Depuis sa création en 2010, près de 15 000 jeunes entre 16 et 25 ans ont déjà effectué un service civique au sein de structures associatives ou de collectivités. Censé être la continuité du service militaire, il semble pourtant que ce dispositif entraîne de nombreuses dérives : sous-emploi, sous-contrat, stage caché...
Dès sa mise en place, le service civique fut vivement critiqué. Le discours autour du sous-emploi est le premier débat qui eut lieu une fois le dispositif mis en place. La notion d’engagement, essentielle pour une politique devant remplacer le service militaire a été occulté. Une fois le débat imposé dans la sphère publique, la perception du service civique était modifiée. Dès lors, il sera assimilé au domaine de l’emploi. Le rapprochement entre l’engagement et la sphère travail va permettre d’imposer une nouvelle réalité. Tout en ignorant les notions de don pour la nation et d’engagement pour l’intérêt collectif. Maud Simonet fut l’une des premières à vivement critiquer ce dispositif qui est selon ses mots « une politique d’emploi déguisée ».
Toujours connectés à la question économique, les jeunes en service civique ne seront pas comptabilisés dans les chiffres du chômage. De plus, l’indemnité perçue par les volontaires (570 euros) sera perçue comme de l’argent de poche pour les plus aisés, soutenus par leurs parents. Pour les autres, l’indemnité va créer une nouvelle classe de jeunes précaires.
Localement, j’observe le fait suivant : 80% des volontaires ou des jeunes intéressés ont entre 20 et 24 ans et sont titulaires d’un Bac + 3/Bac + 5. Souvent issu de formation dans la culture ou le monde associatif, le volontariat est le moyen de se faire une première expérience. Cette déviance engendre deux effets pervers :
Elle maintient une jeunesse déjà précaire en obligeant de jeunes diplômés à se « brader » afin d’obtenir l’expérience tant attendue. Dans la conjoncture actuelle, l’État subventionne de moins en moins le secteurs associatifs tout en leur fournissant une main d’œuvre quasi gratuite (Un volontaire coûte 105,96 euros par mois pour une association). Les associations sont encouragées à utiliser au maximum cette force de travail.
La dérive précédente ne permet pas à une certaine classe d’âge de bénéficier de ce dispositif. Les jeunes entre 16 et 19 ans sont les moins bénéficiaires de ce programme. On peut donc se questionner sur le rôle « socialisateur » de ce dispositif s’il n’est même pas capable de toucher les âges auxquels la socialisation (notamment pour les jeunes en difficulté ou déscolarisés) doit être importante. Ces jeunes (16/19 ans sans diplôme ou infra-bac) sont systématiquement discriminés face à l’afflux massif de jeunes diplômés.
À l’heure où les hommes doivent être flexibles selon la conjoncture du marché, le service civique s’est imprégné de la doctrine libérale. Le statut s’emboîte parfaitement avec la notion de compétitivité. La baisse des subventions aux associations est partiellement masquée par le volontariat. Offrant de jeunes diplômés à très bas coût, flexibles (les missions vont de 6 à 12 mois), ne cotisant pas au chômage, et indépendants du code du travail. Les jeunes n’ont ni le droit de se syndiquer, ni le droit de grève. Le statut même du volontaire ne coûte pas cher à l’État et aux structures d’accueil : un emploi financé par les pouvoirs publics revient toujours moins cher en étant accompagné d’une réduction des dépenses.
Selon la logique précédente, la circulaire du 20 mars 2012 ayant pour objet : « L’extension du service civique dans la police et la gendarmerie », les volontaires auront pour mission les domaines de la prévention. Auparavant assurées par des gendarmes professionnels, ces actions sont en cours de suppression. Les interventions concernées avaient déjà été « refilées » aux réservistes, désormais ce seront les volontaires qui s’en chargeront (encore moins coûteux).
Ainsi, le monde associatif a intérêt à faire appel à ce dispositif plutôt que de prendre un jeune en stage. Les frais sont presque identiques mais une partie du service civique est payé par l’État. Alors que l’engagement devait être une période « formatrice » pour une cause d’intérêt général, on peut dire que c’est un échec systémique. Indéniablement lié à la sphère économique, il sert plus d’écran de fumée en masquant les véritables intentions de l’État : baisse des subventions, liquidation du droit du travail. Au lieu de créer un consensus moderne et innovant sur l’engagement citoyen, on peut constater que ce dispositif sert de plus en plus les intérêts économiques.