dans la liste des premiers on peut citer Polanski, Téchiné, Rohmer, Ozon, Van Zant, Spielberg, même si Spielberg semble plus fasciné par l’enfance que par l’adolescence. Citons François Truffaut :
« Le cinéma est un art de la femme, c’est-à-dire de l’actrice. Le travail du metteur en scène consiste à faire faire de jolies choses à de jolies femmes. »
Ce qui s’applique aussi aux enfants. Mais en France, la protection de l’enfance veille visiblement plus qu’aux État-Unis. Si les associations catholiques ne veillaient pas à la moralité de certains films, les dégâts seraient probablement supérieurs et la pédophilie moins taboue à l’écran. Sébastien Dupont, chercheur universitaire à Strasbourg, s’est intéressé à la fascination de l’adolescence dans le cinéma.
« Concernant l’adolescence, le cinéma s’impose comme un objet culturel particulièrement révélateur. L’histoire du 7e art est d’ailleurs intimement liée à l’émergence de l’adolescence comme âge de la vie dans nos sociétés occidentales : l’adolescent est à la fois une figure omniprésente du cinéma et l’un de ses plus fervents spectateurs.
Soulignons ce potentiel heuristique du cinéma pour l’étude psychologique, sociologique et culturelle de l’adolescence : que ce soit dans le rapport des adolescents au cinéma (le phénomène des films cultes, les teen movies, le cinéma comme espace de socialité et comme vecteur de codes culturels...) ou dans les représentations cinématographiques de l’adolescence. Certains films – souvent plébiscités par les adolescents – mettent en scène des problématiques sensibles de ce passage, tels la rébellion, le réveil pulsionnel, la découverte de la sexualité, le questionnement sur les origines, la quête identificatoire, la recherche de l’absolu, la mise à l’épreuve des limites du possible...
La puissance métaphorique de ces films en fait de fantastiques illustrations de ce que décrivent les spécialistes de l’adolescence. Ce prisme du cinéma apparaît comme un canal particulièrement pertinent pour considérer le domaine plus spécifique, plus introverti et plus mystérieux de l’adolescence féminine.
La figure de l’adolescente a longtemps occupé une place secondaire dans le cinéma, qui privilégiait la mise en scène de l’adolescence masculine. Elle a pourtant fasciné plusieurs réalisateurs et est l’égérie de quelques classiques du cinéma : Lolita (Stanley Kubrick, 1962), Family Life (Ken Loach, 1971), L’amant (Jean-Jacques Annaud, 1992), Rosetta (Jean-Luc et Pierre Dardenne, 1999)... Bien que plus discrète que son double masculin, la figure de l’adolescente a su progressivement s’imposer comme la protagoniste principale d’un nombre grandissant de films, dont plusieurs font désormais partie intégrante de la culture des adolescentes. »
Dans la catégorie des films d’éveil à la sexualité, on ne peut ignorer ceux qui ont effleuré la question de l’inceste, en l’occurrence père-fille. On pense à Francis Weber, Gaspard Noé, Brian de Palma, James Mangold, Oliver Stone, Alain Fleischer, David Lynch, Steven Spielberg, Claude Berri, Nelly Kaplan ou Roman Polanski. La relation mère-fils elle, a été traitée par les réalisateurs suivants : Roland Joffé, Agnès Obadia, Milos Forman, Stephen Frears, Paul Schrader, Louis Malle et Joseph Mankiewicz.
À la lumière de tout ce déballage, on se demande si la pression politique actuelle française en faveur de l’abaissement de l’âge du consentement sexuel de 15 à 13 ans ne serait pas une manière de blanchir moralement le passé de certains...