Cher Monsieur Soral,
Je tiens à vous faire part, en préambule, de ma profonde admiration pour vos convictions, pour votre œuvre et pour l’action que vous entreprenez. J’ai découvert votre pensée il y a maintenant un an et je dois confesser qu’elle a révolutionné mes catégories mentales.
Monarchiste de cœur et d’idées, je faisais partie de ceux qui, tout en observant la complète décadence de l’État, ne parvenaient pas à s’en expliquer les causes profondes et avaient la naïveté politique de considérer que les postulants à des mandats électifs qui se réclamaient comme étant à droite de l’échiquier politique incarnaient, par essence, l’ordre et la volonté de grandeur et péchaient simplement par manque de courage devant des idéologies mortifères qui leur auraient été extérieures. L’écoute de vos analyses sur Internet, qui s’est immédiatement ensuivie de la lecture de vos ouvrages, a pour moi été pareille à la révélation de saint Paul sur le chemin de Damas. Si j’avais été cavalier, j’aurais eu droit moi aussi à une chute : là où tout n’était que chaos inintelligible, vous avez apporté la cohérence et une vision extrêmement structurée, bien qu’angoissante, de ce contre quoi nous avons à lutter. Aussi je vous le dis sans détour, même si je sais que vous êtes peu adepte des ronds de jambe, vous êtes à mes yeux le penseur politique le plus majeur depuis Orwell.
Pour ma part, diplômé en droit de l’université Jean Moulin Lyon 3, j’ai quitté l’administration il y a quelques mois, par dégoût de ce qu’elle devenait et m’essaie désormais, par espoir de contribuer à la propagation de la francophilie, à constituer une société commerciale de vente de produits du terroir français, à Dublin, en Irlande, me débattant au milieu des absurdités scélérates qu’impose le pouvoir bancaire à ce pauvre pays qui n’est jamais, en Europe, que l’un des lieux d’expérimentation de ce que cette même oligarchie concocte pour notre vieille Nation.
Passionné d’Histoire depuis mon plus jeune âge, je suis aussi le descendant de modestes paysans corses, charentais et alsaciens qui, entre le milieu du XIXe siècle et le tout début du XXe siècle, ont quitté des terres trop pauvres, fragmentées ou carrément perdues pour tenter l’aventure en Algérie. Ils ne faisaient évidemment pas partie de la caste financière qui organisa certaines coupes réglées de l’Histoire coloniale, se contentant, pour les uns de travailler au milieu de leurs ouvriers agricoles dans une petite exploitation qu’ils avaient défrichée, pour les autres de revêtir l’uniforme de tirailleurs où, comme sous-officiers puis officiers de troupe, ils ont combattu, en première ligne, durant la Grande Guerre, à une époque où l’esprit de sacrifice des régiments coloniaux était mis à très rude épreuve.
Ma généalogie m’a donc poussé à toujours éprouver un intérêt particulier pour l’Histoire coloniale. Je partage, évidemment, votre analyse globale sur la politique coloniale, ou plutôt l’absence de politique coloniale claire (l’Algérie en est l’exemple archétypal), décidée par les politicards de la IIIe puis de la IVe République. Même si cette période se caractérisa aussi, dans une certaine mesure, par le respect des combattants induit par la fraternisation procédant des épreuves du feu. Néanmoins, l’Histoire coloniale n’est pas réductible aux errances de Jules Ferry et de ses acolytes. La France connut un premier empire colonial, l’Empire des Rois, dont la réalité humaine était très différente de ce que la IIIe conçut. Cela a particulièrement été vrai en Amérique du Nord, où les rapports entre les Français et les populations indiennes, qui furent exceptionnels, m’a inspiré cet article [voir ci-après] que la revue Mémoires d’Empire, de l’Association pour la Mémoire de l’Empire français, m’a fait l’honneur de publier, dans son numéro de l’automne dernier, et que je me permets de soumettre à votre réflexion.
Mon propos, en vous l’envoyant, n’est pas de faire assaut d’ergotage en pinaillant sur ce qui, de prime abord, peut passer pour un détail superflu. C’est, au contraire, vous proposer un nouvel argument pour parvenir au but de réconciliation entre tous les Français que vous prônez si intelligemment. Si l’Histoire coloniale n’est présentée que sous un jour négatif, les Français d’origine ultra-marine pourront légitimement estimer que la France est intrinsèquement fautive et donc éprouver un certain ressentiment à son égard, mettant un obstacle au but de cohésion nationale. Mon souhait est de montrer, à travers ce résumé des relations très étroites conclues durant plus de deux siècles entre les Français de l’Ancien Régime et la grande majorité des tribus indiennes de l’Amérique du Nord, que la France éternelle s’est caractérisée par un véritable intérêt pour l’Autre, cherchant, notamment au XVIIe siècle, à concevoir des rapports fondés sur le respect réciproque et le prestige viril de Sociétés aristocratiques guerrières. La « colonisation » d’Ancien Régime est assez fidèle, dans cette partie du monde, aux idéaux de Montaigne et voit moins les choses sous l’angle de l’exploitation brute que de l’alliance avec des peuples chez qui on essaie, par les actes, de susciter l’amour de la France. Et ce avec une certaine réussite. Et ça, ce fut une spécificité toute française.
Par ailleurs, et je conclurai là-dessus, la politique d’expansion ultra-marine et de recherche d’alliés était tout sauf délirante. Je suis assez sceptique avec le concept d’eurasiatisme de Douguine, pour la bonne raison que, si l’on excepte la brève parenthèse de Gengis Khan qui s’est très vite disloquée, cette unité continentale n’a tout simplement jamais existé. Que les Russes promeuvent, à leur bénéfice, la notion de « heartland », c’est de bonne guerre. Il ne faut cependant pas oublier que toute leur politique étrangère, dès Pierre le Grand puis Catherine II, fut le contrôle des Détroits puis l’accès aux mers chaudes (le Grand Jeu), donc une politique maritime. Que la Russie soit, à notre époque comme dans les siècles précédents, notre alliée naturelle dont il faut cultiver l’amitié, c’est une évidence. Mais, comme l’avait compris le génial Richelieu, la France se doit d’être à la fois puissance continentale et puissance maritime. Si l’État royal s’était donné les moyens, au XVIIIe siècle, de conserver l’Amérique du Nord à la France, dans le respect des cultures indiennes, on aurait fait l’économie du triomphe de la thalassocratie anglaise au XIXe et de son héritier actuel inféodé à qui on sait. C’est aussi la raison pour laquelle il me semble nécessaire de ne pas tout jeter dans l’aventure des Temps modernes que fut l’expérience coloniale.
Volonté de réconciliation entre Français « historiques » et Français descendants de ceux qui, sans cette aventure, n’auraient jamais connu la France. Et volonté d’assumer sans rougir l’Histoire, en rappelant que la France, déjà à l’époque, subissait de grandes menaces et cherchait des moyens intelligents d’y faire pièce. Vilipendons comme il se doit Jules Ferry et son racialisme abject mais glorifions Henri IV et Richelieu qui méritent, sur ce sujet, là aussi, des louanges.
En m’excusant de la longueur de mon message car je sais votre temps précieux, j’espère que ces quelques réflexions vous seront d’un quelconque intérêt. Et si ma plume peut vous être un jour utile à quoi que ce soit, je suis tout disposé à la mettre au service du but que vous avez assigné à la France.
Je vous prie de recevoir, cher Monsieur Soral, mes sentiments les plus chaleureux.
Damien Chiaverini
Les Relations franco-indiennes dans la Nouvelle-France
Fascinations, duplicités et opiniâtretés
La France avait quitté le Moyen Âge auréolée de sa victoire sur le Plantagenêt, qui avait cherché, plus de cent ans durant, à usurper sa souveraineté. Le Beau XVIe siècle naissant l’avait trouvée suffisamment fougueuse pour jeter son dévolu sur l’opulente Italie, qu’elle tenta de subjuguer par sa « furia ». Las ! La défaite de Pavie, en 1525, jetait non seulement à bas ses rêves d’expansion européenne mais lui démontrait, prémices du demi-siècle de fer qu’elle s’apprêtait à vivre à la génération suivante, combien était précaire sa position dans le monde.
D’arrière-cour du jeu politique capétien qu’elle était du temps des épousailles de Blanche de Castille, l’Espagne avait supplanté le Très Chrétien et était devenue la première puissance occidentale. Les possessions de Charles Quint enserraient le Royaume de France, à travers ses frontières tant méridionales qu’orientales. En outre, le traité de Tordesillas qui, conclu en 1494 sous les auspices du pape Alexandre VI, partageait les zones d’expansion coloniale entre l’Espagne et le Portugal avait, de surcroît, attribué à la première l’Empire du Monde. Bientôt, Cortez au Mexique puis Pizarre au Pérou offriraient à Madrid des terres et des moyens innombrables. Dans le même temps, l’échec du Camp du Drap d’Or avait créé, pour la France, la hantise permanente de son encerclement complet en cas d’entente entre l’Espagne et l’Angleterre.
C’est dans ce contexte particulièrement délicat que le roi François Ier décida de lancer son royaume dans l’exploration du Nouveau Monde. Et c’est après les Guerres de Religion qui, de 1560 à 1594, offrirent à Philippe II d’Espagne, soutien de la Ligue, et à Elisabeth d’Angleterre, phare des Huguenots, la France comme terrain de jeu de leurs ambitions que le Roi Henri IV rêva de constituer son pays en puissance ultra-marine et offrit les conditions d’une rencontre entre peuples de deux Mondes. (...)